Faisant partie de la génération des enfants de la guerre du Liban en sa période la plus sanglante (1975-1990), étant née et ayant grandi dans son cadre, ma mémoire est chargée de souffrances et d’une quête incessante de survie. Je cherche constamment un sens au tumulte de mon existence et de celle de tous les Libanais : pourquoi sommes-nous pris dans un cercle vicieux duquel nous n’arrivons pas à nous échapper? Pourquoi la haine, les tensions, la discorde, l’exclusion de tout ce qui est ‘autre’? Qui sont les responsables? Sommes-nous tous responsables? Comment définir ce ‘nous’? Faut-il s’engager pour un meilleur avenir en assumant les déboires du passé, ou faut-il tourner la page? Faut-il oublier ou ne pas oublier? Sommes-nous tous des morts en sursis, vivant dans l’angoisse de la prochaine explosion?
Telles sont les questions que moi-même et bien des Libanais de ma génération ont tenté de différer mais auxquelles ils ne peuvent plus échapper. Questions tournant autour de la guerre et de la paix, de la mémoire et de l’identité, qui résument la souffrance et le drame de bien de personnes ballottées entre l’amnésie et l’hypermnésie. Ces questions, je les pose et me les pose encore aujourd'hui, avec une note de tristesse, sans pour autant perdre l'espoir d'un meilleur lendemain. En effet, je crains la recrudescence de violences internes dans un proche avenir... Aussi, une nouvelle offensive israélienne, laquelle incluerait cette fois non seulement le Liban mais aussi la Syrie en position de faiblesse au niveau international et en situation interne chaotique. « Divide et impera » - Diviser pour régner ou le meilleur moyen d’avoir les mains libres pour gouverner, c’est de semer la discorde parmi ses opposants.
Certes, le Liban passe par une crise multiforme depuis des décennies. Toutefois, la situation actuelle (acte d'accusation du tribunal de l'ONU pour le meurtre de l'ancien premier ministre Rafic Hariri contre 4 membres du Hezbollah et intensification des tensions internes) fait craindre l’exacerbation de la politique d’exclusion; une situation qui appelle à un sérieux examen de conscience, où la plupart des victimes et des bourreaux, acteurs de la tragédie libanaise, persistent à se murer dans le silence afin de préserver la ‘fragile entente’ ou se responsabilisent/déresponsabilisent mutuellement. Certes, on a beau croire qu’il faut savoir oublier pour goûter la saveur du présent, ou alors au contraire, on peut recourir au passé mythique aux couleurs des gloires phéniciennes, romaines, byzantines, arabes…, lesquelles en quelque sorte réconfortent les esprits tiraillés par un présent sans lendemain; mais sans la remémoration critique du passé, on n’en tire pas de leçons et on continue à perpétrer les mêmes atrocités et le même langage de vengeance.