Monday, December 29, 2008

Massacre Gaza - La prédiction d'Ilan Pappé il y a un an

En 1948, les Palestiniens ne sont pas partis "tout seuls" - par Ilan Pappé

« La purification ethnique continue et Israël veut vous la faire accepter ".

Interview de Ilan Pappé, faite par Emanuela Irace pour Il Manifesto, à Rome, le 14 décembre 2007 à l'occasion de son intervention à la leçon inaugurale du Master Enrico Mattei pour les Proche et Moyen-Orient. lan Pappé est arrivé en Italie sans tambours ni trompettes. Hôte de l’Iesmavo (Master Enrico Mattei per il Medio Oriente , NdT), au siège de l’Isiao de Rome (Institut italien pour l’Afrique et l’Orient http://www.isiao.it/, NdT) pour une conférence sur « Israël-Palestine, une terre deux peuples ». Après avoir dénoncé ces derniers mois l’impossibilité de travailler sereinement dans une atmosphère hostile, celle de son université de Haïfa, Pappé est parti en Grande-Bretagne, où il enseigne maintenant à l’université d’Exeter. Historien du non consensus, « révisionniste », il est né en Israël en 1954, de parents juifs qui avaient fui l’Allemagne des années 30 ; il a publié une demi-douzaine de livres. Parmi les plus récents, « The ethnic cleansing of Palestine », non encore traduit en italien. Au centre de l’analyse du grand historien, la politique sioniste de déportations et expulsions de palestiniens réalisées pendant et après la guerre de 1948, quand environ 400 villages furent vidés, effacés et détruits au cours des cinq années qui suivirent.

Professeur Pappé, vous décrivez l’épuration ethnique comme moment constitutif, en 1948, de l’Etat d’Israël. Vous brisez de cette façon le topos de l’exode volontaire des Palestiniens.

En 47-48, les Palestiniens ont été expulsés, même si l’historiographie officielle parle de pressions des leaders arabes qui les auraient persuadés de s’enfuir. L’idée de trouver un refuge pour la communauté juive, persécutée en Europe et anéantie par le nazisme, se heurta à une population autochtone qui était en phase de redéfinition. Projet colonial qui pratiqua l’épuration ethnique, en affrontant de façon anticipée le problème démographique : l’existence de 600.000 juifs contre un million de Palestiniens. Avant que les arabes ne décident en février 1948 de s’y opposer militairement, les Israéliens avaient déjà chassé plus de 300.000 autochtones.

Comment se réalisa la purification ethnique et pourquoi tout le monde s’est-il tu ?

Cela eut lieu en l’espace de huit mois, et ce n’est qu’en octobre 48 que les Palestiniens commencèrent vraiment à se défendre. La riposte des sionistes fut les massacres dans la province de Galilée, la confiscation des maisons, des comptes bancaires, de la terre. Les Israéliens effacèrent un peuple et sa culture. Personne ne dénonça ce qui se passait parce que la Guerre était finie depuis peu. Les Nations Unies ne pouvaient pas admettre qu’une de leurs résolutions (la 181, sur la partition de la Palestine, NDR) se conclut avec une épuration ethnique. La Croix-Rouge avait déjà été accusée de n’avoir pas rapporté avec objectivité ce qui se passait dans les camps de concentration nazis, et les principaux médias ne voulaient pas avoir d’affrontement avec les juifs.

Un sentiment de culpabilité et une « diplomatie », dans l’action des gouvernements, avec quelles conséquences ?

Pendant l’Holocauste, les pays qui aujourd’hui condamnent Israël, ou étaient connivents, ou sont restés silencieux. C’est pour ces motifs que la communauté internationale a abdiqué devant son droit de nous juger. On lui fait endosser une faute à laquelle elle ne peut plus remédier. En perdant ainsi, aujourd’hui encore, le droit de critiquer le gouvernement d’Israël. La conséquence est que quand naquit l’Etat, personne ne lui reprocha l’épuration ethnique sur laquelle il s’était fondé, un crime contre l’humanité commis par ceux qui la planifièrent et la réalisèrent. Dès ce moment-là, l’épuration ethnique devint une idéologie, un ornement infrastructurel de l’Etat. Discours toujours valide aujourd’hui, parce que le premier objectif reste démographique : obtenir la plus grande quantité de terre avec le plus petit nombre d’arabes.

Sous quelles formes et par quels moyens l’épuration ethnique continue-t-elle ?

Avec des systèmes plus « propres et présentables ». Depuis un mois le Ministre de la Justice essaie de légitimer les implantations illégales des colons en laissant intacts les avant-postes. Nous savons que la Haute Cour de Justice est en train de décider si elle doit autoriser le gouvernement à réduire les stocks de carburant, en supprimant l’énergie électrique à Gaza, où vivent un million de Palestiniens qui se retrouveraient sans possibilité de boire de l’eau, parce que la nappe phréatique est polluée par les égouts, et que seul un système de dépuration électrique peut la rendre potable. Mais de ces exemples pour anéantir les Palestiniens il y en a des dizaines, à commencer par le mur, qui est accepté par les Usa et l’Union Européenne.

Qu’est-ce qu’Israël demande à ses alliés ?

Que son modèle soit accepté tel quel. Pendant la guerre de 1967, 300 000 Palestiniens ont été expulsés de Cisjordanie ; pendant ces sept dernières années, la purification ethnique est devenue « construction du mur », qui repousse les Palestiniens vers le désert, hors de la zone assignée du Grand Jérusalem. Le problème est que les dirigeant israéliens conçoivent leur Etat en termes ethniques, raciaux, et sont donc des racistes à tous points de vue. Et cela est perçu par les Palestiniens ; et c’est le plus grand obstacle sur la voie d’une paix entre la Palestine et Israël. Ce qui est appelé « processus de paix » se réduit à : quelle part de la Palestine faut-il de nouveau annexer à Israël et quelle part, très petite, peut-on, éventuellement, donner au peuple palestinien.

Que peut-on faire pour inverser ce processus ?

Avant tout changer notre langage. Il ne s’agit pas d’un affrontement entre juifs et Palestiniens. C’est du colonialisme. Et c’est incroyable qu’au 21ème siècle on puisse encore accepter une politique coloniale. Il faut imposer à Israël les mêmes mesures qu’on avait employées contre le gouvernement raciste de l’Afrique du Sud, dans les années 60-70. Il existe aujourd’hui des mouvements d’opinion de jeunes juifs, en Europe et aux Usa, qui dénoncent la politique colonialiste et critiquent Israël en tant qu’état colonialiste et raciste, pas en tant qu’état fondé par des juifs.

La législation française (et d’autres pays européens) met des restrictions au droit d’exprimer des opinions « révisionnistes » à l’égard d’Israël, mais ne prend pas position pour l’application systématique des résolutions de l’Onu.

J’ai eu une expérience de ce genre il y a deux ans environ. Ma conférence fut interrompue par un groupe d’extrémistes, juifs comme moi, qui m’empêchèrent de continuer. La police arriva, pour me protéger d’eux, pas pour m’accuser. Quant au silence, il est beaucoup plus commode pour les gens de penser de façon conventionnelle. Il faut avoir beaucoup d’énergie et d’originalité pour agir autrement. La Résolution 194, par exemple, établit que les réfugiés palestiniens ont le droit de retourner sur leurs terres. Mais c’est plus facile de ne rien faire et de continuer à penser avec les mêmes formules.

Est-ce que ce sont pour les mêmes raisons que la gauche italienne continue à proposer le modèle « deux peuples deux états » ?

Il est certain que la gauche italienne n’est pas courageuse. Mais elle devra changer, par force, parce que la situation sur le terrain devient catastrophique. Si Israël envahit Gaza, comme c’est dans l’ordre actuel des choses, ils tueront énormément de Palestiniens et pourtant ils ne changeront pas la réalité. Gaza est une grande prison, et il arrivera ce qui se passe dans les révoltes des prisons : l’armée rétablira « ordre et propreté », avec des coups et des tueries. Ce sera un massacre mais, quand ils repartiront, la situation sera toujours la même.

Quels résultats pourraient par contre donner la solution des deux peuples à l’intérieur d’un état unique ?

Il est nécessaire que les populations s’acceptent, que les juifs reconnaissent leurs frères et voisins arabes et vice versa. Après avoir reconnu l’histoire pour ce qu’elle est et après avoir assumé chacun ses propres responsabilités. Reconnaissance, responsabilité et acceptation. En suivant cette voie on pourra arriver à un état unique, où compte le principe « un homme une voix » et où les citoyens, même s’ils ne s’aiment pas, pourront cohabiter. C’est un projet qu’on peut atteindre si on continue à critiquer et à empêcher les crimes qui continuent à être commis par Israël, et si l’on poursuit la campagne de désinvestissement (BDS : Boycott, Désinvestissement, Sanctions, NdT), comme ça a été le cas en Afrique du Sud.

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/23-Dicembre-2007/art36.html


Saturday, December 27, 2008

Bloodshed in Palestine - GAZA MASSACRE

UN APPEL DE TADAMON MONTREAL!

(english below)


Manifestons pour dénoncer l’odieux massacre perpétré à Gaza par Israël

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DIMANCHE 28 DÉCEMBRE 2008, 13h00, Square Norman Bethune, Angle des rues Guy et de Maisonneuve, (métro Guy-Concordia http://www.tadamon.ca/post/2244

Réagissons contre le massacre que le régime d’apartheid israélien vient de perpétrer à Gaza.
Au moins 200 Palestiniens ont été tués lors de la récente attaque d’Israël sur la bande de Gaza, et davantage de sang pourrait être versé, car cette attaque se poursuit. Il s’agit du plus important massacre commis à Gaza depuis son occupation illégale par Israël en 1967. De nombreuses victimes sont des civils, et leur nombre continue d’augmenter. L’opération de l’armée israélienne, baptisée « Opération plomb durci », rappelle des incursions antérieures à Gaza caractérisées par des attaques aveugles sur des secteurs peuplés de civils, des détentions massives, de violentes démolitions de maisons et autres formes de punitions collectives contre le peuple palestinien. De plus, cette manifestation dénoncera l’appui total du gouvernement canadien à Israël, illustré par le renforcement bilatéral des liens sur les plans militaire, politique et économique. Ce nième massacre exécuté à Gaza se déroule avec la complicité officielle du Canada à l’égard du siege illégal qu’Israël impose à Gaza et des sanctions continues que subissent les civils de Gaza. Depuis deux ans, la bande de Gaza subit la violence quotidienne de la vaste catastrophe humanitaire causée par les Lourdes restrictions pesant sur l’accès aux ressources énergétiques, à la nourriture et aux médicaments. De fait, Gaza est la plus vaste prison en plein air du monde. À l’heure actuelle, nous ne pouvons que réaffirmer le plus fermement possible notre engagement à continuer de mobiliser tous nos amis et allies des autres mouvements sociaux progressistes, afin de répondre à l’appel lancé par plus de 170 groupes de la société civile palestinienne visant une large campagne de boycottage, de désinvestissement et de sanctions contre Israël. Comme le Père Miguel D'Escoto Brockman, président de l’assemblée générale des Nations Unies, l’a déclaré dans son récent discours : « Il y a plus de vingt ans, nous, aux Nations Unies, avons repris l’initiative de la société civile lorsque nous avons convenu que des sanctions étaient nécessaires pour assurer des moyens de pression non-violents sur l’Afrique du Sud afin qu’elle mette fin à ses violations. Aujourd’hui, peut-être que nous, aux Nations Unies, devrions envisager de suivre la voie d’une nouvelle génération de la société civile, qui demande une champagne non-violente de boycott, de désinvestissement et de sanctions afin de faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à ses violations. » Gens de conscience, demain, joignez-vous à nous pour manifester votre solidarité avec les Palestiniens de Gaza et exiger la fin de l’apartheid israélien.

Organisé par: Solidarité pour les droits humains des Palestiniens (SDHP) et Tadamon!

Tadamon! (« solidarité » en arabe) est un collectif montréalais qui apporte sa contribution solidaire aux luttes pour l’autodétermination, l’égalité et la justice au Moyen-Orient et dans les communautés de la diaspora, à Montréal et ailleurs. Tadamon! mène actuellement des campagnes politiques au Canada, dont la campagne visant le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre l’État d’apartheid israélien. http://www.tadamon.ca/


Demonstration: Solidarity with Gaza commemorate Palestinian victims of Israeli massacre in Gaza

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SUNDAY, DECEMBER 28th, 13h00, 2008, Norman Bethune Square, corner: Guy & de Maisonneuve, (metro Guy-Concordia), Montreal, Quebec http://www.tadamon.ca/post/2244

In response to the latest massacre of Palestinians executed by the Israeli apartheid regime. At least 200 Palestinians have been killed in the latest Israeli assault on the Gaza Strip, while the threat for further bloodshed still hands heavily over the skies in Palestine as the current Israeli assault over Gaza continues. This is the single largest massacre in Gaza since Israel illegally occupied Gaza in 1967, many among the dead are civilians and the numbers keeps mounting. Israel's military operation "Cast Lead" has echoes of previous Israeli raids into Gaza that have been characterized by indiscriminate attacks on civilian population centers, mass detentions, violent house demolitions and other forms of collective punishment against the Palestinian people. Additionally this demonstration will address the Canadian government's total support towards Israel, best exemplified increased bilateral military, political and economic links. Israel's latest massacre in Gaza occurs with official Canadian complicity towards Israel's illegal siege and ongoing sanctions over the civilian population in Gaza. Over the past two years the Gaza Strip has been undergoing the daily violence of a wide-ranging humanitarian catastrophe triggered by severely reduced access to energy, food, and medicines. In effect, Gaza is the world's largest open air prison. At this moment, we can only reaffirm our commitment in the strongest possible terms to continue mobilizing friends and allies in other progressive social movements to respond to the call by over 170 Palestinian civil society organizations for a comprehensive campaign of boycott, sanctions and divestment (BDS). As H.E. Father Miguel D'Escoto Brockman, President of the United Nations General Assembly state in a recent speech: "More than twenty years ago we in the United Nations took the lead from civil society when we agreed that sanctions were required to provide a nonviolent means of pressuring South Africa to end its violations. Today, perhaps we in the United Nations should consider following the lead of a new generation of civil society, who are calling for a similar non-violent campaign of boycott, divestment and sanctions to pressure Israel to end its violations."

Join us on the streets tomorrow as people of conscience to stand in solidarity with the Palestinian people of Gaza and an end to Israeli apartheid. Organized by:
Solidarity for Palestinian Human Rights (SPHR) and Tadamon! Tadamon! (Arabic for “solidarity”), is a Montreal-based collective which works in solidarity with struggles for self-determination, equality and justice in the ‘Middle East’ and in diaspora communities in Montreal and beyond. Tadamon! ongoing political campaigns operating in Canada, including the campaign for boycott, divestment and sanctions against Israeli apartheid state. http://www.tadamon.ca/


Tadamon! Montreal, tel: 514 664 1036, email: info[at]tadamon.ca

Friday, December 12, 2008

JUSTICE TRANSITIONNELLE AU LIBAN: VISIONS DE JEUNES ACTIVISTES

Par PAMELA CHRABIEH BADINE, PhD.

Séminaire et atelier (Institut Français du Proche-Orien, Beyrouth)

« Victimes des conflits et usages de la mémoire »


Vendredi 12 décembre 2008, CENTRE CULTUREL FRANCAIS, Mathaf - LIBAN

Sonder la problématique de la justice transitionnelle au Liban revient à traiter en premier lieu des problématiques de la guerre et de la paix. C’est ce que j’ai tenté de faire entre le début de l’année 2005 et le début de l’année 2008 en entreprenant deux recherches post-doctorales qualitatives, consécutives et complémentaires, financées par l’Université de Montréal (Québec, Canada) et le gouvernement canadien. Je m’y suis concentrée sur les visions de la guerre et de la paix et les pratiques de la paix de cinq ONGs libanaises implantées au Liban et au Canada et de plus de 40 jeunes activistes libanais de la génération des 25-40 ans, vivant au Liban, au Canada, ou entre les deux pays, oeuvrant à titre individuel ou collectif : des artistes, des blogueurs, des journalistes, des académiciens, des psychologues, des membres ou des fondateurs d’ONGs locales ou transnationales, etc. Les résultats de ces recherches furent publiés par Dar el-Machreq (Beyrouth): Voix-es de paix au Liban. Contribution de jeunes de 25-40 ans à la reconstruction nationale, 2008 - CONSULTER AUSSI POUR DES INFORMATIONS SUR L'APPROCHE CONCEPTUELLE ET LA METHODOLOGIE ADOPTEES.

Je ne pourrai évidemment pas présenter les résultats détaillés de ces recherches, mais je pourrai étayer quelques exemples de visions de la guerre et de la paix de ces jeunes, afin de comprendre les visions de la justice transitionnelle de certains d’entre eux, pour enfin émettre quelques recommandations pratiques. Il est aussi évident que ces exemples ne résument nullement les visions de tous les jeunes libanais, ni de l’ensemble du milieu activiste.

I- Visions de la guerre:

A) Guerre civile – islamo-chrétienne notamment - 5%: Début : 1975 et fin : 1990
Période actuelle : « post-guerre »
Combats de l’été 2006 : « nouvelle guerre »

B) Guerre pour les autres ou guerre des autres sur le sol libanais- 5 %: Début : 1975 et fin : 1990
Période actuelle : « post-guerre »
Combats de l’été 2006 : « nouvelle guerre »

C) Pour la majorité des jeunes : guerre multiforme et relevant de multiples causes et facteurs ; cercle vicieux constitué de deux dimensions interreliées (physique et psychique – cf. Adnan Houballah dans Le virus de la violence, 1996) - 90 %: Guerre continue (pas de limites précises dans le temps, tant pour « l’origine » ou « le point de départ » que pour la « fin »).

Visions de la paix :

Selon l’ensemble des jeunes questionnés dans le cadre de notre recherche, il est nécessaire de « ne pas oublier », « d’apprendre des leçons du passé et du présent tant positives que négatives », de construire-reconstruire la mémoire individuelle, collective et nationale de la guerre (passage obligé du souvenir au ressouvenir) en vue de la paix. Toutefois, le qui, le quoi et le pourquoi-comment diffèrent d’un groupe à l’autre :

A) Mémoire de la guerre : relative à la période 1975-1990- celle de milices, d’instances-autorités religieuses et politiques, des seigneurs de la guerre (mémoire du « pouvoir » interne) et à la rigueur, mémoires collectives religieuses-confessionnelles: Responsabilisation de l’interne religieux-confessionnel, ainsi que du « pouvoir » interne ayant instrumentalisé ce religieux-confessionnel - Victime : la population libanaise, chrétienne et musulmane, mais n’ayant pas instrumentalisé le religieux-confessionel à des fins politiques (et vice-versa) ou n’ayant pas eu le choix - Solutions: dialogue islamo-chrétien au niveau des leaders; dialogue islamo-chrétien au niveau de « la base »; RÉCONCILIATION ISLAMO-CHRÉTIENNE (PAS DE MENTION DE JUSTICE, mais LE PARDON MUTUEL ET LA FOI).
B) Mémoire de la guerre : relative à la période 1975-1990 - tenant compte des acteurs externes (mémoire du « pouvoir » externe) et internes à la solde de l’externe; Responsabilisation de l’externe et de l’interne qui est à la solde de l’externe).; Victime : la population libanaise « non vendue » à l’externe.; Position contre la loi d’amnistie de 1991 - SOLUTIONS: indépendance politique vis-à-vis des puissances régionales et internationales (« neutralité suisse »); meilleure gestion des alliances avec l’externe; justice rétributive ou punitive à appliquer aux puissances voisines ex : Israël et Syrie (de préférence dans le cadre d’une cour internationale) – mais sélection des crimes commis ; et évidemment, à appliquer aux acteurs internes ayant commis ces crimes avec l’aide de l’externe.
C) Importance accordée aux mémoires individuelles et collectives de tous les acteurs sociaux – surtout aux mémoires des sans-voix (minorités de position : femmes, jeunes, « apostats », minorités religieuses ou idéologiques, underground channels, membres de la diaspora…); Mémoire de la guerre : en mouvement, faite de cumuls, de relectures, de transformations; Mémoires internes et externes remises en question ou revisitées. Importance de trouver l’unité dans la diversité des mémoires; Responsabilisation mutuelle – acteurs internes et externes. Acteurs internes : victimes et bourreaux à la fois, ni victimes ni bourreaux à la fois. Position contre la loi d’amnistie de 1991. Acteurs externes : bourreaux (et certains jeunes n’emploient même pas la dichotomie bourreaux-victimes, en identifiant uniquement des dynamiques de course au pouvoir) - SOLUTIONS: Dialogue national: cf. visions de la justice transitionnelle; Dialogue régional-international : meilleure gestion des rapports libanais avec les puissances régionales et internationales (certains jeunes demandent ici qu’il y ait un processus de justice internationale, notamment vis-à-vis des puissances voisines -Israël et Syrie-, mais ne perçoivent pas la justice rétributive-punitive comme étant « la » solution); Autres facteurs à traiter : crise économique, disparités sociales, crise environnementale, inégalités des genres, etc.

Visions de la « justice transitionnelle » :

Seuls des jeunes du groupe C ont mentionné l’importance de la « justice transitionnelle » en tant que lutte contre l’impunité et donc une étape cruciale pour briser le cercle de la guerre et instaurer la paix. Selon ces jeunes, il s’agit d’une justice régulatrice et sanctionnatrice de « l’exceptionnel”, difficilement saisissable. Preuve en est, la définition retenue par les Nations-Unies dans le Rapport du Secrétaire général présenté devant le Conseil de sécurité : « [la justice transitionnelle est] l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».

Ce processus de justice transitionnelle répond donc aux quatre exigences de droit à la vérité, droit à la justice, droit à la réparation et garantie de non-récurrence. Dans la pratique, il se réalise à travers cinq axes majeurs : poursuite en justice des auteurs des crimes ; initiatives en faveur de la recherche de la vérité en vue d’appréhender les violations commises par la passé ; réconciliation ; octroi de réparation aux victimes de violations des droits de l’homme ; et réforme des institutions judiciaires et politiques.

Tout en ayant connaissance de ces exigences et axes, les jeunes questionnés ont révélé des avis divergents:

- Ceux pour une loi d’amnistie suite à un processus de réconciliation nationale officiel entre tous les leaders.

- Ceux pour une loi d’amnistie suite à un processus de réconciliation nationale au sein de la société et avec les leaders avec pour valeur commune et marqueur identitaire le dialogue islamo-chrétien (pour certains, le dialogue doit être multiforme et non seulement interreligieux).

- Ceux pour des programmes pratiques non-officiels et généralisés progressivement, axés sur des thèmes comme la reconnaissance du passé et la quête de la vérité, la consolidation de la confiance entre l’État et les citoyens, la réconciliation nationale, la mémoire et la commémoration publiques. La finalité est la consolidation de la convivialité. Une loi d’amnistie n’est pas nécessaire dans ce cas. On penche plutôt pour le pardon réciproque à travers des dynamiques sociales « naturelles » qui sont déjà en place et qu’il faut renforcer.

- Ceux pour une commission vérité en tant qu’organe officiel temporaire mis en place pour enquêter sur les violations des droits de l’homme – dans cette perspective, les travaux entrepris par des individus et des ONGs sont importants mais insuffisants.

Or divers problèmes se posent ici : quelle période, qui sont les victimes, les témoins et les auteurs de violations, quelles violations, qu’en est-il des responsabilités de gouvernements et groupes étrangers, quels événements retenir, quels critères à adopter pour les identifier, qui serait habilité à former cette commission et à en être membre, etc. Les commissions de vérité déjà entreprises ailleurs dans le monde (plus de 30, surtout depuis les années 90 : Afrique du Sud, Argentine, Chili, Corée du Sud, Fidji, Ghana, Guatemala, Libéria, Maroc, Panamá, Pérou, Salvador, Sierra Leone, Timor oriental etc.) ont des structures communes qu’il nous semble difficiles à adopter au Liban : un terme au conflit dont il est question (absence de consensus) ; disposer d’un soutien politique et populaire (des enquêtes à grande échelle doivent être entreprises, donc il est encore tôt pour se prononcer là-dessus) ; un soutien international est souvent indispensable, notamment pour les coûts de fonctionnement mais quel soutien accepter et sous quelle forme; définir un mandat clair et précis - période de fonctionnement, période soumise à l’enquête, types de violations en cause, activités fondamentales, pouvoirs, suites à donner (amnistie ou poursuites). N’oublions pas aussi que les capacités de rendre justice sont au plus bas : faiblesse de l’administration, obstacles juridiques, nécessité de trouver un équilibre entre le traitement du passé et la construction urgente du présent (sécurité, lutte contre la pauvreté et les injustices sociales)...

A notre avis, avant de nous prononcer sur quoique ce soit, il nous semble nécessaire d’entreprendre une ou des études de terrain extensives, tant quantitatives que qualitatives, avec pour objectif de sonder l’opinion publique nationale (notamment la société civile) et transnationale (diaspora) sur la guerre et la paix, et les problématiques reliées dont la justice transitionnelle. Le manque de données fiables concernant les diverses visions et pratiques libanaises mine tout discours ou toute entreprise à ce niveau, lesquels se baseraient pour la plupart sur des spéculations - remarque: affirmer qu'il y a un 'manque' ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'importantes recherches entreprises au Liban et ailleurs, mais de soulever le fait que la recherche appliquée concernant la guerre et la paix est à l'état embryonnaire, sinon elle est disparate.

Ces études appliquées sont d’autant plus nécessaire que l’acceptation de tout processus de sanction-réparation repose avant tout sur son intériorisation, tant par les auteurs que par les victimes, autrement dit sur sa légitimité. La légitimité, dans ce cas, ne releverait pas uniquement des institutions étatiques, des leaders, de la communauté internationale, et des organisations internationales, mais de l’ensemble de la société libanaise dans la diversité de ses idéologies politiques, ses identités religieuses, ses classes socio-économiqes, etc. L’intériorisation est évidemment accomplie lorsque le processus répond à une définition suffisamment englobante pour couvrir la plupart des expériences et suffisamment consensuelle et donc resserrée pour permettre une meilleure implantation du processus de paix par ses protagonistes, même les plus réticents.

Qui pourrait entreprendre ces études : idéalement, un ou des réseaux d’individus et de collectivités de la société civile libanaise et de la diaspora, en concertation avec le gouvernement libanais et les partis politiques, et financés par des organismes étrangers oeuvrant pour la défense des droits de l’homme et pour la paix, n’ayant pas nécessairement une agenda politique particulière, mais plutôt humanitaire. L’interdépendance et la complémentarité sont ici recherchées. Il est grand temps de sortir des tours d'ivoire individuelles et collectives (ex: dans le monde académique et celui des ONGs) - voire de construire des liens durables les uns avec les autres et de ne pas se contenter de travailler dans son coin, en dépit de la pertinence de ce travail. La production du savoir sur la guerre et la paix et sa transmission dans et par un milieu solidaire et multidisciplinaire sont nécessaires pour une réception et intériorisation efficaces, et pourraient offrir aux leaders actuels ce que les anglo-saxons appellent un « golden parachute » - sorte d’immunité temporaire et non d’amnistie. Ouvrir tous les dossiers de guerre comme on l’a suggéré lors d’un séminaire sur la justice transitionnelle au Metropolitan il y a deux semaines ne sera pas chose aisée ; cette entreprise serait même impossible actuellement, car ce elle serait contre-productive vu la capacité mobilisatrice effective des détenteurs du pouvoir. Toutefois, des dynamiques de partenariats multiples et touchant le plus grand nombre d’élites, d’activistes et d’organismes, tant au Liban qu’en diaspora, et avec l’aide d'acteurs régionaux et internationaux - académiciens et ONGs par exemple-, pourrait faire ressortir de nouvelles « règles du jeu » à l’adresse de tous, incluant les leaders actuels, et les faire respecter.

1-La loi d’amnistie de 1991 est perçue contraire aux droits de l’Homme. Ces jeunes demandent la poursuite judiciaire des « Seigneurs de la guerre », principalement des chefs de milices – justice punitive.

2-Rapport du Secrétaire général des Nations-Unies devant le Conseil de sécurité, « Rétablissement de l’Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit », Doc. S/2004/616, 2 août 2004, p. 7 parag. 8.