Par PAMELA CHRABIEH BADINE, PhD.
Séminaire et atelier (Institut Français du Proche-Orien, Beyrouth)
« Victimes des conflits et usages de la mémoire »
Vendredi 12 décembre 2008, CENTRE CULTUREL FRANCAIS, Mathaf - LIBAN
Sonder la problématique de la justice transitionnelle au Liban revient à traiter en premier lieu des problématiques de la guerre et de la paix. C’est ce que j’ai tenté de faire entre le début de l’année 2005 et le début de l’année 2008 en entreprenant deux recherches post-doctorales qualitatives, consécutives et complémentaires, financées par l’Université de Montréal (Québec, Canada) et le gouvernement canadien. Je m’y suis concentrée sur les visions de la guerre et de la paix et les pratiques de la paix de cinq ONGs libanaises implantées au Liban et au Canada et de plus de 40 jeunes activistes libanais de la génération des 25-40 ans, vivant au Liban, au Canada, ou entre les deux pays, oeuvrant à titre individuel ou collectif : des artistes, des blogueurs, des journalistes, des académiciens, des psychologues, des membres ou des fondateurs d’ONGs locales ou transnationales, etc. Les résultats de ces recherches furent publiés par Dar el-Machreq (Beyrouth): Voix-es de paix au Liban. Contribution de jeunes de 25-40 ans à la reconstruction nationale, 2008 - CONSULTER AUSSI POUR DES INFORMATIONS SUR L'APPROCHE CONCEPTUELLE ET LA METHODOLOGIE ADOPTEES.
Je ne pourrai évidemment pas présenter les résultats détaillés de ces recherches, mais je pourrai étayer quelques exemples de visions de la guerre et de la paix de ces jeunes, afin de comprendre les visions de la justice transitionnelle de certains d’entre eux, pour enfin émettre quelques recommandations pratiques. Il est aussi évident que ces exemples ne résument nullement les visions de tous les jeunes libanais, ni de l’ensemble du milieu activiste.
I- Visions de la guerre:
Période actuelle : « post-guerre »
Combats de l’été 2006 : « nouvelle guerre »
B) Guerre pour les autres ou guerre des autres sur le sol libanais- 5 %: Début : 1975 et fin : 1990
Période actuelle : « post-guerre »
Combats de l’été 2006 : « nouvelle guerre »
C) Pour la majorité des jeunes : guerre multiforme et relevant de multiples causes et facteurs ; cercle vicieux constitué de deux dimensions interreliées (physique et psychique – cf. Adnan Houballah dans Le virus de la violence, 1996) - 90 %: Guerre continue (pas de limites précises dans le temps, tant pour « l’origine » ou « le point de départ » que pour la « fin »).
Visions de la paix :
Selon l’ensemble des jeunes questionnés dans le cadre de notre recherche, il est nécessaire de « ne pas oublier », « d’apprendre des leçons du passé et du présent tant positives que négatives », de construire-reconstruire la mémoire individuelle, collective et nationale de la guerre (passage obligé du souvenir au ressouvenir) en vue de la paix. Toutefois, le qui, le quoi et le pourquoi-comment diffèrent d’un groupe à l’autre :
A) Mémoire de la guerre : relative à la période 1975-1990- celle de milices, d’instances-autorités religieuses et politiques, des seigneurs de la guerre (mémoire du « pouvoir » interne) et à la rigueur, mémoires collectives religieuses-confessionnelles: Responsabilisation de l’interne religieux-confessionnel, ainsi que du « pouvoir » interne ayant instrumentalisé ce religieux-confessionnel - Victime : la population libanaise, chrétienne et musulmane, mais n’ayant pas instrumentalisé le religieux-confessionel à des fins politiques (et vice-versa) ou n’ayant pas eu le choix - Solutions: dialogue islamo-chrétien au niveau des leaders; dialogue islamo-chrétien au niveau de « la base »; RÉCONCILIATION ISLAMO-CHRÉTIENNE (PAS DE MENTION DE JUSTICE, mais LE PARDON MUTUEL ET LA FOI).
B) Mémoire de la guerre : relative à la période 1975-1990 - tenant compte des acteurs externes (mémoire du « pouvoir » externe) et internes à la solde de l’externe; Responsabilisation de l’externe et de l’interne qui est à la solde de l’externe).; Victime : la population libanaise « non vendue » à l’externe.; Position contre la loi d’amnistie de 1991 - SOLUTIONS: indépendance politique vis-à-vis des puissances régionales et internationales (« neutralité suisse »); meilleure gestion des alliances avec l’externe; justice rétributive ou punitive à appliquer aux puissances voisines ex : Israël et Syrie (de préférence dans le cadre d’une cour internationale) – mais sélection des crimes commis ; et évidemment, à appliquer aux acteurs internes ayant commis ces crimes avec l’aide de l’externe.
C) Importance accordée aux mémoires individuelles et collectives de tous les acteurs sociaux – surtout aux mémoires des sans-voix (minorités de position : femmes, jeunes, « apostats », minorités religieuses ou idéologiques, underground channels, membres de la diaspora…); Mémoire de la guerre : en mouvement, faite de cumuls, de relectures, de transformations; Mémoires internes et externes remises en question ou revisitées. Importance de trouver l’unité dans la diversité des mémoires; Responsabilisation mutuelle – acteurs internes et externes. Acteurs internes : victimes et bourreaux à la fois, ni victimes ni bourreaux à la fois. Position contre la loi d’amnistie de 1991. Acteurs externes : bourreaux (et certains jeunes n’emploient même pas la dichotomie bourreaux-victimes, en identifiant uniquement des dynamiques de course au pouvoir) - SOLUTIONS: Dialogue national: cf. visions de la justice transitionnelle; Dialogue régional-international : meilleure gestion des rapports libanais avec les puissances régionales et internationales (certains jeunes demandent ici qu’il y ait un processus de justice internationale, notamment vis-à-vis des puissances voisines -Israël et Syrie-, mais ne perçoivent pas la justice rétributive-punitive comme étant « la » solution); Autres facteurs à traiter : crise économique, disparités sociales, crise environnementale, inégalités des genres, etc.
Visions de la « justice transitionnelle » :
Seuls des jeunes du groupe C ont mentionné l’importance de la « justice transitionnelle » en tant que lutte contre l’impunité et donc une étape cruciale pour briser le cercle de la guerre et instaurer la paix. Selon ces jeunes, il s’agit d’une justice régulatrice et sanctionnatrice de « l’exceptionnel”, difficilement saisissable. Preuve en est, la définition retenue par les Nations-Unies dans le Rapport du Secrétaire général présenté devant le Conseil de sécurité : « [la justice transitionnelle est] l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».
Ce processus de justice transitionnelle répond donc aux quatre exigences de droit à la vérité, droit à la justice, droit à la réparation et garantie de non-récurrence. Dans la pratique, il se réalise à travers cinq axes majeurs : poursuite en justice des auteurs des crimes ; initiatives en faveur de la recherche de la vérité en vue d’appréhender les violations commises par la passé ; réconciliation ; octroi de réparation aux victimes de violations des droits de l’homme ; et réforme des institutions judiciaires et politiques.
Tout en ayant connaissance de ces exigences et axes, les jeunes questionnés ont révélé des avis divergents:
- Ceux pour une loi d’amnistie suite à un processus de réconciliation nationale officiel entre tous les leaders.
- Ceux pour une loi d’amnistie suite à un processus de réconciliation nationale au sein de la société et avec les leaders avec pour valeur commune et marqueur identitaire le dialogue islamo-chrétien (pour certains, le dialogue doit être multiforme et non seulement interreligieux).
- Ceux pour des programmes pratiques non-officiels et généralisés progressivement, axés sur des thèmes comme la reconnaissance du passé et la quête de la vérité, la consolidation de la confiance entre l’État et les citoyens, la réconciliation nationale, la mémoire et la commémoration publiques. La finalité est la consolidation de la convivialité. Une loi d’amnistie n’est pas nécessaire dans ce cas. On penche plutôt pour le pardon réciproque à travers des dynamiques sociales « naturelles » qui sont déjà en place et qu’il faut renforcer.
- Ceux pour une commission vérité en tant qu’organe officiel temporaire mis en place pour enquêter sur les violations des droits de l’homme – dans cette perspective, les travaux entrepris par des individus et des ONGs sont importants mais insuffisants.
Or divers problèmes se posent ici : quelle période, qui sont les victimes, les témoins et les auteurs de violations, quelles violations, qu’en est-il des responsabilités de gouvernements et groupes étrangers, quels événements retenir, quels critères à adopter pour les identifier, qui serait habilité à former cette commission et à en être membre, etc. Les commissions de vérité déjà entreprises ailleurs dans le monde (plus de 30, surtout depuis les années 90 : Afrique du Sud, Argentine, Chili, Corée du Sud, Fidji, Ghana, Guatemala, Libéria, Maroc, Panamá, Pérou, Salvador, Sierra Leone, Timor oriental etc.) ont des structures communes qu’il nous semble difficiles à adopter au Liban : un terme au conflit dont il est question (absence de consensus) ; disposer d’un soutien politique et populaire (des enquêtes à grande échelle doivent être entreprises, donc il est encore tôt pour se prononcer là-dessus) ; un soutien international est souvent indispensable, notamment pour les coûts de fonctionnement mais quel soutien accepter et sous quelle forme; définir un mandat clair et précis - période de fonctionnement, période soumise à l’enquête, types de violations en cause, activités fondamentales, pouvoirs, suites à donner (amnistie ou poursuites). N’oublions pas aussi que les capacités de rendre justice sont au plus bas : faiblesse de l’administration, obstacles juridiques, nécessité de trouver un équilibre entre le traitement du passé et la construction urgente du présent (sécurité, lutte contre la pauvreté et les injustices sociales)...
A notre avis, avant de nous prononcer sur quoique ce soit, il nous semble nécessaire d’entreprendre une ou des études de terrain extensives, tant quantitatives que qualitatives, avec pour objectif de sonder l’opinion publique nationale (notamment la société civile) et transnationale (diaspora) sur la guerre et la paix, et les problématiques reliées dont la justice transitionnelle. Le manque de données fiables concernant les diverses visions et pratiques libanaises mine tout discours ou toute entreprise à ce niveau, lesquels se baseraient pour la plupart sur des spéculations - remarque: affirmer qu'il y a un 'manque' ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'importantes recherches entreprises au Liban et ailleurs, mais de soulever le fait que la recherche appliquée concernant la guerre et la paix est à l'état embryonnaire, sinon elle est disparate.
Ces études appliquées sont d’autant plus nécessaire que l’acceptation de tout processus de sanction-réparation repose avant tout sur son intériorisation, tant par les auteurs que par les victimes, autrement dit sur sa légitimité. La légitimité, dans ce cas, ne releverait pas uniquement des institutions étatiques, des leaders, de la communauté internationale, et des organisations internationales, mais de l’ensemble de la société libanaise dans la diversité de ses idéologies politiques, ses identités religieuses, ses classes socio-économiqes, etc. L’intériorisation est évidemment accomplie lorsque le processus répond à une définition suffisamment englobante pour couvrir la plupart des expériences et suffisamment consensuelle et donc resserrée pour permettre une meilleure implantation du processus de paix par ses protagonistes, même les plus réticents.
Qui pourrait entreprendre ces études : idéalement, un ou des réseaux d’individus et de collectivités de la société civile libanaise et de la diaspora, en concertation avec le gouvernement libanais et les partis politiques, et financés par des organismes étrangers oeuvrant pour la défense des droits de l’homme et pour la paix, n’ayant pas nécessairement une agenda politique particulière, mais plutôt humanitaire. L’interdépendance et la complémentarité sont ici recherchées. Il est grand temps de sortir des tours d'ivoire individuelles et collectives (ex: dans le monde académique et celui des ONGs) - voire de construire des liens durables les uns avec les autres et de ne pas se contenter de travailler dans son coin, en dépit de la pertinence de ce travail. La production du savoir sur la guerre et la paix et sa transmission dans et par un milieu solidaire et multidisciplinaire sont nécessaires pour une réception et intériorisation efficaces, et pourraient offrir aux leaders actuels ce que les anglo-saxons appellent un « golden parachute » - sorte d’immunité temporaire et non d’amnistie. Ouvrir tous les dossiers de guerre comme on l’a suggéré lors d’un séminaire sur la justice transitionnelle au Metropolitan il y a deux semaines ne sera pas chose aisée ; cette entreprise serait même impossible actuellement, car ce elle serait contre-productive vu la capacité mobilisatrice effective des détenteurs du pouvoir. Toutefois, des dynamiques de partenariats multiples et touchant le plus grand nombre d’élites, d’activistes et d’organismes, tant au Liban qu’en diaspora, et avec l’aide d'acteurs régionaux et internationaux - académiciens et ONGs par exemple-, pourrait faire ressortir de nouvelles « règles du jeu » à l’adresse de tous, incluant les leaders actuels, et les faire respecter.
1-La loi d’amnistie de 1991 est perçue contraire aux droits de l’Homme. Ces jeunes demandent la poursuite judiciaire des « Seigneurs de la guerre », principalement des chefs de milices – justice punitive.
2-Rapport du Secrétaire général des Nations-Unies devant le Conseil de sécurité, « Rétablissement de l’Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit », Doc. S/2004/616, 2 août 2004, p. 7 parag. 8.
Réponse à ceux qui se trompent d'ennemi
ReplyDeleteJe reçois actuellement des messages me mettant en garde contre l’islam et les Musulmans, plusieurs en quelques jours…Certains de ces messages parlent de menace, d’islamisation de l’Europe, voir d’invasion… Je fais le choix de ne pas reproduire ces écrits qui ne font que propager la peur sans apporter de réels éléments de réflexion ou d’information, quand ils ne sont pas purement irrationnels. Je m’opposerais toujours sur ce blog aux propos islamophobes, mais aussi aux propos judéophobes et christianophobes. Je ne peux pas répondre individuellement à toutes les personnes qui m’écrivent à ce sujet, voilà l’une des réponses que j’ai faite :
http://le-jardin.over-blog.net/article-25821776.html
Pour info : ma trajectoire spirituelle se réoriente peu à peu, ma vocation personnelle se clarifie et se précise depuis quelques semaines… mon engagement évolue... Mon blog va se transformer progressivement… sur la forme et le contenu… Je vous tiendrais au courant !
A très bientôt !
Que Dieu vous bénisse en abondance et illumine votre vie !
Fraternité
Thierry
Check out Naam lil Hiwar channel on YouTube at:
ReplyDeletewww.youtube.com/user/naamlillhiwar
"Hegel was right when he said that we learn from history that man can never learn anything from history."
George Bernard Shaw
Irish dramatist & socialist (1856 - 1950)
Nahwa al Muwatiniya is pleased to invite you to an open dialogue session titled:
Ex-Militiamen as Mutant Ninja Turtles
with:
Rami Oleik – ex-fighter in "Hezbollah", and the founder of the organization "Lebanon Ahead"
And other individuals with a similar experience
A militiaman was never a pretty sight. In 1991, after the Lebanese civil war, most militiamen metamorphosed into hired soldiers in the national army while others disappeared into oblivion, perhaps still fighting their psychological demons of the war.
However a few had a remarkable change due to a contradictory process of chromosome mutation: From a member of one militia, to a member of the opposing militia. From a believer in one political ideology, to the opposing one. From militiaman, to peacemaker. From the anarchist, to the model citizen. An interesting case of militiaman recycling!
Feeling useful today, some of these mutant fighters are waging a different fight of citizenship, responsibility, and leadership in civil society. Should they get a second chance? That’s dependent on the kind of message, personal ego and role they hope to play, as well as on the public’s perception and response to the memory of the past, and perhaps the coming war.
PLACE:Café Yet, Hadi Nasrallah Boulevard, facing Blom Bank
DATE:Monday, December 22, at 7:00 p.m. sharp
For more information:
01 354466 / 03 562478
info@na-am.org
Fellowships for Threatened Academics: Professors, Researchers and Lecturers
ReplyDeleteApplication Deadline: January 31st, 2009
How The Scholar Rescue Fund Works:
Professors, established researchers and other senior academics from any country, field or discipline may qualify. Preference is given to scholars with a Ph.D. or other highest degree in their field; who have extensive teaching or research experience at a university, college or other institution of higher learning; who demonstrate superior academic accomplishment or promise; and whose selection is likely to benefit the academic community in the home and/or host country or region. Applications from female scholars and under-represented groups are strongly encouraged.
Fellowships are awarded for visiting academic positions ranging from 3 months to 1 calendar year. Awards are issued for up to US $25,000, plus health insurance.
Fellowships are disbursed through host academic institutions for direct support of scholar-grantees. In most cases, host campuses are asked to match the SRF fellowship award through partial salary/stipend support, and/or housing, research materials, and other in-kind assistance.
Applications are accepted at any time. Non-emergency applications will be considered according to the following schedule:
Winter 2009: Application received by January 31st; decision by March 15th.
Summer 2009: Applications received by June 15th; decision by July 31st.
Fall 2009: Applications received by September 15th; decision by October 31st.
To apply, please download the information and application materials from:
Scholar Rescue Fund - For Scholars
For universities and colleges interested in hosting an SRF scholar:
Scholar Rescue Fund - For Hosts
Please contact us at:
IIE Scholar Rescue Fund Fellowships
809 U.N. Plaza
New York, New York 10017
Tel: (USA) 1-212-205-6486
Fax: (USA) 1-212-205-6425
E-mail: SRF(at)iie.org
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Bonjour Pamela, j'appuie certainement le fait que les tours d'ivoire existent au Liban et en grande masse. Absence de liens tangibles entre ONGs et academiciens. Chacun croit détenir la vérité et ne veut pas écouter autrui. D'ailleurs, les ONGs qui traitent de sujets et de causes connexes se font parfois la guerre (commérage et propagande négative). Je le constate lors de réunions de conseils d'administration ou alors d'assemblées générales ou dans les coulisses. S'il ya une véritable solidarité, une force de frappe sera constituée. Tant que des dissenssions internes existent, la culture de la guerre sera la seule culture qui sera transmise de génération en génération. Et j'appuie la citation de Shaw (commentaire de Nahwa al-Muwatiniya).
ReplyDeleteMerci pour ton excellent texte!
G.