Thursday, June 11, 2009

Élections libanaises. Un système politique captif des jeux d’influence

Par Aziz Enhaili
Article paru sur Tolerance.ca

Le Liban est un pays profondément divisé. Une donne qui facilite les manipulations du système politique par des acteurs politiques domestiques et fait du pays l'otage de jeux d'influence de puissances régionales et internationales. Les élections législatives de juin 2009 n'ont pas échappé à cette donne. Une illustration d'un aveuglément géopolitique dangereux.

Le 7 juin dernier, les Libanais ont eu rendez-vous avec les urnes pour choisir à la majorité simple leurs 128 députés parmi les 587 candidats qui se sont présentés dans 26 circonscriptions électorales. Au-delà de cette multitude, deux alliances se regardaient en chiens de faïence. La première, celle de la majorité sortante, porte le nom de l'«Alliance du 14 Mars». La seconde coalition, celle de l'opposition, porte le nom d'«Alliance du 8 Mars». Cette dernière est nommée d'après la date de la «Révolution du cèdre» (2005), version locale et limitée des «révolutions d'orange», qui a débouché le 26 avril 2005 sur le retrait des forces militaires syriennes du pays. Au diapason de la résolution 1559 adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité de l'Onu, dans le sillage d'un enthousiasme débordant des présidents américain et français d'alors. Du jamais vu depuis le déclenchement de la guerre d'Irak au printemps 2003.

«L'Alliance du 14 Mars» est une coalition de partis politiques et de personnalités indépendantes hostiles à l'influence syrienne au Liban. Le député Saad Hariri, chef du Courant du futur et fils de Rafic Hariri, ancien premier ministre assassiné (14 février 2005), est son principal dirigeant et interface avec le monde extérieur. Cette coalition regroupe principalement les représentants d'une partie importante de trois communautés: les musulmans sunnites, les chrétiens maronites et les musulmans druzes. Si le chef maronite du Mouvement patriotique libre (MPL), le général à la retraite Michel Aoun, a quitté le camp anti-syrien avant les élections législatives de 2005, d'autres leaders, comme le druze Walid Joumblatt (Parti socialiste progressiste) et les maronites Samir Geagea (Forces libanaises) et l'ancien président de la république, Amine Gemayel (Phalanges libanaises), y sont restés. Au parlement sortant, ses 72 sièges (56%) ont permis à cette coalition d'être majoritaire.

L'assassinat de quelques-unes de ses figures de proue (Pierre Gemayel, Antoine Ghanem, Georges Haoui, Gibrane Tueni, Walid Aido) n'a pas changé ce rapport de forces avec le camp adverse. Il a même radicalisé ses positions anti-syriennes.

«L'Alliance du 8 Mars» est une coalition de plusieurs partis politiques opposés au gouvernement de l'«Alliance du 14 Mars». Elle favorise le rapprochement avec la Syrie. Elle est nommée en référence à la journée où 400.000 personnes ont manifesté, à Beyrouth, suite à l'appel des partis chiites Hezbollah et Amal, en faveur de la Syrie. À cette occasion, les ténors de cette coalition ont remercié Damas pour son rôle dans la «pacification» et la stabilisation du pays, et lui ont demandé d'aider la résistance libanaise contre les forces d'occupation israéliennes. Ses principales composantes étaient au départ le Hezbollah (Parti de Dieu), le Mouvement Amal, le Parti communiste libanais, le Parti socialiste arabe, le Parti nationaliste social syrien, le Parti démocratique arabe, le Parti démocratique libanais et le Mouvement Marada. Avant d'être rejointes en 2006 par le MPL d'Aoun. Le même général qui avait tourné en 1989 les armes contre les forces militaires syriennes stationnées au Liban, avant de partir en exil en France pour de longues années. Sans oublier sa participation à la «Révolution du cèdre». Au Parlement sortant, cette alliance d'opposition détenait 56 sièges (43%).

Parmi ces différentes composantes du camp d'opposition, le Hezbollah occupe une place à part sur l'échiquier national et régional.

Avec l'invasion israélienne en 1982 et la brutalité de son occupation notamment au Sud-Liban, la communauté chiite s'est dotée d'une nouvelle formation politico-militaire pour chasser l'envahisseur. Le Hezbollah a bénéficié d'un appui syrien et d'une importante aide politique, militaire et financière iranienne.

Si les forces armées de plusieurs pays arabes (Égypte, Syrie et Jordanie) n'avaient jamais réussi, à quatre reprises (1948, 1967, 1972 et 1982), à triompher de l'armée israélienne, le Parti de Dieu l'a en revanche fait à deux reprises. Il a d'abord chassé Tsahal du sud du Liban en 2000. Il l'a ensuite défait en 2006. En échouant à atteindre quelque objectif stratégique que ce soit lors de cette guerre, Tsahal a perdu son pouvoir de dissuasion au niveau régional. Ainsi, la défaite et la peur ont changé de camp. Et du coup, le Hezbollah et son chef charismatique Hassan Nasrallah se sont mérité une popularité au-delà des frontières communautaires et même au-delà des frontières du pays. Ces victoires militaires ont de plus renforcé le poids de cette formation islamo-nationaliste au sein de la communauté chiite.

Si le Hezbollah figure sur les listes américaine et canadienne des organisations terroristes, il est à la fois parti politique légal et milice armée. Il est représenté au parlement libanais et siégeait jusqu'à une date récente au gouvernement. Il dispose de son propre groupe de médias, incluant une chaîne satellitaire (al-Manar). Il fournit des services sociaux et des aides économiques aux nécessiteux oubliés de la coalition sunnite-maronite au pouvoir à Beyrouth, la capitale du pays.

Mais, comme le système politique libanais ne s'est pas ajusté au nouveau rapport de forces sur le terrain national et régional, il fallait s'attendre à ce qu'il se trouve «grippé». Et c'est se qui est arrivé en 2008, quand les miliciens du Parti de Dieu ont pris le contrôle de pans entiers de Beyrouth. Mais grâce notamment à la médiation du Qatar, le dynamique émirat du Golfe Arabo-Persique, on a réussi à débloquer la situation (accord Doha de mai 2008). À défaut d'un réel Taëf II, cette accalmie risque d'être de courte durée!

Au-delà du Liban, le Hezbollah bénéficie de l'appui de la Syrie et (surtout) de l'Iran. Deux bêtes noires des États-Unis et d'Israël.

L'enjeu de ces élections était avant tout de savoir si le Hezbollah allait en sortir victorieux. Était également (et par conséquent) en jeu l'avenir politique de Saad Hariri, chef du bloc parlementaire du Courant du futur et figure principale de la coalition anti-syrienne. On craignait qu'une victoire du Parti de Dieu ne provoque à la fois le gel de l'aide américaine, notamment militaire, le retrait des investissements des pays du Golfe, Arabie saoudite en tête. Provoquant au passage l'isolement du pays, l'effondrement de la livre libanaise et une crise économique sans précédent. Sans oublier une nouvelle aventure militaire israélienne pour «venger» la défaite de 2006.

Pour éviter une telle issue inquiétante, une affluence record d'électeurs avait pris d'assaut les bureaux de vote. Même des Libanais expatriés sont rentrés exprès pour accomplir leur devoir civique. Ce taux de participation s'est élevé à 54%. Du jamais vu depuis vingt ans. Mais si le «pire» est évité, le rapport de forces parlementaires n'a quasiment pas changé: 71 sièges (55%) pour la majorité sortante contre 57 pour l'opposition.

L'Occident, Israël et les puissances arabes sunnites du Moyen-Orient ont accueilli ces résultats avec soulagement. Cette «victoire» est également en quelque sorte la leur. Ne s'étaient-ils pas mobilisés pour venir en aide à «leur» camp, chacun à sa façon? L'Arabie saoudite, n'a-t-elle pas laissé entendre, à travers notamment sa presse à Londres et ailleurs, qu'une victoire du Parti de Dieu la conduirait à réviser sa politique libanaise, notamment dans le domaine économique. Le vice-président américain Joe Biden n'a-t-il pas, lors de sa visite de Beyrouth, annoncé qu'une telle issue amènerait son pays à mettre automatiquement un frein à son ouverture politique et un terme à son engagement au profit de la modernisation des forces armées?

Une des raisons principales de la mobilisation des alliés de facto et de jure arabes et occidentaux en faveur de la coalition anti-syrienne réside dans la crainte qu'une victoire du Hezbollah ne soit interprétée comme un signe supplémentaire de l'avancée irrésistible du «croissant chiite» dans une région où un «choc» entre chiites et sunnites est à craindre. Ces puissances pro-Hariri souhaitaient instrumentaliser sa coalition contre le puissant Hezbollah. Un mouvement politico-militaire perçu comme un avant-poste du déploiement de la stratégie hégémonique de l'Iran dans la région. Ce pays est soupçonné de vouloir se doter secrètement de l'arme nucléaire. Sans oublier le fait que les déclarations controversées de son actuel président Mahmoud Ahmadinejad relativement à Israël et à la Shoah ne font rien pour apaiser les esprits de la communauté internationale.

Avec la volonté d'ouverture affichée par l'administration de Barack Obama envers l'Iran et la Syrie, un changement marquant par rapport à son prédécesseur, cette hostilité manifestée à l'égard du Hezbollah paraît toutefois incongrue. Est-ce pour faire plaisir à Israël et aux alliés arabes sunnites? Ou est-ce la fermeté avant de tendre la main? Mais en cas de «Grand bargain» avec l'Iran et l'intégration de la Syrie dans le nouveau jeu américain en émergence, le Hezbollah perdra largement de son utilité pour ces deux «parrains» et de son pouvoir de nuisance dans la région. En attendant un tel développement marquant les relations internationales, la réélection du président iranien Mahmoud Ahmadinejad cet été s’accompagnera du maintien des liens entre son pays et le Parti de Dieu. Sans doute, le Hezbollah fera partie des cartes à jouer dans le jeu de marchandage entre Téhéran et Washington.

Maintenant que l'issue des élections de juin est connue, que va faire la coalition victorieuse et surtout que fera le Hezbollah? Saad Hariri deviendra-t-il le nouveau premier ministre ou Fouad Siniora y rempilera-t-il? Et puis quel sera la politique des États-Unis dans ce pays? Le chef incontesté du Courant du Futur, le milliardaire Saad Hariri aimerait devenir le nouveau premier ministre. Mais comme il est trop marqué politiquement, une telle décision apporterait rapidement des soubresauts non nécessaires. À court terme, Siniora apparaît comme le candidat le mieux placé pour être (de nouveau) premier ministre. Et pour cause. Il a l'appui de son camp et bénéficie de la confiance des parrains américain et saoudien.

Au sein du bloc de l'opposition, on constate déjà une différence d'appréciation de l'après-7 juin. À titre d'exemple, le CPL d'Aoun s'est dit prêt à travailler avec la coalition gagnante. Mais si de son côté le Hezbollah n'est pas en principe fermé à l'idée de participer à un gouvernement d'union nationale, il continue en revanche d'exiger, pour son camp, le «tiers de blocage», c'est-à-dire dix portefeuilles (sur trente), plus un maroquin. C'est le moyen trouvé par le Parti de Dieu pour empêcher le gouvernement d'agir à l'encontre de ses intérêts. Ce droit de véto lui permettrait par exemple d'empêcher le gouvernement de dissoudre sa milice, emblème et source de sa puissance. D'où une possibilité de blocage de la situation politique du pays pouvant déboucher sur une nouvelle crise politique. À cet égard, rappelons-nous que cette exigence est demandée à la fois par la majorité sortante, les accords de Taëf et la communauté internationale. Ce droit de véto pourrait donc paralyser le fonctionnement normal du gouvernement. Sans oublier le mécontentement de pays comme les États-Unis et l'Arabie saoudite.

Mais une chose est sûre, pour éviter de désarmer ses miliciens, le Hezbollah se servira de différents arguments, dont la défense du territoire libanais face à Tsahal et la libération des fermes de Chebaa. Il s'agit d'un petit territoire de 14 km sur 2,5, sans importance stratégique, que l'ONU, tout comme Israël, considère comme territoire syrien. L'argument de l'occupation israélienne des territoires palestiniens et la nécessaire «solidarité arabe» avec la résistance nationale de ce peuple pourrait elle aussi fonctionner à plein régime dans le même sens.

Si la victoire symbolique du camp pro-occidental de Hariri est une bonne nouvelle pour l'administration de Barack Obama, il reste de voir la composition politique du nouveau gouvernement, sa politique étrangère et le type de ministères qui pourraient revenir à des représentants du Hezbollah, avant de voir affluer l'aide américaine. Mais parions que si le Hezbollah participait à un gouvernement d'union nationale, il n'obtiendrait aucun portefeuille de souveraineté (Affaires étrangères, Intérieur, Défense). Un bon gage à donner aux États-Unis et à leurs alliés dans la région.

Lors des élections législatives libanaises de juin 2009, deux blocs politiques, l’«Alliance du 14 Mars» versus l’«Alliance du 8 Mars», se sont affronté. Si le camp prosyrien a vu la victoire symbolique lui échapper, il n’a pas dit son dernier mot. Si ses adversaires domestiques et étrangers s’en sont réjouis, il est trop tôt pour vraiment se régaler.

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Iran. Les raisons de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad

par Aziz Enhaili

Jamais une élection à la présidence de la République islamique d'Iran n'avait autant alimenté l'intérêt de la communauté internationale que celle de cette année. Comme il y a quatre ans, le courant conservateur de l'élite politique de ce pays (et donc Mahmoud Ahmadinejad) en est le grand vainqueur.

Cette victoire s'explique par trois facteurs : d'abord, la division du camp pragmatique, ensuite la démobilisation de l'électorat «réformateur», enfin la menace d'attaques militaires israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes. Un résultat riche de dangers et d'opportunités.

L'élection présidentielle iranienne du 12 juin de cette année est marquante à plusieurs titres. Elle intervient dans un nouveau contexte international marqué par l'élection de Barack Hussein Obama comme nouveau président américain et par ses ouvertures vis-à-vis du monde musulman, incluant la «République islamique d'Iran», où il voudrait trouver des partenaires («Obama en Égypte : les enjeux de sa visite»). Sans oublier à la fois l'arrivée au pouvoir à Jérusalem d'une coalition de droite nationaliste et d'extrême droite hostile au régime des mollahs iraniens, et «l'échec» électoral il y a quelques jours seulement du Hezbollah libanais, l'allié par excellence de Téhéran à Beyrouth («Élections libanaises. Un système politique captif des jeux d’influence»).

En raison des déclarations controversées du président iranien sortant et de sa rhétorique agressive en matière de politique étrangère, le monde retenait son souffle, en attendant l'issue des élections de cette année. Nombreuses sont les puissances dans la région et dans le reste du monde qui espéraient voir Mahmoud Ahmadinejad battu. Tout comme une partie de l'électorat de son pays. C'est dire combien ce personnage avait réussi «l'exploit» de polariser non seulement son pays mais également le reste du monde à propos de son personnage. C'est pour ces raisons que cette élection avait toutes les apparences d'un référendum à son propos.


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Sortie de crise en Iran

Les opposants à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad comme président de l'Iran («Iran: Les raisons de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad») ont réussi à faire de ce résultat un produit «radioactif» pour le régime théocratique.


Ce résultat a jeté une lumière crue sur la polarisation de la société iranienne entre les avocats du changement et les tenants du statu quo. Ce même clivage se retrouve également à l'intérieur du régime lui-même. Toute gestion à courte vue de cette crise sera néfaste pour le régime islamiste et le pays.

Les tenants du changement forment une coalition hétéroclite (jeunes, femmes, intellectuels, professions libérales, une partie du clergé…). Cette hétérogénéité peut être à la fois une source de force et de faiblesse. Tout dépend des acteurs clés de cette sensibilité, des objectifs recherchés, des stratégies de mobilisation privilégiées, du contexte de déploiement et de l'enchaînement des événements en cours.

Plus d'une semaine s'est écoulée depuis l'annonce des résultats officiels. Pourtant la mobilisation à Téhéran et dans des villes importantes (Chiraz, Ispahan…) ne faiblit pas. Malgré les menaces du Guide suprême à l'endroit des contestataires et l'interdiction des manifestations. La question qui se pose maintenant est de savoir si ce mouvement va s'essouffler avec le temps ou s'il va au contraire, pour cause de répression excessive, s'élargir et se radicaliser, provoquant à terme la chute du régime islamique. Autrement dit, sommes-nous face à une «révolution orange» ou tout simplement à l'expression spontanée et éphémère d'une réaction de colère pour une victoire «réformiste» («Iran : Mir-Hossein Moussai, un dirigeant réformateur ?») jugée volée?

«Révolution orange»?

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2 comments:

  1. Superbes et poignantes photos des mouvements protestataires en IRAN:

    http://cryptome.org/iran-police/iran-police.htm

    L.

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  2. Je ne pense pas que ce qui se passe en Iran va faire chuter le regime islamique car les opposants qui manifestent ne sont pas contre la republique islamique mais contre les dirigeants actuels. question de qui voudrait detenir le pouvoir et non du coeur du systeme.

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