L’intérêt pour le monde musulman n’est pas récent, mais il fut renforcé par les événements du 11 septembre 2001. Or, qui dit intérêt, ne dit pas forcément jugement favorable ou objectivité. En effet, la recrudescence de propos et de pratiques racistes ainsi que les amalgames et les généralisations sont monnaie courante. Arabe et arabité font notamment partie d’une panoplie de termes controversés. Dans cette perspective, cet article en présente un apercu étymologique et historique.
Pluralité de sens au terme arabe
Il existe une pluralité d’interprétations et de sens du terme "arabe" indépendamment des personnes, des époques, des milieux, des politiques particulières, nationales, régionales et internationales. Reste qu’on ne peut se permettre, pour simplifier un quelconque discours, de réduire un terme si complexe à un seul identifiant, au point de l’absolutiser et d’en occulter les autres.
L’origine du terme "arabe" est plurielle et bien obscure. Pour certains philologues, il dériverait d’une racine sémitique signifiant "ouest" ; pour d’autres, il est à rapprocher de l’hébreu ‘Arabha qui signifie "pays sombre" ou "pays de steppe" ; ou encore de la racine sémitique ‘Abhar qui veut dire "se déplacer". En langue arabe, l’étymologie du mot ‘Arab sert à désigner l’identité bédouine, ou l’origine ethnique en démarquant les sociétés gagnées par la culture arabe de celles appartenant à d’autres cultures – perse, grecque, turque. Les conquérants arabes, partis de la Péninsule arabique du VIIe siècle ont constitué la nouvelle aristocratie des sociétés conquises. L’identification du statut social par un rattachement mythique ou réel à l’une des tribus de la péninsule est devenue un élément central de la vie politique et sociale de ces sociétés.
Origines des arabes: la période pré-islamique
La première attestation de l’Arabie et des Arabes est celle du 10e chapitre de la Genèse dans la Bible, où plusieurs des peuplades et des régions de la péninsule sont répertoriées. En effet, des tribus vivaient dans cette péninsule au cours des siècles qui précédèrent l’ère chrétienne et leur majorité parlait l’arabe, langue sémitique apparentée à l’accadien, aucananéen, à l’araméen, à l’hébreu, à l’ougaritique et à l’éthiopien. Ces peuplades ne formaient pas une race dite arabe. Aussi étaient-ils divisés en États de l’Arabie du Sud et l’Arabie centrale et septentrionale. Les États du Sud étaient connus pour leur prospérité, ayant connu le règne des Sabéens, puis des Éthiopiens et des Sassanides jusqu’à l’apparition de l’islam, et comprenaient une diversité inouïe de religions païennes, et plus tard des communautés chrétiennes et juives. L’Arabie centrale et septentrionale était une région peuplée de bédouins et d’agriculteurs regroupés dans les oasis, ainsi que dans quelques grandes agglomérations comme la Mecque, mais l’organisation sociale se fondait sur la tribu, le clan ; cette région comprenait également plusieurs croyances et traditions religieuses dont celles païennes – on y vénérait par exemple des divinités astrales dont les plus connues étaient Allât, ‘Ouzzâ et Manât, sans compter Allâh ou le «Dieu», suprême créateur. Par la suite s’y développèrent des communautés chrétiennes et juives.
Des chrétiens arabes à l’origine de l’écriture arabe
Parallèlement, d’autres groupes arabes s’étaient établis en Syrie plusieurs siècles avant Jésus-Christ et avaient constitué de petits royaumes comme à Édesse, Émèse et Palmyre. La mère de l’empereur romain Caracalla n’était autre qu’une femme arabe d’Émèse. Par la suite, de nouveaux groupes entrèrent en scène comme les Lakhmides qui résidaient enMésopotamie et qui dominaient le désert syrien. On sait que les Lakhmides, convertis au christianisme nestorien, étaient devenus des alliés des Sassanides dont ils protégeaient les frontières occidentales. Ce fut pour leur faire face que les Byzantins, vers 500, choisirent de favoriser une autre famille arabe, celle de Ghassân. Ces Ghassanides, qui étaient eux aussi chrétiens, mais monophysites, occupaient surtout la Jordanie. Lakhmides et Ghassanides participaient en tout cas à une même culture qui aurait connu le faste de véritables cours royales et, à la veille de l’apparition de l’islam, une nouvelle écriture, l’écriture arabe, aurait été utilisée dans les milieux qui leur auraient été plus ou moins liés.
Arabité et islamité ne sont pas interchangeables
Suite à ce bref et non exhaustif retour aux origines, il est clair que la référence à l’arabité dépasse celle exclusive au référent islamique. Une connaissance approfondie du passé des Arabes est indispensable pour comprendre les dynamiques identitaires contemporaines du monde arabe – ou des mondes arabes. Ce passé montre à l’œuvre des forces centrifuges diverses, témoignages de particularismes variés, que les grands empires qui ont toujours dominé cette région du monde n’ont jamais pu réduire : diversité religieuse et confessionnelle (islam, christianisme, judaïsme, autres religions et spiritualités), diversité des langues et des dialectes, diversité ethnique, diversité des régimes et partis politiques, diversité socio-économique, diversité des nationalismes, etc.
Toutefois, ce qui est souvent médiatisé est l’impossibilité d’être à la fois chrétien et arabe ou juif et arabe. Les chrétiens arabes parlent en arabe, prient en arabe et prononcent le nom d’Allah qui veut dire Dieu. Ils ne sont ni des pieds-noirs, ni des colons. Ils ne peuvent de ce fait être assimilés à une poche occidentale emprisonnée dans une sphère musulmane. Pareil est le cas des juifs arabes, Mizrahim ou Séfarades en grande majorité, ayant vécu au Proche-Orient et en Afrique du Nord en centaines de milliers jusqu’en 1948, date de la création de l’Etat d’Israël et du début des guerres israélo-arabes. Vivant actuellement en diaspora – Europe, Amérique du Nord et du Sud –, ces juifs originaires de la Syrie, du Liban, de l’Egypte, d’Irak, du Maghreb et bien d’autres pays encore sont ignorés de la construction du savoir sur l’arabité. La tentative d’essentialiser l’identité arabe est malheureusement devenue une pratique fort prisée. Il semble donc nécessaire, face aux raccourcis, de favoriser la lucidité d’une connaissance fondée sur l’histoire et la complexité des contextes.
Merci pour cet article fort interessant et eclairant!
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