Émission Second Regard,
3 décembre 2006, Radio Canada
Un reportage de Jean-Robert Faucher
Merci Robert et à toute l'équipe de Second Regard!
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De Philippe Martin:
'Voici la onzième édition des portraits de blogueurs, avec Pamela Chrabieh Badine'.
On peut trouver l'entrevue sur Dailymotion, Cent Papiers et YULBUZZ.
Merci à Philippe et Christian Aubry!
By Michèle Chrabieh in Beirut
Monday 29 January, 2007
When we all gullibly assumed war could only come from our neighboring countries, loyalists to the government and partisans of the opposition confirmed they are a meager herd of foolish sheep run by the brutal and sadistic discourses of their leaders; those same warlords whose thirst for blood and nihilism has always been palpable and scheduled on their “yet to be satisfied” agenda.
Last week, our country fell into chaos and our Prime Minister Fouad Siniora was smiling and taking the applause for getting us money at the Paris III debt conference.
We have witnessed a sample of war in the Beirut Arab University and the streets of our country; the offspring of street fighting, snipers on rooftops, checkpoints and killing of young Lebanese. A curfew followed, universities and schools were closed to calm kids down and politics has become a taboo subject at work and in any place whose main concern is peace and its safeguard.
Since then we have been contemplating the possibility of a “civil war” and silently urging our politicians to quickly unearth a solution to the internal political deadlock they have put us through. It’s a count down for peace or war. The choice is ours: we either keep on holding a grudge against our neighbors, colleagues and friends simply because they pledge allegiance to another walking boot with a royal hat, or we vote for peace and live by it.
Vote for Peace…
Le Moyen-Orient voit aujourd’hui l’émergence d’une nouvelle donne, avec l’accession de l’Iran au rang de puissance régionale, potentiellement nucléaire, à condition qu’il se lie avec la communauté internationale par le biais d’accords. Cette ascension de Téhéran est un résultat de l’invasion américaine de l’Irak qui a brisé le principal rempart arabe sunnite. Ainsi, la région pourrait compter à l’avenir deux puissances « nucléarisées », Israël et l’Iran, qui domineraient l’espace du Nil à l’Euphrate. Le monde arabe serait alors écartelé entre tendance « pro-iranienne » et « pro-occidentale » (qui seraient en réalité toutes deux proches des USA) et chaque pays arabe serait morcelé politiquement, sans qu’il faille nécessairement modifier les frontières. Ce serait la mort définitive du nationalisme arabe, et le « nouveau Sykes – Picot[1] ».
La grande question est de savoir si ce découpage donnerait lieu à un affrontement permanent, ou s’il serait possible de stabiliser la région par des arrangements. Cela va dépendre essentiellement de l’évolution de la situation interne en Iran. En attendant, le Liban ressent fortement ces évolutions. Il constitue un champ de bataille essentiel de l’affrontement régional. Les forces politiques libanaises et notamment chrétiennes ont pris dans ce conflit une importance démesurée. En particulier, Aounistes et Forces Libanaises ont tous deux une importance majeure aussi bien pour les USA que pour l’Iran. Et les libanais sont à la recherche de formules politiques pour stabiliser et gérer la situation dans le futur. Avec un dénominateur commun : le tribunal international pour le Liban, dont la mise en place est inévitable.
Voyons d’abord pourquoi les USA pourraient faire de l’Iran un allié, et pourquoi ils pourraient accepter de doter Téhéran d’un statut nucléaire. Pour cela, il faut comprendre les fondements réels de la « croisade » contre « l’axe du mal » prônée par le président George W. Bush. Cet axe regroupe aujourd’hui essentiellement deux pays, l’Iran et la Corée du Nord, et les Etats-Unis affirment que la communauté internationale doit contrôler leur programme nucléaire. Or, ces deux pays servent aux USA de « Cheval de Troie » pour un enjeu bien plus important. La logique qui se cache derrière cette « croisade » est de diviser l’Asie pour que les USA puissent mieux la contrôler. D’opposer chinois, japonais, indiens, musulmans, russes…dans la droite ligne du « choc des civilisations » pronostiqué par Samuel Huntington.
En effet, l’Asie recèle la majorité du pétrole, des ressources humaines, de l’industrie et peut-être de la technologie du futur. Il faut donc empêcher quiconque, et notamment la Chine, de déborder demain de ses frontières pour essayer de contrôler ces ressources et faire échec à la domination américaine sur le système économique mondial. Pour cela, il faut dresser les puissances asiatiques les unes contre les autres, et introduire de nouveaux joueurs, plus petits, mais qui viennent gêner les grands comme la Chine ou la Russie. C’est là qu’entrent en scène l’Iran et la Corée du Nord.
Observons d’abord la péninsule coréenne. La Corée du Nord est en réalité une zone tampon entre la Chine, la Russie et les USA. Elle possède une frontière avec la Chine, une autre avec la Russie, et une troisième avec la Corée du Sud où stationne l’armée américaine. Les USA affirment que la Corée du Nord cherche à obtenir la bombe atomique. Or, que cela soit vrai ou faux, cela donne un prétexte pour que les pays voisins comme le Japon, la Corée du Sud, et Taiwan se dotent à leur tour de l’arme nucléaire et menacent aussi bien la Corée du Nord que…la Chine elle-même. Et tous ces pays, alliés des USA, ont également de lourds contentieux historiques et une forte rivalité avec Pékin. Autrement dit, la « croisade » américaine contre la Corée du Nord aurait pour résultat final l’encerclement de la Chine par des pays « nucléarisés » et potentiellement hostiles (ainsi que par l’armée US elle-même). D’ailleurs, le Japon vient de rétablir officiellement son ministère de la défense et se réarme à grands pas.
Or, pour des raisons évidentes, la Chine a intérêt à éviter une prolifération nucléaire dans ses alentours, surtout dans des pays avec qui elle a des inimitiés. Pour cela, elle doit négocier avec la puissance qui a déclenché toute cette mécanique, c’est-à-dire les USA. Négocier des accords militaires, économiques, politiques…incluant tous ses voisins, ainsi que la Russie, l’Inde, les USA, et qui limiteraient de facto les ambitions chinoises futures. Cela sans que Washington n’aie à tirer un seul coup de feu. Or, justement, on voit ces jours-ci la Chine multiplier les ouvertures politiques et économiques en direction de Tokyo, et en soutien de la politique américaine et des Résolutions de l’ONU sur le Moyen-Orient.
Regardons maintenant l’Iran. Ce pays est au centre de l’Asie, proche de la Russie, de la Chine et de l’Inde. Remarquons que, sur la carte, la Corée du Nord et l’Iran « encerclent » la Chine, l’un par l’est et l’autre par l’ouest. Or, si l’Iran accédait à un statut nucléaire, cela voudrait dire que ce pays pourrait devenir un « sanctuaire » inviolable et faire barrage aux visées expansionnistes chinoises, russes ou indiennes en direction du Moyen-Orient et de son pétrole. Il pourrait menacer ces pays et leur faire échec (comme le Pakistan, qui détient la « bombe atomique sunnite » avec l’accord tacite des USA). Cela maintiendrait donc le statu quo en Asie, ce qui arrangerait fort les américains, à condition bien entendu que les USA et la communauté internationale « contrôlent » le programme nucléaire iranien.
L’enjeu pour les Etats-Unis est donc de contrôler l’Iran sans être contraints de l’envahir militairement, d’en faire un allié docile et pas un ennemi. Pour cela, les américains poursuivent depuis 2001 une stratégie de la carotte et du bâton, et soufflent le chaud et le froid : d’un côté, ils font pression sur l’Iran, multiplient les manœuvres militaires et encerclent ce pays de tous côtés, d’Irak, d’Afghanistan et de l’Asie Centrale. De l’autre, la récente Résolution 1737 de l’ONU, qui a pour objectif la « négociation » avec l’Iran sur le dossier nucléaire, indique clairement que les USA n’écartent pas une acceptation de ce pays dans le club nucléaire.
De plus, l’émergence de l’Iran permet d’affaiblir les arabes et de renforcer Israël. En effet, Téhéran attire à lui les chiites du Moyen-Orient. Cela a pour effet d’alarmer les sunnites, qui n’ont plus pour recours que de se jeter dans les bras de l’Occident, et même souvent…d’Israël. Le monde arabe se retrouve donc écartelé entre pro – iraniens et pro-occidentaux, comme on le voit en Palestine (Hamas et le Fatah), au Liban (le 8 Mars et le 14 Mars), en Syrie (pouvoir contre opposants), ce qui affaiblit tous les arabes, et arrange l’Iran, Israël et son allié Turc, sunnite mais non arabe.
Il y a donc de fortes chances pour que la rhétorique iranienne anti-USA et anti-Israël ne soit que de la poudre aux yeux qui masque une volonté de rapprochement avec l’Occident. En effet, par son discours, l’Iran s’impose comme seul adversaire « de taille » face à Israël, car il dit tout haut ce qu’aucun dirigeant arabe n’ose prononcer. Par contrecoup, cela affaiblit et décrédibilise les régimes arabes face à leur propre opinion, ce que certains en Occident apprécient. Le régime syrien alaouite joue d’ailleurs ici le même jeu que l’Iran, comme le montre le récent discours du président Bachar el Assad où il traite certains dirigeants arabes de « moitiés d’hommes ». Un propos aussi provocateur ne peut avoir pour autre but que de diviser les arabes. En ce sens, le régime syrien joue à fond la carte du « nouveau Sykes-Picot » et du jeu américain.
Notons ici que le régime syrien semble avoir échappé au pire, car, après la mort de Hafez el Assad en 2000, le pays s’était scindé en deux blocs. D’un côté on trouvait le « clan Assad » et ses alliés libanais du « régime sécuritaire » menés par Rustom Ghazalé, et de l’autre la faction Khaddam – Ghazi Kanaan – Rafic Hariri. Ces deux blocs se sont affrontés pendant 4 ans jusqu’à la Résolution 1559. Puis, en l’espace d’un an, Rafic Hariri et Ghazi Kanaan sont morts assassinés et Khaddam s’est exilé à Paris. Cela veut-il dire que le « clan Assad » a gagné et que le régime syrien survivra dans sa forme actuelle ? Ne jugeons pas trop hâtivement, et remarquons seulement deux choses : d’une part, ce régime est dorénavant voué à affronter une opposition interne (Frères Musulmans) et externe (Khaddam et consorts) permanente. Autrement dit, la nouvelle division du Moyen-Orient s’applique à tout le monde, y compris…aux syriens alaouites chiites eux-mêmes. D’autre part, ce régime est définitivement sorti du Liban (même s’il y garde des alliés politiques), et cela est symbolisé par le déploiement de l’armée libanaise à la frontière syrienne y compris dans les jurds, avec l’appui de la communauté internationale.
Entre-temps, et dans l’attente d’un éventuel rapprochement irano – US, le Moyen-Orient vit une phase de tensions, baptisée « instabilité constructive », où américains et iraniens s’opposent pour mieux négocier, sur des dossiers comme le nucléaire, l’Irak, la Palestine, la Syrie et le Liban, l’avenir des sunnites, des chiites et des autres communautés.
En Irak, la situation pour les américains est loin d’être si mauvaise qu’on l’affirme. D’une part, les pertes US, 3000 soldats en presque 4 ans, sont nettement plus faibles que celles du Vietnam. D’autre part, l’Irak est aujourd’hui éclaté, et les chiites irakiens sont eux-mêmes essentiellement divisés en deux forces rivales de taille égale : l’Armée du Mahdi de Moktada Sadr, et les Brigades Badr liées à Abdul Aziz al Hakim. Cet éclatement empêche les chiites irakiens d’exercer une trop forte domination, ce qui laisse aux USA une vaste marge de manœuvre politique en Irak. Et, point crucial, cet éclatement reflète les rivalités à l’intérieur même de l’Iran, car Moktada Sadr est lié au président iranien Mahmoud Ahmadinejad, tandis que Abdul Aziz al Hakim est lié à Hachemi Rafsandjani, principal rival d’Ahmadinejad.
De plus, les chiites arabes (sans parler des sunnites ou des kurdes) sont loin d’être tous favorables à l’Iran perse, et seraient même enclins à se rebeller si celui-ci voulait les contrôler de trop près. Donc, si demain l’armée US se retirait d’Irak, il y a fort à parier que l’armée iranienne aurait de grosses difficultés à contrôler ce pays, alors même que l’Iran risquerait d’être gravement contaminé par les conflits kurde-sunnite-chiite et inter - chiite. Ainsi, l’Irak est pour Téhéran une arme à double tranchant, et lorsque les USA parlent de s’en retirer et d’y « impliquer l’Iran »…il s’agit d’une menace à peine voilée.
En Palestine, c’est également le blocage. Le Hamas (soutenu par l’Iran), bien qu’élu à la tête du gouvernement palestinien, est mis en échec par la machine israélienne qui le soumet à un blocus sécuritaire, politique et économique. De plus, Israël n’accepte de parler aux palestiniens que par l’intermédiaire du président Mahmoud Abbas, qui représente l’aile modérée proche de l’Occident. En Syrie, le pouvoir du président Bachar el Assad est menacé par ses opposants intérieurs et extérieurs. Enfin, au Liban, la fin de l’année 2006 a vu l’affrontement entre forces du 14 Mars et forces du 8 Mars paralyser le pays.
Quelle sera l’issue de ce bras de fer? La réponse se trouve essentiellement à Téhéran, qui vit une lutte de clans, entre Ahmadinejad, Khamenei, Rafsanjani, Khatami, Larijani…Ces factions sont de taille comparable, et il est difficile que l’une d’entre elles l’emporte sans aide extérieure, économique, politique ou diplomatique. Or, paradoxalement, les USA, qui occupent la région, sont les seuls à pouvoir fournir cette aide, car ils détiennent les deux cartes qui intéressent tous les iraniens: la garantie de non – agression et la levée des sanctions économiques.
C’est pourquoi les américains cherchent aujourd’hui à négocier séparément avec chaque composante du pouvoir iranien, car en faisant cela, ils auraient gagné la partie en divisant leur adversaire. La clé réside dans le fait que les différents contentieux entre l’Iran et l’Occident (nucléaire, Irak, Hezbollah, Hamas) ne sont pas tous gérés par la même faction iranienne. Sur chaque dossier, on trouve un ou plusieurs clans rivaux, à l’exclusion d’autres. Un échec sur un de ces dossiers entraînerait donc l’échec de la faction correspondante en Iran, et à contrario un succès lui rapporterait des dividendes substantiels. Les factions iraniennes peuvent donc avoir intérêt à se « trahir » mutuellement et à donner des gages à l’Occident pour améliorer leur position (le fameux « dilemme du prisonnier »).
C’est ainsi que certains voient l’invasion américaine de l’Irak comme étant un piège destiné à l’Iran, qui a fonctionné. En effet, les USA ont réussi à attirer les iraniens sur leur terrain : un Irak divisé avec une communauté chiite irakienne elle-même scindée en fractions rivales. Et, on l’a vu, chaque fraction irakienne est proche d’une fraction iranienne : Moktada Sadr au président iranien Ahmadinejad, tandis que son rival Abdulaziz al Hakim est proche de Rafsandjani, principal rival iranien d’Ahmadinejad. Or, si les iraniens cherchaient à mieux contrôler les irakiens, ils sont également pris au piège, car toute défaite d’une faction irakienne, éventuellement « provoquée » par l’armée US, entraînerait l’échec politique de la faction iranienne alliée, et pourrait bouleverser l’équilibre de pouvoir en Iran dans un sens éventuellement favorable aux USA. Qui pourraient donc obtenir une mainmise sur Téhéran, « par proxy » et via la guerre en Irak. Il n’y aurait plus alors de problème à doter l’Iran d’un programme nucléaire (tout comme le Pakistan ou les autres alliés des USA). On comprend mieux alors l’ampleur des pressions US actuelles sur les diverses factions iraniennes, et la politique américaine de la carotte et du bâton : proposer des négociations (rapport Baker - Hamilton) tout en renforçant le dispositif militaire en Irak.
Le Liban est un autre bel exemple de ce jeu de dupes et on comprend mieux ainsi la guerre de Juillet - Août 2006. Théoriquement, cette guerre a abouti à une « non – victoire » d’Israël et « non – défaite » du Hezbollah. En pratique, elle a retiré la « carte Hezbollah » du jeu iranien. Car le Hezbollah n’a de valeur pour Téhéran que s’il est capable de menacer à tout moment Israël, unilatéralement et sur simple ordre iranien. Mais, depuis la Résolution 1701 (agréée par le Hezbollah) et le déploiement de forces occidentales au Sud - Liban, le Parti de Dieu ne peut plus agir. Et ce d’autant moins que, vu l’ampleur des dégâts occasionnés par les bombardements israéliens, il y a fort à parier que la population chiite libanaise ne le suivrait pas dans cette voie. Or, tant le déclenchement de la guerre de Juillet contre le Hezbollah (l’enlèvement mystérieux et injustifié de soldats israéliens) que les négociations qui ont suivi et le va-et-vient d’émissaires iraniens de toutes sortes, dont Manouchehr Mottaki, ministre des affaires étrangères et proche d’Ahmadinejad, portent à croire que le Parti de Dieu aurait été dépassé par les événements, voire peut-être « vendu ».
Que va-t-il se passer maintenant au Liban ? Retenons trois choses. Premièrement, la guerre de Juillet, malgré son ampleur, n’était qu’un épisode de l’affrontement régional. Avec la Résolution 1701, la « bataille extérieure » du Hezbollah est terminée, et il a lancé immédiatement sa « bataille intérieure », déjà bien entamée avec l’affrontement actuel et la paralysie du centre – ville de Beyrouth. L’enjeu affiché : déterminer le futur politique du Liban et assurer la survie politique du Hezbollah. L’enjeu implicite : faire bouger les choses entre les USA et l’Iran. Le jeu est d’une grande complexité, car la communauté chiite libanaise et le Hezbollah sont eux-mêmes scindés de l’intérieur, et reflètent souvent les divisions politiques à l’intérieur de l’Iran. Il y a donc un double jeu, d’une part un face-à-face entre les chiites libanais et les autres communautés, et d’autre part une rivalité de plus en plus forte, à l’intérieur de la communauté chiite et du parti, entre les différentes tendances. Or, comme chacune de ces tendances chiites libanaises est proche de certaines tendances en Iran, il est clair que chaque évolution politique au Liban se répercute à Téhéran.
En ce sens, le Liban constitue aujourd’hui une « caisse de résonance » très efficace pour qui veut faire pression sur Téhéran. La communauté internationale utilise donc ce pays, comme d’ailleurs l’Irak, la Palestine ou la Syrie, pour envoyer à l’Iran des signaux forts, et celui-ci répond à son tour. Tel est le rôle actuel du Pays du Cèdre. En attendant une évolution, le Liban risque donc fort de voir le blocage politique se prolonger de diverses manières. Même s’il est peu probable que la situation dégénère, car personne n’y a intérêt : un chaos au Liban mettrait en péril la sécurité d’Israël et de sa frontière nord ainsi que les acquis occidentaux. Et, surtout, ce chaos pourrait produire l’éclatement de la communauté chiite elle-même, ce que le Hezbollah et l’Iran ne peuvent souhaiter aujourd’hui, car cela affaiblirait leur capacité de négociation. C’est pourquoi l’armée libanaise ne s’est pas scindée, et s’est déployée pour garder le contrôle des événements. Et c’est pourquoi il ne faut en aucun cas sous-estimer le rôle et l’importance des forces politiques libanaises, et notamment les forces politiques chrétiennes (Forces Libanaises et aounistes). En s’alliant respectivement au 8 Mars et au 14 Mars, elles sont devenues le véritable instrument de pression, le régulateur du conflit libanais et donc régional. En ce sens, Aounistes et Forces Libanaises ont tous deux une importance majeure aussi bien pour les USA que pour l’Iran.
Deuxièmement, quelle que soit l’issue de l’affrontement actuel, le Liban a besoin de réformes, et avant tout de régler sa « question chiite ». Les chiites libanais et surtout le Hezbollah ont toujours refusé de cautionner totalement l’Accord de Taëf, parce qu’ils considéraient que la part de pouvoir qui leur y était allouée était inférieure à leur poids démographique. Ils n’y avaient consenti qu’en échange d’un atout de taille octroyé par la Syrie : le monopole de la force militaire au Liban, à travers le statut spécial de la Résistance à Israël. C’est pourquoi le Parti de Dieu avait toujours refusé de prendre part aux gouvernements libanais, jusqu’au retrait syrien de 2005, qui a bouleversé les donnes. Le Liban doit maintenant régler cette question. Or, quelle que soit la formule proposée (décentralisation, déconfessionnalisation, réforme des lois électorales), rien ne se fera tant que la tension régionale restera aussi forte, et que le Liban sera scindé de manière aussi profonde.
Cela nous amène à la troisième conclusion : le tribunal international pour le Liban est inévitable, tôt ou tard, pour deux raisons : Premièrement, le Liban a de fortes chances de devenir une « zone tampon », placée sous une forme de « protection » internationale. Car, situation particulière, ce pays se trouve à la frontière d’Israël, tout en ayant une forte composante chiite. De ce fait, le pays du Cèdre (avec la Syrie et la Palestine) est devenu aujourd’hui le point focal du Moyen-Orient, où se rencontre l’influence de l’Occident, d’Israël et de l’Iran. C’est pourquoi aucun de ces blocs n’accepterait de « céder » totalement le Liban. Chacun préfèrerait donc dans le futur le confier à une autorité internationale de type ONU qui garantisse les intérêts de tous, la sécurité d’Israël et les droits des chiites et des autres communautés. Si cet arrangement régional était conclu, personne, pas même la Syrie, ne pourrait s’y opposer.
Deuxième raison, le tribunal international pourrait bien devenir demain la planche de salut pour les diverses factions politiques libanaises. Car dans l’affrontement 14 Mars contre 8 Mars, sunnites contre chiites, chiites contre chiites, chrétiens contre chrétiens…le Liban est aujourd’hui un navire sans guide, qui menace de se désintégrer. Il faut réintroduire un arbitre impartial, une instance de référence internationale qui possède le pouvoir de coercition tout en constituant un point de repère moral et politique pour tous. Qui prenne donc à sa charge les griefs des libanais les uns envers les autres (et particulièrement les assassinats politiques). Et qui puisse donc in fine protéger ces factions les unes des autres, voire d’elles-mêmes… et les empêche de s’entretuer. C’est pourquoi le tribunal international est inévitable, car, au-delà des verdicts eux-mêmes, son plus grand mérite sera…d’exister. A condition, bien entendu, qu’il soit impartial. Et il le sera, afin de maintenir la stabilité. Car, dans l’ambiance de subversion que vit le Liban, ne faut-il pas manipuler la « Vérité » avec précaution ?
Une date propice pour la mise en place de ce tribunal serait la fin du mandat Lahoud, pour deux raisons. D’abord, si la situation de désunion actuelle se prolonge, il sera indispensable pour le Liban de disposer d’une autorité internationale de référence afin de ne pas affronter un vide constitutionnel comme en 1988. Ensuite, et surtout, le deuxième mandat Lahoud apparaît comme une phase de transition entre un ordre ancien, qui est la présence syrienne, et un ordre nouveau marqué par la présence internationale. Une transition mouvementée, mais qui aurait préservé jusqu’à ce jour une certaine continuité constitutionnelle. Or les détails pratiques du tribunal (financement, nomination des juges, détermination du siège) demanderaient encore six à huit mois, ce qui coïncide avec la fin de ce mandat.
[1] Accord de partage du Moyen-Orient signé pendant la 1ère Guerre Mondiale par les Français et les Britanniques et qui a dessiné les frontières actuelles des pays arabes.