Un carnage à Chevrolet (Beyrouth, Liban)
25 Janvier 2008
Source: L'Orient-le-Jour, Beyrouth, Liban
Encore un nouveau carnage suite à un attentat à la voiture piégée au Liban! Dans la région du Chevrolet (à 2 min de chez mes parents et à 10 minutes de notre lieu de résidence), sous un pont stratégique, à l’heure de pointe, au beau milieu du trafic, sur la route que je prends pour me rendre à l’université et que j’allais prendre ce matin. Encore une fois je ne sais comment nous y avons échappé. Et dire que ce sont quelques minutes de retard qui ont fait toute la différence… Ce fut également le cas lorsque l’explosion de Horch-Tabet eut lieu l’année passée.
Les premières images montrent une quantité énorme de voitures en feu et de dégâts dans les immeubles environnants, et surtout, des corps calcinés, des corps sans têtes, des morceaux de chair jonchant le sol et du sang partout. Une foule s’est assemblée, ainsi que la défense civile, la croix-rouge, les forces de sécurité intérieure, etc. Un spectacle horrifique… Des dizaines de morts et blessés… En grande majorité des civils… Comment vous le décrire? Les mots me manquent tellement l’émotion m’empêche de réfléchir avec justesse. Hier encore, nous regardions Nicolas et moi le film ‘KINGDOM’ dépeignant un attentat meurtrier en Arabie Saoudite.
Il est vrai qu’à première vue, la cible est soit un politicien, soit un membre de l’armée ou des forces de sécurité, mais la plus grande cible est le peuple libanais en toutes ses composantes politiques, religieuses, confessionnelles, socio-économiques, idéologiques et générationnelles. Le peuple paye continuellement le prix d’une classe politique vendue à la solde de puissances régionales et internationales, incompétente, irresponsable, corrompue, sans conscience et sans âme. Comment cette classe peut-elle fermer les yeux sur ces massacres dont les meurtriers s’évaporent comme par enchantement?
A chaque fois, nous voyons un cortège de médias, de détectives, de soldats et de politiciens déferler à l’endroit du crime, sans arriver à l’élucider. La plupart des médias couvrent cette fâcheuse réalité pour quelques heures ou quelques jours et puis, rien! Absolument rien! A moins que ce ne soit une « importante personnalité » - expression qu’on utilise souvent dans les médias au Liban. D'ailleurs, dans la presse de ce matin (26 janvier 2008), il est surtout question du capitaine Wissam Eid qui a péri lors de cet attentat. Celui-ci est l'un des piliers des Renseignements des Forces de sécurité intérieure. Quant aux civils morts et blessés, rarement trouve-t-on quelques lignes les mentionnant. Après tout, il existe une hiérarchie sur terre et ciel...!
Le Premier ministre a décrété une journée de deuil national, mais croyez-vous que ce serait le cas lorsque des "personnalités" ne sont pas touchées? Savez-vous ce qu'on entend en premier lieu lorsque l'attentat a lieu? Voire la première question que posent des journalistes à leurs correspondants sur place: "Quelle est la personnalité ciblée?"... Aucune éthique... Aucune valeur accordée à la vie et la mort humaines... Ou alors s'il est question de civils, certains vont citer des noms de morts et de blessés avant que leurs familles ne l'apprennent. A cet effet je blâme tant les institutions médiatiques qu'étatiques et gouvernementales car la gestion de pareilles crises est lamentable.
La course au pouvoir reprend de plus belle. En fait, elle n’arrête jamais son rythme effréné, emportant avec elle une horde de victimes dont le souvenir est rapidement oublié. Les leaders du gouvernement et de l'opposition transmettent leurs mémorandums contenant leurs visions politiques respectives avec leurs condoléances... Le drame, la terreur et leurs conséquences ne forment plus que des moyens d'obtenir plus de points dans cette course au pouvoir. Ceux-ci sont malheureusement exploités à fond, sans morale ni remords. A mon avis, tous nos leaders sont responsables de la situation de crise dans laquelle est plongée le Liban, sans exception. Le terrorisme et les crimes contre l'humanité s'abreuvent à plus d'une source, dont l'irresponsabilité. Ne rien faire ou faire les choses à moitié ou tronquer la vérité, voilà de quoi alimenter le feu de la violence. Et comme l'a si bien dit Issa Goraieb dans son éditorial du samedi 26 janvier 2008 (L'Orient-le-Jour): "les maîtres assassins pratiquent volontiers entre eux l’échange de bons services".
2 comments:
Que du noir, tel un royaume de ténèbres. C'est le seul langage qui compte aujourd'hui, celui de la mort, de l'extermination (en masse ou à compte-gouttes; avec un nom ou sans, officiel ou collatéral) et immédiatement relayé par le spectacle des grands médias, qui adorent analyser le devenir-mort de la planète.
"Moi je n'argumente pas, je tire !" -avait averti un jeune officiel nazi à Sir Karl Popper en résumant avec cette maccabre formule toute l'histoire de la médiocrité meurtrière (in)humaine. Erradiquer ce qui dérange, faire disparaître ce qui est perçu comme ennemi, enterrer des vies qui dérangent en suivant une simple équation de géo-stratégie economique. C'est tout simple... mais si froid, si glacial.
Donc, il s'agit de semer la haine ici ou là, imposer la différence entre ceux-ci et ceux-là, séparer les uns des autres, salir le regard avec lequel se perçoivent les uns et autres, baigner dans le désespoir jusqu'à provoquer la soumission à ceux qui auront essayé de (re)construire un futur, et finalement, détruire la Vie et masquer le tout avec un devenir délirant où tout le monde doit avoir l'impression d'être pris en otage par la folie.
Et ben, malgré cela, il y a toujours un petite voie qui nous menera vers la vie, la poésie, la musique, la sage raison, le sage désir, l'amitié, .... Il faut tout simplement qu'on ait le courage de parcourir, l'hardiesse d'inventer, même en ces temps si sombres et erratiques, cette unique voie de Vie.
Edgar Morin: "Je vois trois principes d’espérance. Le premier vient de nos possibilités de métamorphose. L’humanité était autrefois constituée de petites sociétés de chasseurs-ramasseurs sans Etat, sans agriculture, sans villes, sans lois. Pourtant, en cinq points du globe, Moyen-Orient, bassin de l’Indus, Chine,Mexique, Pérou, ces sociétés se sont trouvées unifiées et transformées en sociétés historiques avec agricultures, avec Etats, avec villes et ont pu développer de grandes civilisations. Il y a donc espoir d’une métamorphose de nos sociétés actuelles en une societé-monde d’un type nouveau.
Le deuxième principe d’espérance vient des potentialités humaines encore non actualisées. Je crois que nous sommes encore dans la préhistoire de l’esprit humain. On peu partir aussi de l’idée de « l’homme générique » qu’exprimait le jeune Marx. « Générique » veut dire qu’il détient en lui des capacités de générations et de régénération. Ces capacités tendent à s’endormir, à se scléroser dans les civilisations et elles ont besoin souvent d’une éruption pour se manifester, comme en France en 1789. Donc,s’il est vrai que nos capacités génératives et régénératrices sont aujourd’hui endormies, celles-ci pourraient se réveiller dans la crise planétaire.
Le troisième principe d’espérance est celui de l’improbable. Le probable est ce qui fait qu’une personne, dans un lieu donné, dans un temps donné, disposant des meilleurs moyens d’information, peut penser du futur. Les probabilités sont aujourd’hui très inquiétantes. Mais souvent dans l’histoire, l’improbable advient. Ainsi, en septembre 1941, la Wehrmacht était arrivée aux portes de Leningrad et à celles de Moscou. L’Allemagne nazie semblait devoir dominer durablement l’Europe. Or en décembre, la contre-offensive soviétique a repoussé l’armée allemande de 200 kilomètres et, presque au même moment, le Japon attaquait Pearl Harbor et faisait entre les Etats-Unis dans la guerre. En deux jours, le probable est devenu l’improbable, l’improbable est devenu probable.
Alors, on peut dire que l’espérance peut croître avec la désespérance, c’est-à-dire que plus nous approchons d’une catastrophe, plus nous approchons d’une possible métamorphose." (Le Monde 2-1-2006)
Courage (et créativité) à tous !
Merci Faysal pour ton message, profond, touchant et encourageant.
Au coeur de nos ténèbres resplendit la lumière... Inchallah!
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