Une majorité de femmes libanaises suit religieusement depuis plusieurs
semaines la série télévisée ‘Ruby’ ou l’histoire d’une jeune femme issue d’un
milieu défavorisé qui use de ses charmes et mensonges pour fuir la
précarité. Voulant comprendre l’étrange
attirance qu’exerce ce feuilleton Made in
Lebanon, je me suis penchée sur quelques épisodes et en ai analysé le fond.
Je livre donc ici les prémices d’une réflexion.
La première fois que j’ai regardé ‘Ruby, l’univers des intrigues amoureuses
apparaissait amusant et à la rigueur, offrait l’image
d’une féminité assumée, indépendante et ambitieuse. Toutefois, à mesure que
l’histoire se compliquait, quelque chose gênait la féministe au fond de moi.
Comment accepter de voir des femmes aussi mal traitées, battues et réduites à
des femmes au foyer catatoniques ou à des objets sexuels, et toujours comparées
à des petites filles inférieures aux hommes dont l’ultime rêve devrait être d’épouser
le prince charmant? Comment faire fi des blagues et commentaires
condescendants, du machisme érigé en mode de vie et de l’entretien des
stéréotypes sexistes? A l’inverse, les hommes dans ‘Ruby’ ont une liberté
totale. Ils peuvent mentir, tricher, tromper, traiter les femmes comme ils le
souhaitent. Ils ne semblent pratiquement jamais subir les conséquences de leurs
actions, même lorsqu’ils violentent leurs conjointes psychologiquement ou
physiquement. Que dire également de la hiérarchisation des classes sociales ?
Si certaines formes d’oppressions peuvent être vécues par toutes les femmes
dans ‘Ruby’, comme la violence conjugale, les ressources dont elles disposent
pour y faire face ne sont pas les mêmes : la pauvre et la bourgeoise n’ont
pas la même marge de manœuvre au plan économique.
Jouant l’avocate du diable, je me fis croire que cette
série décrit la misogynie ambiante du Liban contemporain non pour l’ériger en
modèle mais pour mieux la dénoncer. A l’instar de la série américaine ‘Mad
Men’. Néanmoins, le rôle des femmes dans ‘Mad Men’ évolue au fur et à mesure des saisons ; celles-ci naviguent
entre le sexisme des hommes qu’elles ont été programmées à intérioriser, et
leurs propres pulsions féministes, naissantes ou refoulées. Ces femmes s’affirment
comme leaders dans le milieu du travail à la fin de la saison 4. Et si
l’ajustement est parfois difficile pour elles, c’est que la société américaine
des années 60 ne peut pas changer en un jour mais leur exemple est bien là et
leur réussite est un modèle de l’évolution de cette société. Dans ‘Ruby’, plus
de 90 épisodes nous balancent dans un
univers d’hommes qui maintiennent leur égo et leur amour-propre, et de femmes lorsqu’insoumises
ou souffrant d’une instabilité émotionnelle sont punies (l’exclusion, l’oubli),
et vertueuses/soumises sont récompensées (le mariage réussi). De plus, cette
série renforce les stéréotypes de l’idéal féminin : la beauté, le dévouement,
la tendresse, la douceur, l’attention et le soin à autrui, la disponibilité
sexuelle.