Monday, June 15, 2009

Le rôle des médias dans la dynamique communautaire au Liban

Par Julien Saada, chercheur sur l’axe Moyen-Orient de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.

Pour comprendre les contradictions et les fractures qui parcourent le Liban, il est nécessaire de connaître la complexité de ses médias. Il existe en effet un rapport étroit entre le communautarisme et l’état de la télévision au Pays du cèdre, tant la notion de média national n’existe pas. L’avènement et le développement des réseaux satellitaires dans un si petit pays, composé de 4 millions d’habitants, a rapidement contribué à la mainmise des partis politiques sur les médias. L’ambiguïté de ces outils médiatiques, mélangeant souvent information et propagande, n’est d’ailleurs pas passée inaperçue ces dernières années, en particulier lors des affrontements intra-libanais au mois de mai 2008. Le Premier Ministre du Qatar, cheikh Hamad Ben Jassem al-Thani, avait même lancé un avertissement à l’issue de la signature des accords de Doha, le 25 mai 2008, demandant aux médias libanais de « calmer les esprits plutôt que de susciter une escalade (1) ». Le gouvernement avait d’ailleurs mis en place une loi demandant une diminution de la propagande. Au lendemain du résultat de ces élections législatives, les premières conclusions indiquent que cette loi n’a pas été respectée, à tel point que les derniers jours de la campagne électorale ont donné lieu à une surenchère verbale de la part des différents leaders politiques. Surenchère qui s’est vite reflétée au sein du paysage médiatique libanais. Au-delà du confessionnalisme, les médias au Liban répondent irrémédiablement à un contexte politique et économique, qui rend très difficile la vision d’un panorama médiatique neutre et objectif pour l’avenir. Les médias libanais ne représentent-ils pas, après tout, la structure politique si complexe de ce pays ?

Développement d’un nouveau paysage médiatique

Suite aux accords de Taëf de 1989, le paysage médiatique libanais a pu se développer grâce aux nouvelles technologies d’information et de communication tout en restant fidèle à ses conceptions communautaires (2). Les médias libanais resteront pourtant encore marqués par une autocensure, en particulier lorsque était abordée la question de la présence syrienne au sein du pays. La véritable rupture va se situer au lendemain de l’adoption par le conseil de sécurité de l’ONU de la résolution 1559, visant en particulier la politique d’ingérence de Damas, par la stipulation entre autres du retrait de toute présence étrangère au Liban (3). L’attentat contre l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005, va être perçu par une partie des libanais comme une conséquence directe de cette résolution, et va ainsi accentuer profondément la division des médias au sein du pays, qui deviendront dès lors de véritables organes de propagandes des deux camps opposés : la coalition du 14-Mars et le camp dit du 8-Mars. La coalition du 14-Mars, constituée après l’assassinat de Rafic Hariri, prône un Liban indépendant des problèmes régionaux, s’appuyant sur une aide internationale tout en restant dans un environnement arabe. Ses soutiens médiatiques vont être représentés par Future TV, propriété de la famille Hariri et porte-parole de la communauté sunnite au Liban. La Lebanese Broadcasting Corporation (LBC) qui sert de relais médiatique à la communauté chrétienne maronite, est aujourd’hui l’une des chaînes privées les plus importantes du pays à travers sa visibilité et son poids financier (4). Cette campagne électorale marque également le retour de la chaîne Murr TV, fermée en 2002 sous pression syrienne et qui fit son retour le 31 mars 2009 suite à un amendement parlementaire. La chaîne est sous la propriété de Gabriel El-Murr, représentant grec orthodoxe dans la région du Metn et qui est resté proche des idées du 14-Mars tout au long de la campagne. Parmi les médias symbolisant l’opposition, ou plus précisément le courant dit du 8-Mars, se distingue en premier lieu la chaîne Al-Manar, qui est l’organe de presse du Hezbollah, dont les membres utilisent régulièrement le terme « média de la résistance ». La National Broadcasting Corporation (NBN), représente pour sa part le mouvement chiite Amal de Nabih Berri, également président du parlement et qui a toujours été lié historiquement à Damas. La chaîne Orange TV (OTV), nouveau-né du paysage médiatique libanais, a été créée quant à elle par le Courant Patriotique Libre (CPL) du général Michel Aoun. À ce panorama peut également s’ajouter la News TV (NTV), qui n’a jamais appartenu à un leader politique, mais qui, par son obédience communiste et panarabe, se rapproche plutôt de l’opposition.

Un clivage dangereux

Ces chaînes, qui ont largement pris de l’ampleur lors de la crise politique suscitée par la résolution 1559, influencèrent profondément la division des deux camps à travers leurs discours. Les médias appartenant à la famille Hariri n’hésitèrent pas à accuser certaines formations de l’opposition de complicité dans les attentats contre l’ancien Premier ministre, alors que les médias de l’opposition diffusèrent des propos similaires accusant la coalition du 14-Mars d’être des agents à la solde d’Israël et des États-Unis. Au fil du temps, cette propagande médiatique – à travers journaux et débats politiques – a contribué à construire l’image stéréotypée d’un « autre » libanais, dangereux par définition et constituant une menace importante à l’encontre du pays (5). C’est dans ce contexte que les locaux de la Future TV – représentant la famille Hariri – ont été attaqués par des militants de l’opposition (6). L’utilisation en miroir d’une rhétorique agressive a remis au goût du jour les tensions entre les communautés et a finalement débouché sur un clivage sans précédent en mai 2008 avec de nouveaux affrontements entre les milices. Les médias libanais ne peuvent être bien sûr tenus entièrement responsables des différentes crises politiques qui secouèrent le pays. Mais il se peut que leur traitement partial de l’information ait contribué à l’accélération de ces tensions. Dans le cadre des dernières élections, la leçon n’a finalement pas été retenue, puisqu’en dépit d’une loi post-Doha destinée à diminuer la propagande, les derniers jours de la semaine électorale ont démontré un clivage médiatique fort, symbole du confessionnalisme libanais. Quelques jours avant les résultats du scrutin législatif du 7 juin, un présentateur de la chaîne LBC annonça que le pays risquait de tomber sous la coupe de Mahmoud Ahmadinejad, avant de diffuser une conférence de presse de Samir Geagea, leader des Forces Libanaises, évoquant les mêmes propos. Dans le même temps, sur la chaîne du Hezbollah Al-Manar, un « spécialiste » déclara que les États-Unis avaient le projet de faire du Liban un protectorat américain à l’image de Porto Rico. L’émission télévisuelle en profita pour diffuser des images du vice-président américain Joseph Biden lors de sa courte visite à Beyrouth. La station satellitaire News TV choisit d’évoquer l’arrestation du Colonel Mansour Diab, qui a été accusé d’espionner pour le compte d’Israël. La chaîne diffusa, juste après, une conférence de presse de Hassan Nasrallah, Secrétaire général du Hezbollah, qui en appelait à la peine de mort pour toutes les personnes accusées d’espionner au service des intérêts de l’État hébreu. Un présentateur évoqua par la suite la volonté « d’Israël de contrôler le résultat de ces élections ». Enfin, la Future TV, symbole de la famille Hariri, ne put s’empêcher de consacrer une couverture spéciale aux révélations du journal allemand Der Spiegel, qui fit référence à des sources accusant des membres du Hezbollah d’être derrière l’attentat qui coûta la vie à l’ancien Premier Ministre (7). Ces exemples restent représentatifs de l’impossibilité qu’ont les médias libanais à faire preuve d’objectivité et de neutralité, au risque de desservir les intérêts des différents leaders politiques. Néanmoins, le contexte politique n’explique pas tout. Un marché publicitaire aussi petit que celui du Liban, partagé entre une dizaine de chaînes de télévision locales, sans compter les médias satellitaires, une quinzaine de journaux, ainsi qu’une cinquantaine de magazines ne peut suffire à financer l’ensemble du paysage médiatique libanais, en particulier lorsqu’on sait que le budget moyen d’une chaîne de télévision s’élève à environ 25 millions de $ par an (8). Pour émettre, les médias ont nécessairement besoin du soutien financier d’investisseurs extérieurs. Une situation qui arrange, en conclusion, l’ensemble des représentants politiques.

Une alternative avec les nouveaux médias ?

Cette campagne électorale a également été très marquée par la présence des nouveaux médias, dont notamment le phénomène de l’Internet participatif via l’utilisation de plateformes comme Facebook, YouTube, Twitter entre autres. De nombreux sites Web ont effectivement vu le jour en 2006, après la guerre du mois de juillet qui avait opposé le Hezbollah aux forces de défense israéliennes. Ces sites sont aujourd’hui régulièrement consultés par la population libanaise et sont cités à de nombreuses reprises, à travers la presse ou la télévision. Pour le moment, ce phénomène Internet reste calqué sur le modèle médiatique libanais, puisque la plupart de ces nouveaux sites, bien que se présentant sous un format « indépendant », restent financés et affiliés à un parti politique ou à une communauté (9). Il en est de même pour l’Internet participatif, qui servit d’outil marketing pour la plupart des candidats aux élections parlementaires. C’est en effet un outil au coût très peu élevé, qui n’est pas encore sous le contrôle de la loi et qui permet de joindre beaucoup de monde, notamment la diaspora libanaise (10). Cependant, une voix alternative, mais bien qu’encore minoritaire, commence à se développer à travers les blogs et les nouveaux réseaux sociaux. L’installation de l’Internet rapide, ainsi que l’utilisation massive des téléphones portatifs intégrant une mini-caméra vidéo, permettent à la population libanaise de témoigner sur son environnement et de mettre en place un nouveau journalisme dit « citoyen » qui aurait une vocation plus indépendante. Ce phénomène reste encore marginal, mais bénéficie d’un développement rapide qui serait susceptible à l’avenir de mettre en échec les médias traditionnels. Néanmoins, il est clair que la maturité du paysage médiatique libanais passera avant tout par une maturation de la vie politique au Liban. Au cours de cette campagne électorale, la surenchère verbale et les tensions étaient visibles, mais a au moins eu l’avantage de ne pas déboucher sur de nouveaux affrontements entre communautés. C’est déjà un premier pas.

(1) Jamil Abou Assi, « Les médias libanais : entre confessionnalisme et recherche de crédibilité », Confluences Méditerranée, n’69, printemps 2009.
(2) C’est en particulier l’événement de la guerre civile qui a éclaté en 1975, qui a marqué l’avènement des médias aux services des milices. La relative stabilité que le Liban ait connue précédemment avec le gouvernement de Fouad Chéhab (1958-1964) avait permis la création d’une chaîne publique : Télé Liban.
(3) La résolution 1559 a été adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité de l’ONU, et stipulait le retrait de toutes les troupes étrangères du pays, le désarmement de toutes les milices et l’organisation d’élections présidentielles hors de toute ingérence étrangère.
(4) A noter que la chaîne a été crée par les phalanges libanaises et a servi au départ, pendant la guerre civile comme organe de presse des Forces Libanaises. Voir Jamil Abou Assi, loc.cit.
(5) Jamil Abou Assi, ibid.
(6) Voir Paul Cochrane, « Lebanon media battle », Arab, Media & Society, September 2008, adresse :
http://www.arabmediasociety.com/articles/downloads/20080929132929_AMS6_Paul_Cochrane.
pdf. Voir également Paul Cochrane, “Lebanon’s Media Sectarianism”, Arab, Media & Society, may 2007, adresse :
http://www.arabmediasociety.com/articles/downloads/20070520151707_AMS2_Paul_Cochrane.
pdf
(7) Jamal Dajani, “Lebanese TV confuse voters”, The Huffington post, 29 mai 2009, adresse :
http://www.huffingtonpost.com/jamal-dajani/lebanese-tv-confuses-vote_b_209048.html
(8) Entretien avec Jihad Bittar, “L’atelier des medias”, RFI.fr, émission du 30 avril 2009, adresse : http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/emission-n803-campagne
(9) Ces sites Web bénéficient d’un soutien financier considerable. Certain site présente même une rédaction regroupant 150 personnes. Voir Jihad Bittar, « L’atelier des médias », op.cit.
(10) Entretien avec Dr. Pamela Chrabieh Badine, chercheure et chargée de cours-enseignante à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth au Liban (USEK aussi).

2 comments:

Anonymous said...

Merci pour cet article.

Media in Lebanon and elswhere is biased!

L.

INSTITUT FRANCAIS DU PROCHE-ORIENT said...

Dans le cadre du festival Le printemps de Beyrouth, en hommage à la mémoire de Samir Kassir,



L’Institut français du Proche-Orient (Ifpo)

la Mission culturelle française au Liban

et

la Fondation Samir Kassir



ont le plaisir de vous inviter à une



table ronde avec des anciens collaborateurs de l’Orient Express :





Charif Majdalani, Jabbour Douaihy, Omar Boustany, Nada Chaoul



Modératrice : Medea Azouri Habib



à l’occasion de la parution du livre de Sandra Iché



L'Orient-Express :

chronique d'un magazine libanais des années 1990, Beyrouth,

Cahiers de l’Ifpo n° 3, 2009.





Lundi 22 juin 2009 à 18h00



Salle Montaigne – Espace des Lettres – Rue de Damas – Beyrouth