Ci-dessous un article qui porte à réflexion, notamment en ce qui concerne l'importance de la désinstrumentalisation du religieux au Liban ou de la dépolitisation de celui-ci. Il est évident que dans cet article, la politique est définie au sens particulier de la gestion de la Cité par les politiciens et les institutions religieuses (Eglise = institution). Alors que nous définissons habituellement la politique par la gestion générale de la Cité - donc la religion y a part - ou la Nation, et l'Eglise = la communauté des croyants - qui ne se limite pas aux institutions et clercs. Une question se pose: dans quelle mesure cette désinstrumentalisation pourrait s'effectuer? A mon avis, il est peu probable qu'elle se fasse... Il me semble qu'il pourrait y avoir une issue aux méandres de notre contexte par étapes progressives: d'une instrumentalisation néfaste pour beaucoup à un moindre 'mal', voire une instrumentalisation négative affaiblie, supplantée par des dynamiques constructives d'une meilleure gestion de la relation religion-politique. Du moins à court et moyen termes...
Et en ce qui concerne l'émigration, celle-ci porte en elle des avantages et des désavantages, tout dépend pour qui, dans quelle situation et en quel moment. Toutefois, les avantages l'emportent bien souvent, vu que la continuité (et donc la survie) d'une religion, d'une culture, d'une civilisation, d'une nation etc., se fait dans et à travers les échanges, les relations, les ouvertures, les ruptures, les changements...
Merci encore pour cet article fort éclairant... Réflexion à poursuivre!
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L’Orient-LeJour 13.10.2010
Réflexions sur le rôle des Églises et des chrétiens du Liban
EN MARGE DE L’ASSEMBLÉE SPÉCIALE DU SYNODE DE ROME Par Sami AntoineKHALIFÉ
Tout d'abord, je tiens à préciser que les commentaires qui suivent sont le résultat de ma réflexionsur les Églises du Liban, cela non pas dans un but d'exclusion des Églises des autres pays ni dansl'intention d'accaparer l'attention sur nos Églises, mais par respect pour les autres. Même si je suis informé et continue de m'informer sur la situation de toutes les Églises du Moyen-Orient, d'autres que moi sont mieux habilités à en parler.Après une réflexion approfondie sur le «Lineamenta» et sur l'«Instrumentum laboris», l'impression générale que me laisse cette action est bien de l'ordre d'un «examen de conscience», pour montrer un certain intérêt au sort des «frères d'Orient», sans vraiment s'attaquer aux causes réelles des problèmes ni à chercher quelques ébauches de solutions concrètes. De plus, à vouloir trouver un dénominateur commun à toutes les Églises d'Orient, en survolant les difficultés et problems spécifiques à chacune d'entre elles, nous aboutissons à des généralités sur lesquelles tout le monde tombe forcément d'accord, mais qui auront peu de chance d'améliorer ou de changer une situation qui va en se détériorant. (Le document Kairos Palestine, qui nous va droit au coeur et appelle à la conscience de tout chrétien, est un exemple patent d'une spécificité qui mérite notre attention ciblée ainsi que nos actions coordonnées). Qu'à cela ne tienne, voici quelques commentaires que je soumets, avec humilité, à nos évêques à l'occasion du synode et à tout chrétien engagé dans ce Moyen-Orient, berceau du monothéisme judaïque, chrétien et musulman. (Les § se réfèrent aux paragraphes correspondants du Lineamenta et les paragraphes ci-dessous suivent l'ordre des suggestions du même document).1- Il est vrai que notre Église se trouve dans une attitude défensive et de repli sur soi: «Le dangerest dans le repliement sur soi et la peur de l'autre», §17. Nos Églises se replient vis-à-vis de leurspropres fidèles dans une attitude qui les empêche de mettre les ressources de ces derniers àcontribution. Nous nous fragmentons, chacun pour soi, «L'esprit de rivalité nous détruit», §43: rien qu'à voir la multiplication des établissements scolaires et/ou universitaires, on peut imaginer les résultats éblouissants qu'on obtiendrait avec des actions communes coordonnées et bien planifiées.2- Nos Églises semblent perdre de plus en plus leur autorité morale : quand on voit le nombre depersonnes qui désertent et/ou qui changent de confession pour des raisons de facilité de vie courante «convenante» et/ou qui se contentent de fréquenter les églises par «tradition» et/ou pour la photo souvenir à l'occasion des fêtes et/ou par besoin de certaines formalités, etc., nous nous posons de sérieuses questions. Loin de moi l'idée que nos Églises ne se soient pas posé ou ne se posent pas ces questions très souvent ; mais je constate que depuis des dizaines d'années, elles perdent de leur autorité morale à vue d'oeil. C'est un phénomène mondial, dit-on. Probablement, mais cela ne doit pas être une fatalité au Liban, étant donné les rapports étroits et solides qui lient traditionnellement les fidèles à leur Église. Face à cette perte d'autorité morale, nos Églises semblent trouver un substitut en devenant des «acteurs politiques au quotidien».3- Nos Églises ont, depuis des siècles, pris des positions «politiques» de portée «historique» pour le Liban : leur rôle «politique» ne peut pas être sous-estimé. Elles ont modelé le visage du Liban, très récemment encore, jusqu'en 2005. Toutefois, à vouloir se mêler de la vie politique au quotidien et transformer les homélies en discours politiques, nos Églises risquent de devenir des partis où les «membres» entrent et sortent en fonction des mouvances, sans compter l'instrumentalisation de l'Église par des politiciens peu soucieux de la place «historique» de celle-ci. Ce phénomène est préoccupant et grave, car les fidèles, exposés ces cinquante dernières années (du fait de leurs voyages, de l'émigration, de la vie à l'étranger, des communications modernes, etc.) à une separation entre le spirituel et le temporel en Occident, ont du mal à s'identifier avec une Église qui mêle, de plus en plus, religion et politique.4- Nos Églises devraient suivre l'exemple de Rome et reprendre leur rôle de gardiens des valeurs en restant au-dessus de la «politicaillerie». Elles pourront rappeler, avec l'autorité morale qui leur est reconnue, à «tous» les hommes politiques leur devoir d'actions citoyennes. À l'exemple du pape, nos Églises portent le flambeau des valeurs chrétiennes et universelles, pour les chrétiens et pour tous les hommes. Elles resteront un foyer de saints : sainte Rafqa, saint Charbel, saint Nehmetallah Hardini ou le bienheureux frère Estéfan Nehmé, etc. (non pas de «leaders politiques» ), comme elles l'ont été à travers les siècles.5- Évidemment, il y a ceux qui pensent qu'en tant que minorité, nous nous identifions à nos Églises, qui deviennent de facto les protectrices de nos droits communautaires et par conséquent un acteur politique par essence. En faisant entrer nos Églises dans les méandres de la politique au quotidien, nous entrons dans une spirale de laquelle nous sortirons tous perdants, tant sur les plans spirituel et moral que par l'éloignement des fidèles qui ne se reconnaissent pas dans une «Église politique».«Rendons à César...». Nous avons les conseils de communauté, des hommes politiques chevronnés et/ou d'autres qui aspirent à le devenir. Nos Églises sont là pour leur rappeler les valeurs chrétiennes afin qu'ils agissent selon ces valeurs.6- Les chrétiens sont pour le dialogue islamo-chrétien : nos Églises pourraient s'inspirer de ce qui se fait à l'USJ, développer un minicursus sur ce dialogue, et le promouvoir à travers nos paroisses et écoles, donnant ainsi l'exemple. Elles seront en mesure de prôner la même chose dans les écoles publiques ainsi que dans les écoles des autres religions. Pour ce, elles pourront mobiliser les fidèles dans le cadre d'un programme commun à toutes nos Églises, établi au niveau national. La décision prise par le gouvernement de faire à l'occasion de la fête de l'Annonciation une fête nationale islamo-chrétienne est une preuve, s'il en faut, que ce dialogue, poursuivi sous l'égide de l'Église, peut créer amitiés, convivialité, respect de l'autre, contribuant ainsi à éloigner les sentiments d'exclusion. Nos Églises pourraient multiplier ces initiatives de dialogue entre leurs fidèles respectifs de même qu'avec ceux des autres religions.7- Les médias locaux et internationaux (Le Jour du Seigneur, Zenit, l'Osservatore Romano, etc.) qui portent le message de l'Église devraient diffuser et faire davantage connaître à travers le monde les activités des chrétiens d'Orient pour le sensibiliser à leurs défis.8- L'émigration (ici, je ne parle pas de l'émigration massive et/ou forcée, comme c'était le cas au Liban et c'est le cas actuellement avec les chrétiens d'Irak et de Palestine, qui doit attirer notre plus grande attention et qui est à juste titre une des préoccupations du synode) n'est-elle pas un «épouvantail politique», qu'on secoue devant les fidèles par une homélie sur deux ? À l'âge de la mondialisation et de la globalisation, la mobilité et l'émigration sont devenues un avantage, une force et une ressource inestimables pour ceux qui les utilisent à bon escient. Il y a au Liban une tradition d'émigration et de mobilité depuis des millénaires. Je n'offusquerai personne en rappelant que nos migrations remontent aux Phéniciens, ni en parlant des contributions (plus que le quart du PIB) des émigrés à l'essor du Liban : je cite L'Orient-Le Jour du 15/02/2010 : «En parallèle, les transferts des expatriés (en 2009) sont restés stables en dépit de la crise financière internationale, totalisant quelque sept milliards de dollars, selon les dernières estimations.» Le gouverneur de la Banque du Liban, M. Riad Salamé, déclare que ces transferts ont d'ailleurs contribué à «un excédent de 2,7 milliards de dollars au niveau de la balance de paiement» fin août 2010 (L'Orient-Le Jour du 9/10/2010). Ou encore, les dernières visites de certains émigrés célèbres comme MM. Carlos Slim et Carlos Ghosn, qui ont établi des contacts enrichissants l'un dans le cadre de l'USJ, l'autre dans celui de l'USEK, sans parler des réunions qui ont eu lieu avec nos Églises. 9- L'émigration (non forcée) est une réalité qu'il s'agit d'accepter afin de la transformer en force au service de nos Églises : selon une étude de l'USJ (OLJ du 27/03/2010), de 446 000 à 640 000 (Libanais) ont quitté le Liban entre 1992 et 2007; de ce fait, 45 % des ménages ont donc au moins un membre de la famille résidant à l'étranger». Quand on sait l'importance des liens familiaux au Liban, l'attachement à la paroisse, au village, au pays, etc., on peut envisager que nos Églises développent un programme compréhensif (une tâche à entreprendre par les fidèles) pour consolider les relations entre les émigrés et les paroisses du Liban, sans qu'il s'agisse nécessairement de leur paroisse d'origine, afin de favoriser les échanges. À titre d'illustration et sans être exhaustif :
- le jumelage de paroisses entre celles du Liban et celles des pays de l'émigration avec à l'appui des
programmes d'échanges religieux et culturels ;
- le parrainage par les paroisses des émigrés de projets conjoints avec les paroisses du pays ;
- la défiscalisation dans les pays hôtes des dons faits par les émigrés à leur Église
- le patronage par les émigrés de projets éducatifs, sociaux, culturels ;
- nos Églises pourraient, sur leurs terres, favoriser le développement d'habitations qui seraient
vendues ou louées à long terme aux émigrés (cela est bénéfique pour l'économie des Églises et du pays), Ce qui renforcera l'attachement de ces derniers à la terre de leur Église et, par effet d'osmose, limitera la vente des terres par les chrétiens résidents;
- etc.Cela demande une ouverture de nos Églises aux émigrés, la mise à contribution et l'engagement de ces derniers dans l'action de celles-ci. L'émigré en général, du fait d'un rythme de vie relativement bien cadencé à l'étranger, est disponible pour s'engager sur des projets qui le motivent et valorisent son appartenance à son Église d'Orient. Ainsi, il aura la satisfaction de la soutenir, de même que son pays. Mettre ces bonnes volontés à contribution et faire en sorte que leur attachement et engagement restent vivaces transformeront l'émigration d' «épouvantail» en forces vives au service du pays.
10- L'émigré est un relais précieux pour la diffusion du message de nos Églises à travers le monde : avec une documentation bien préparée, l'émigré peut faire connaître nos Églises d'Orient et les défis auxquels elles font face dans son pays d'adoption.
11- Quant aux défis posés à notre pays, je considère le rôle de nos Églises primordial dans ces
domaines : «Parler de paix et oeuvrer pour la paix», «Expliquer le sens de la laïcité», «La modernité (je me permets de préciser, la modernité mal comprise et mal vécue) est aussi un risque pour les chrétiens.» Nos Églises, porteuses des valeurs de l'Évangile, sont notre rempart contre les assauts de la modernité destructrice de nos familles et de nos sociétés, et le phare qui éclaire notre chemin vers une modernité qui suit les enseignements de l'Évangile.
12- Le chrétien doit agir avec son Église pour contribuer à la promotion des droits de l'homme, au développement d'une relation islamo-chrétienne digne et à un essor économique, social et culturel pour son pays. L'Église reste notre guide spirituel pour nous approcher du Seigneur.
13- Les conseils de communauté sont appelés à prendre le relais de l'Église sur la scène politique. Les laïcs (pas les «laïcs» définis dans le Lineamenta §30) chrétiens, résidents et émigrés, doivent s'investir plus à fond dans la vie de leur Église et s'engager activement pour multiplier et consolider les liens avec elle.
Je voulais parler de notre situation au Liban, parler d'un vécu qui nous touche dans notre vie au
quotidien, ce vécu qui nous est propre, nous les chrétiens d'Orient, et qui est probablement observe avec des longues vues à partir de Rome et/ou de l'Occident en général. J'ai grand espoir qu'avec la bénédiction et l'intercession de la Vierge Marie, le synode des évêques catholiques pour les Églises du Moyen-Orient relèvera les énormes défis auxquels font face toutes les Églises d'Orient, pas seulement les catholiques, chacune avec ses propres difficultés, et qu'il aboutira à des resolutions concrètes qui permettront aux chrétiens d'Orient de vivre comme des citoyens fondateurs depuis des millénaires des pays où ils se trouvent en toute liberté, sans contrainte ou intimidation. Ainsi, ils pourront continuer à contribuer au développement de leurs pays sans crainte pour leur avenir et celui de leurs enfants en harmonie entre eux dans l'esprit oecuménique et aussi avec leurs concitoyens musulmans en toute fraternité. Les chrétiens seront des témoins du Christ sur les terres de leurs ancêtres, terres qui ont été foulées par le Christ et ses apôtres.
Le Liban en particulier et le Moyen-Orient en général sortiront grandis comme étant l'antithèse du «choc des civilisations», voire l' «harmonie des civilisations».
2 comments:
Merci pour cet article de Mr Khalife. En effet, éclairant! Et audacieux!
A propos des Eglises orientales, petite annonce:
La Faculté des Sciences Religieuses et l’Institut Supérieur de Sciences Religieuses vous invitent :
A une série de conférences intitulée « Les mardis de la Faculté », ayant pour thème : « les Eglises Orientales »
http://www.usj.edu.lb/actualites/news.php?id=1656
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