Wednesday, September 19, 2012

Chrétiens et musulmans en dialogue : une possibilité et une nécessité


Dr. Pamela Chrabieh. Huile et Acrylique (technique mixte). 2011


"Le Moyen-Orient est actuellement sous fortes pressions. Les menaces échangées régulièrement entre l’État hébreu et la République islamique d’Iran font craindre aux peuples de la région le pire. On craint également les retombées négatives sur la sécurité régionale de la chute d’un régime damascène à la décomposition lente mais certaine. Les récentes manifestations violentes contre des intérêts américains dans plusieurs pays musulmans alourdissent encore davantage un climat déjà pesant. C’est dans ce contexte inquiétant que le Pape Benoît XVI a effectué une visite de trois jours au Liban." (Aziz Enhaili. http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=144788&L=fr).

Le Liban "message" de dialogue interreligieux, exemple pour le Moyen-Orient et pour le monde... Si ce pays meurtri par des décennies de guerre ne peut réussir le pari de la convivialité, la théorie du choc des civilisations/cultures/religions serait seule appliquée... Les exhortations de Jean-Paul II et de Benoît XVI sont claires à ce niveau.

Il est évident que le dialogue entre chrétiens et musulmans au Liban - ne pas oublier aussi les juifs libanais et les Libanais d'appartenances et de croyances diverses - n'est pas le seul pilier de la construction de la paix,  toutefois, est une nécessité majeure. Tant que la gestion socio-politique de la diversité au Liban se base sur le partage du pouvoir entre confessions ou communautés religieuses (le confessionnalisme), et que la mentalité de la plupart des Libanais est confessante, il est évident que toute réconciliation devrait faire avec cette gestion et cette mentalité, du moins comme première étape en vue de réformes progressives. 

Mes étudiants me posent toujours la question suivante, quel que soit le milieu universitaire (USEK, USJ, NDU au Liban; Université de Montréal au Québec-Canada): le dialogue entre chrétiens et musulmans est-il possible? Ma réponse: oui. Il existe depuis des centaines d'années. Il présente plusieurs formes, des avantages et se heurte à divers obstacles. Même si l’historiographie traditionnelle insiste souvent sur les relations marquées par les affrontements militaires et politiques, le dialogue entre chrétiens et musulmans a débuté dès la naissance de l’islam. Un dialogue certes souvent ébranlé par  les soubresauts, les tensions et les conflits, mais en évolution continue, notamment au cours des dernières décennies.

Le terme ‘dialogue’ vient du grec dialogos ( dhia - à travers - et logos - la parole -), qui signifie « suivre une pensée », « la parole qui passe » ou « suivre pour saisir ».  Il s’agit d’une communication entre deux ou plusieurs personnes ou groupes de personnes visant divers objectifs dont la compréhension, le respect, la connaissance réciproque, l’accord, le compromis, la coexistence, la convivialité, etc. Tout dialogue réclame donc en premier lieu une juste complémentarité entre l’écoute et la parole, entre la réception et l’émission. D’où la différence avec le monologue. En suivant cette large définition, parler de dialogues entre chrétiens et musulmans n’implique pas la communication entre deux entités perçues comme monolithiques et indépendantes, l’Islam et le Christianisme, mais la rencontre multiforme entre individus et communautés qui tiennent compte de leurs appartenances et visions religieuses. Ce ne sont pas des religions qui dialoguent entre elles, mais des « croyants » ou du moins, des personnes ou des collectivités qui possèdent une identité sociologiquement religieuse et qui la mettent en jeu dans la rencontre. Or, les lieux de dialogue actuellement au Liban et au Moyen-Orient sont peu nombreux face aux lieux de haine, tensions et conflits... Et plusieurs obstacles entravent l'expansion du dialogue. J'en cite quelques-uns ici:

1) Il n’est  pas rare de trouver dans ces sociétés des individus et des groupes qui s’attèlent à une démarche de prosélytisme au nom du dialogue. C’est le cas de certains mouvements évangéliques implantés notamment au Liban et en Syrie, ainsi que de certains mouvements islamistes. Plusieurs penseurs réfutent  continuellement ces actions, en étalant les conditions d’un dialogue comme débat positif et constructeur. Dans cette perspective, s’il on prône un militantisme religieux en vue d’une conversion, il n’y aurait plus d’interlocuteurs et donc plus de dialogue. La conception du dialogue comme « hameçon de la mission » pose les problématiques de l’exclusion - fondée sur le principe de purification, dont la conséquence directe consiste à la tentation au repli et à la fragmentation - et de l’inclusion, souvent basée sur l’assimilation graduelle, le modelage et le conformisme. Cette dernière tend à véhiculer la suprématie des bienfaits de l’hégémonie aux dépens de la diversité, en aggravant les manifestations de marginalisation, de racisme, de discriminations, de xénophobie et d’intolérances.

2) Un deuxième obstacle est de faire du dialogue une entité abstraite clamée à tort et à travers, relevant par exemple de travaux académiques dénués de toute incarnation sur le terrain ou de discours politiques et médiatiques qui n’ont aucune portée pratique; en d’autres termes, des paroles dont l’effet escompté n’est qu’éphémère, puisqu’elles sont entendues pour un bref moment et sont vite reléguées aux oubliettes. Sans parler de l’utilisation du dialogue comme moyen ‘efficace’, ‘légitime’ et même ‘croyable’, puisqu’il rejoint un mouvement ‘à la mode’ combattant les conséquences de l’après-11 septembre 2001. L’action en elle-même est peut-être noble, mais elle sert souvent d’outil afin d’asseoir les intérêts suivants : hégémonie, intégration forcée et assimilation, accentuation des ressemblances en vue d’un nivellement des différences et des particularismes revendiqués, déresponsabilisation envers des actes commis dans le passé à l’encontre des communautés conviées à la table ronde (‘oublions et dialoguons’) etc. Les dérives sont telles qu’au nom même du dialogue, il n’est pas rare de tomber dans les panneaux d’une logique de ‘choc’ des civilisations, cultures et religions. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui appellent à la rencontre des ‘autres’ en se basant sur une hostilité supposée millénaire entre regroupements perçus comme monolithiques et immuables. Dans cette perspective, les dialogues interreligieux (et particulièrement islamo-chrétiens) prêtent à une utilisation comme principal ‘slogan’ d’événements révélant en fait un sermon unilatéral ou un compromis basé sur les conditions de celui qui détient le plus de pouvoir.

3) Un troisième obstacle est caractérisé par l’impact d’une diversité de facteurs d’instabilité socio-politique. Il va de soi de mentionner les affrontements qui font rage depuis des décennies, dont les diverses guerres et révolutions au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe de l’Est. Celles-ci ont entraîné la mort de centaines de milliers de personnes et la destruction de villes entières. Elles ont également généré d’innombrables problématiques: comme le déséquilibre économique, le déclin culturel, le renfermement identitaire, l’émigration massive, l’effacement de particularités minoritaires, la pérennité du clanisme et du tribalisme à la tête des régimes politiques, la corruption des appareils gouvernementaux et la restriction des libertés.

Face aux obstacles identifiés ci-dessus, ne formant que quelques spécimens parmi tant d’autres, l’avenir des dialogues islamo-chrétiens apparaît obscur, d’autant plus que la méfiance mutuelle est constamment renforcée par les informations médiatiques dont le focus se limite aux conflits, plus ‘aguichants et sensationnels’ que les lieux de rencontres et d’échanges. Néanmoins, cela n’implique pas forcément l’inexistence de ces lieux et l’impossibilité de leur entreprise à long terme. Les conditions de création de nouveaux espaces de dialogue et de poursuite de dialogues déjà enclenchés sont nombreuses, parmi lesquelles : le dépassement des stéréotypes et de l’exclusion, l’acceptation des déplacements théologiques et linguistiques, la prise en compte des contextes politiques, culturels, sociaux et économiques qui souvent sont à la base des querelles, la relecture du passé et des blessures infligées de part et d’autre, l’ouverture à de nouvelles perspectives à partir de nouvelles herméneutiques, le passage d’identités closes aux identités plurielles et dynamiques, d’une altérité de conflit à une rencontre relationnelle et émulatrice ...

Il est également primordial de dépasser la simple tolérance en essayant de viser le respect de la religion de l’autre, ce qui implique un travail considérable de compréhension mutuelle, car il faut que « ce respect soit théologiquement et anthropologiquement fondé », comme le cite Dennis Gira (Au-delà de la tolérance, la rencontre des religions. Paris, Bayard, 2001: 38). La reconnaissance de l’autre comme une personne à part entière avec laquelle on peut découvrir des valeurs universelles ou autres, communément partagées, est primordiale. Aucun dialogue ne peut se tenir sans un profond respect pour l’intégrité et les convictions de l'autre. En ce sens, la construction d’un ‘vivre-ensemble’ dépassant le ‘vivre-à-côté’ est croyable, pensable et praticable. Il l’est d’autant plus si on accorde de l’importance à renouveler les systèmes de gestion socio-politique des diversités, en assurant un espace politique qui appelle une mise en jeu des identités plurielles, religieuses ou non. Aussi, la limitation au dialogue des experts et des instances religieuses/politiques ne nous empêche pas de mentionner ce qu’on appelle le dialogue de vie ou le dialogue naturel ou encore, le vivre ensemble : une convivialité qui se déroule quotidiennement au niveau des individus (relations commerciales, personnelles -amitiés, mariages mixtes-, partage d’expériences spirituelles, cultes communs de saints-es locaux …). C’est certainement sur le fondement du dialogue de vie que les relations entre chrétiens et musulmans pourront continuer à s’épanouir




3 comments:

Roland said...

Excellent Dr.! Je suis toujours votre blog. Et BONNE RENTREE ACADEMIQUE!

Dr. Pamela Chrabieh said...

Merci Roland :)

Anonymous said...

J'ai bien aime votre post Dr. Chrabieh. On a lu beaucoup de descriptions de la visite du pape au Liban mais pas vraiment d'analyse de questions afferentes. Merci!