Monday, April 18, 2011

DEFINIR "LA GUERRE AU LIBAN"

Une question que je pose constamment aux étudiants universitaires. Les réponses sont évidemment plurielles, mais plus on avance dans le temps, plus elles deviennent vagues; les universitaires en question n'ont qu'une idée partielle de ce que veut dire une guerre. On est bien loin de "la génération des jeunes de la guerre"... J'avais interviewé plusieurs activistes parmi ces jeunes dans le cadre de mon second post-doctorat dont les résultats furent publiés en 2008 dans mon ouvrage 'Voix-es de paix au Liban'.

En effet, moins de 5% de ceux-ci identifient la guerre en tant que guerre civile, dans sa dimension particulière de conflit islamo-chrétien, rejoignant la lecture d’analystes tel Carole Dagher dans son ouvrage Le défi du Liban d’après-guerre. Faites tomber les murs (2002).[1] Un pourcentage égal d’interviewés la qualifient d’une « guerre des autres » sur le sol Libanais ou alors de « guerre pour les autres », rejoignant ainsi la lecture véhiculée par d’éminents analystes du contexte Libanais tel Ghassan Tuéni dans son célèbre ouvrage Une guerre pour les autres (1985).

Pour ces deux premières catégories d’interviewés, la guerre a débuté en 1975 et s’est achevée en 1990, accompagnant sa définition par le verbe « être » conjugué au passé : « était », « a été », « fut »… En ce sens, ils réfèrent à une fâcheuse page de l’histoire contemporaine du Liban qui est bel est bien terminée et la période suivant le début des années 90 à ce jour est identifiée de « post-guerre » ou d’« après-guerre » - d’où par exemple la qualification des combats de l’été 2006 lors de la deuxième offensive majeure israélienne de « nouvelle guerre ». La notion de « post-guerre » est définie dans ce cas comme étant une période de transition trouble entre l’état de guerre et la paix. Toutefois, la majorité des interviewés (90%) qualifient la guerre au Liban de « continue » (n’ayant ni début défini une fois pour toutes, ni une fin à ce jour) et de « multiforme » dans ses causes, déroulements et conséquences, tant civile (inter et intra-confessionnelle, une guerre entre les classes socio-économiques, une guerre clanique, une guerre médiatique, une guerre inter et intrafamiliale, inter et intergénérationnelle, etc.) que guerre pour les autres et guerres des autres sur le sol Libanais. Ceux-ci critiquent la grille de lecture faisant état d’une guerre uniquement civile islamo-chrétienne qui est incapable de rendre compte des interventions des puissances étrangères et des conflits internes à caractère non-confessionnels ou intraconfessionnels. Ils la critiquent également pour son caractère sacralisant de la violence, comme si cette dernière ne résultait pas aussi d’échecs d’échanges sociaux et de la négociation politique, ainsi que de problèmes économiques et de diverses situations d’injustices et d’inégalités.

Par ailleurs, cette majorité d’interviewés critique la grille de lecture qui plaide uniquement pour une guerre des autres ou une guerre pour les autres vu qu’elle déresponsabilise à des degrés variés la part importante de Libanais (individus, collectivités) dans la mise en marche de la machine de guerre et son alimentation et qu’elle ampute la religion de ses fonctions interactive et intégrative. Selon Aïda Kanafani-Zahar :

« Les Libanais ont parfois recours, pour expliquer la guerre (...), à des ‘éléments extérieurs, véritables responsables du conflit’. La thèse du ‘complot’ revient également pour expliquer la détérioration des rapports entre les membres des deux communautés [chrétienne et musulmane] (…) ». La religion est donc écartée comme « une raison de distance et de conflit puisque la faute incombe à ‘l’autre’, le ‘pas de nous’, le ‘pas nous’ ».[2]

Aussi, la grille de lecture rejetant la faute aux ingérences étrangères et aux implications libanaises dans les dossiers régionaux et internationaux (« inside and outside dialectics ») est remise en question, vu qu’elle implique de relier la paix uniquement à la non-existence ou à une meilleure gestion de ces ingérences et implications. Un exemple pertinent de cette lecture est celui du sociologue Samir Khalaf, lequel affirme que les moments de paix et de convivialité dans l’histoire du Liban furent possibles lorsque les Libanais restaient indépendants des problèmes régionaux et internationaux et arrivaient à les gérer.[3]

Le Liban a constitué et constitue encore un ring de boxe où s’affrontent des identités meurtrières, des jeux de pouvoir locaux, régionaux et internationaux ; un territoire proxy empreint par des occupations et invasions successives, ballotté par des ingérences étrangères, des exactions inter et intracommunautaires, des échecs de la négociation politique, des crises économiques, et par diverses injustices, inégalités, exclusions et privations. Plus qu’une guerre « civile », « islamo-chrétienne », « guerre des autres », ou « guerre pour les autres », la guerre au Liban a lieu partout et en tout temps. Elle adopte une panoplie de facettes physiques et psychiques, mettant en jeu d’anciens et de nouveaux acteurs, d’anciennes et de nouvelles stratégies, des dynamiques de ruptures et de continuités tant internes qu’externes intimement imbriquées.


[1] Adnan HOUBALLAH. Le virus de la violence, Albin Michel, Paris, 1996.

[2] Alexandra ASSEILY. Breaking the Cycles of Violence in Lebanon- and Beyond, Guerrand-Hermès Foundation for Peace Publishing, Brighton-East Sussex, 2007.

[3] Pr. Dang Phuong KIET. « Les conséquences de la guerre au Vietnam et les expériences adaptées aux stress de la guerre », Symposium International du Centre International de l’Enfance et de la Famille, Paris, 6-8 mars 1997, http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/colloques/cr/cedrate/intervcedrd.html (consulté: 28 juin 2007).

[4] Georges FLETCHER. « La guerre des mots », Project Syndicate, Institute for Human Sciences, 2007, publié dans L’Orient-le-Jour, Beyrouth, 3 février 2007, p.10.

[5] François LECERCLE. « La guerre invisible », Colloque international de littérature comparée, Association marocaine de littérature générale et comparée et l’ENS de Meknès, Maroc, 2002 :

http://www.cpge-cpa.ac.ma/cpa/francais/colloque/lecercle.htm (consulté: 22 août 2006).

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Renvoyons à la lecture du psychiatre Libanais Adnan Houballah. [1] En effet, selon Houballah, la guerre « invisible » est un gigantesque conflit symbolique et psychique incluant toute la population. C’est la guerre des représentations et des visions de combattants ou d’acteurs « passifs » qui échouent à comprendre la nature de leurs identités et de l’identité nationale, qui échouent à reconnaître la diversité et la complexité de l’autre et qui se transforment en récepteurs conditionnés, jouant un rôle déterminant dans le déroulement des hostilités. Grâce à cette lecture, nous comprenons la poétesse Nadia Tuéni lorsqu’elle crie dans l’un de ses poèmes : « Nous sommes tous responsables ». Les acteurs « passifs» sont le plus souvent un des enjeux des guerres au même titre que le territoire et les ressources économiques. Qui possède et contrôle cette grande partie de la population peut exercer un véritable pouvoir de potentat local dans le système socio-politique et économique du pays. Aussi, cette population est la première à payer le prix de la guerre et, tout autant, celui de la paix.

La guerre psychique renforce et est renforcée par la guerre « physique » ou « visible » - (combats, négociations, traités) laquelle est menée par des combattants « actifs » -, formant ainsi un cercle vicieux qu’il est difficile de briser à moins d’œuvrer simultanément sur les deux fronts physique et psychique. La guerre ne pourrait s’achever tant qu’en sa forme physique, le Liban passe par des périodes alternées de combats et de statut quo, mais non de paix ; et qu’en sa forme invisible, plus difficile à traiter, les frontières et les enclaves psychiques ou psychosociales existent encore. A cet égard, citons les travaux de la psychothérapeute Alexandra Asseily sur le lourd patrimoine de frontières et d’enclaves que les Libanais portent en eux, qu’ils transmettent de génération à une autre et dont peu s’en sont débarrassés ou ont remis en question.[2] Dans la même perspective, les propos suivants du Pr. Dang Phuong Kiet faisant allusion à l’héritage des souffrances et des traumatismes issus de la guerre du Vietnam nous interpellent :

« La guerre, à n'importe quel point de la planète, s'avère être une des plus grandes épreuves infligée à tout un peuple. Les effets dévastateurs de la guerre sur le plan matériel, dans une certaine mesure, peuvent être évalués et compensés à moyen terme. Cependant, les conséquences dans le domaine psychique - que l'on appelle communément le stress de la guerre - de l'échelle macroscopique de toute la société à l'échelle microscopique de chaque famille et notamment de chaque Vietnamien, ne peuvent pas être évaluées avec aisance, car les dommages psychiques perdurent et peut-être s'étalent sur plusieurs générations, ils sont difficilement identifiables et évaluables, ne pouvant être restaurés rapidement ».[3]

Il existe donc, au-delà des luttes militaires, et des guerres dites classiques - clausewitziennes - ou civiles - séparatistes, tribales, ethniques, religieuses - une guerre encore plus dangereuse à long terme qui touche la majorité des Libanais et les marque toute leur vie ; une guerre qui ne suppose pas de distinction claire entre combattants et non-combattants, soldats et populations civiles, début et fin des hostilités. On a longtemps dit que la guerre consiste à faire entrer des morceaux de fer dans des morceaux de chair, mais elle consiste aussi à véhiculer des idées de haine, d’exclusion et de rejet, et des paroles devenues des champs de bataille dans des conflits opposant diverses factions Libanaises - « la guerre des mots »[4]. Elle consiste à alimenter des mémoires meurtries et meurtrières. L’horreur de la guerre n’est pas uniquement d’engloutir des corps et des biens, mais également des foules d’esprits et d’âmes. C’est l’absence massive. C’est parce qu’on ne la voit pas à première vue qu’elle existe bien plus intensément. « La guerre est présente par une atmosphère pesante, dans cette attente interminable d’une nuit où le danger obsède tous les esprits » ; elle est moins « dans le choc des armes que dans l’angoisse »[5], la propagande et la crainte du déchaînement de la violence.

Cette guerre continue, multiforme, à la fois symétrique et asymétrique, guerre des mentalités et des représentations qui se basent sur l’existence sine qua non d’une altérité hostile, de la présence constante d’un ennemi, qu’il soit visible ou invisible, local, régional ou international, fait en sorte que tous les Libanais soient perdants, même s’ils n’ont pas la même notion de victoire, et que tous soient enlisés dans le même marasme : l’absence d’un consensus ou de points communs tant sur l’identification des origines de la guerre - ce qui fait l’objet de leurs revendications - que sur la définition de la paix ou ce qui mettrait fin à toutes les formes de cette guerre. En effet, le simple fait de vouloir identifier ce qui constitue le début de la guerre au Liban est une entreprise quasi-impossible. Les ouvrages abondent en ce sens, relevant d’une panoplie d’experts, de politiciens et d’idéologues. A chacun sa vérité sur ce qui et ce que devraient constituer le Big-bang, considérant toujours comme acquis historique les propositions avancées.


[1] Tout comme certains analystes, quelques interviewés ont inclus dans leur représentation de la guerre au Liban les combats de l’été 2006 en les qualifiant de conflit interreligieux, voire également de « choc de civilisations » et de « guerre des dieux de l’Orient » (conflit se jouant sur le plan métaphysique et sacré). Consulter : Jean AZIZ. « Guerre des dieux et l’interprétation et les ordres de Rice », Al-Balad, Beyrouth, 24 juillet 2006, en Arabe (archives électroniques).

[2] Aïda KANAFANI-ZAHAR. « Liban : mémoires de guerre, désirs de paix », p.3.

http://www.lapenseedemidi.org/revues/revue3/articles/13_liban.pdf (consulté: 15 novembre 2005).

[3] Samir KHALAF. Civil and Uncivil Violence in Lebanon, Columbia University Press, New York, 2002.

Tuesday, April 12, 2011

Liban, 13 avril 1975: l'importance de la MEMOIRE de la GUERRE

En ce 13 avril 2011, trois émotions me tiraillent: le chagrin, l’indignation et l’espoir face aux souffrances de milliers de Libanais suite à des décennies de guerres multiformes, et en particulier face au décès de Gebran Badine, mon beau-père assassiné le 10 septembre 2004 en Irak. Le chagrin puisque la nouvelle de sa mort atroce provoqua un énorme traumatisme et que son absence laissa un grand vide dans le cœur de ses proches et de ses amis. L’indignation face à l’horreur du crime et à l’inaction des autorités judiciaires : ni la justice Irakienne, ni celle Libanaise ou même Canadienne - Gebran ayant une double nationalité Libano-Canadienne - ne se sont penchées sur ce crime odieux advenu à Bagdad, capitale ensanglantée qui se meurt à grands feux. L’espoir que la vérité éclate au grand jour, que les assassins ne restent pas impunis et que la guérison des cœurs et des mémoires meurtries par la violence des Hommes puisse advenir.

Qui est Gebran ? Vaut-il la peine d’être remémoré? Sa mort, à l’instar de beaucoup d’autres, compte-t-elle dans l’échiquier national, régional et international ? Depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003, les massacres perpétrés quotidiennement dans cette région qui vit se développer les plus anciennes civilisations de l’Histoire, ne sont plus que des événements relégués aux oubliettes, des dommages collatéraux, des concours de circonstances, des accidents faisant partie du lot dit normal de la guerre. En ce sens, la mort de Gebran ferait partie de l’ordre des choses, du cycle de la vie et de la mort. Elle ferait partie des tragédies enfouies dans les méandres de l’Histoire, jugées par des politiciens, des historiens, des institutions médiatiques et des peuples entiers, d’inaptes à porter le qualificatif de mal absolu, d’horreur extrême, et donc inaptes à être même pointées du doigt. Pourtant, toute souffrance, dans l’histoire, mérite d’être entendue. Incontestablement, il n’est pas de monopole de la souffrance.

Que de crimes commis contre l’humanité dans le passé et encore aujourd’hui sont sous-estimés, banalisés, oubliés, en dépit de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par les Nations-Unies en 1948 et de la Convention de Genève stipulant la protection des civils en temps de guerre? Ces nobles principes n’existent pas en pratique, et les civils souffrent en tous lieux : Vietnam, Hiroshima, Liban, Sarajevo, Rwanda, Palestine… Certes, l’on s’attarde parfois aux phénomènes massifs - la destruction de populations civiles ou de non-combattants. Mais si ce n’est pas le nombre de victimes qui pèse sur la balance, serait-ce leur qualité, leur nationalité, leur ethnie, leur religion? Serait-ce une question de jeux de pouvoirs, d’intérêts? D’enjeux économiques, politiques, judiciaires? De purification, d’unification, de sécurisation, de nettoyage? D’implantation d’une quelconque démocratie? De légitime défense ? Le fait d’États faibles ou alors d’États forts? Est-ce une poignée de juristes et d’experts qui sont habilités à nommer des génocides, des politicides ou des démocides, des guerres justes ou injustes, légitimes ou illégitimes, et donc à reconnaître et faire reconnaître aux yeux de tous l’annihilation d’êtres humains?

Le terme « génocide » n’a-t-il pas plusieurs usages et ne peut-il pas être la pièce maîtresse d’une rhétorique agressive contre un adversaire politique? Ne sert-il pas à la fois de bouclier et d’épée? Selon l’historien Steven Katz, le seul génocide ayant été perpétré dans l’Histoire est celui des juifs.[1] Alors que pour le psychologue Israël Charny, tout massacre est un génocide.[2] Les définitions de cette notion sont bien plus nombreuses. Il en est de même pour celles de tragédie, d’holocauste, de meurtre, de crime, de destruction involontaire ou d’intention de détruire, la part du calcul ou le passage à l’acte, la « froide » ou la « chaude » décision de massacre: les avis se partagent. A ce jour, il n’existe aucun modus vivendi sur lequel se baser pour déterminer qui seraient la victime, le bourreau, le calculateur, le procureur, et de surcroît, quelle mémoire faudrait-il sauver des décombres. Cependant, la vision sous-tendant l’écriture de cet ouvrage stipule que toute guerre constitue un génocide, et que tout être humain ayant péri de la folie meurtrière vaut la peine d’être remémoré. De plus, la remémoration dépasse la simple quête de survie laquelle est ballottée entre l’amnésie et l’hypermnésie. Elle constitue une prise de conscience collective qui s’appuie sur le tissu social et donc sur l’implication de tous les acteurs de ce tissu. Elle constitue également un des piliers majeurs de la construction de la paix.

Or, comment penser la paix?

Les définitions de cette conception en philosophie politique sont plurielles : la paix « perpétuelle » qui nie la réalité de la guerre et, par conséquent, ne l’aborde que sous l’angle historique comme un fait passé; la paix comme « absence de guerre »; la paix « intérieure » ou ce que les Anciens avec Sénèque appelaient « la tranquillité et la paix de l’âme »; la paix « obtenue par les armes », octroyée par le vainqueur, imposée par des traités; la paix comme « trêve entre deux combats », silence provisoire des armes; la paix comme « état permanent mettant fin à jamais aux guerres »; la paix comme « illusion »; la paix en tant qu’ « ordre et stabilité », etc. Selon Philippe Delmas, l’ordre et la stabilité constituent « le bornage de l’inacceptable », « une définition des raisons de faire la guerre : souveraineté, frontières, intérêts vitaux ».[3] Toutefois, parler d’ordre renvoie également à des représentations plurielles qui dépendent de chaque puissance, chaque État et chaque communauté à travers lieux et époques.

Penser la paix ne relève pas uniquement d’une question de définition, mais exige aussi de sonder les problématiques du pouvoir, de la volonté et de la responsabilité. Ramsey Clark le souligne bien lorsqu’il traite l’exemple des États-unis qui imposent leur volonté et servent leurs propres intérêts au détriment de l’Irak, de Cuba, de l’Iran, du Soudan, « et de bien d’autres pays, quelles qu’en soient les conséquences pour leurs habitants ».[4] Ainsi, les droits fondamentaux des peuples sont bafoués, y compris le droit « d’être protégé contre toute agression de la part d’une superpuissance ou de ses obligés ». Or, sans un engagement de la part des États-Unis et des autres puissances « pour faire en sorte que leurs gouvernements répondent de leurs actes et cessent de violer ces définitions des droits humains (…), il n’existera aucune protection des plus pauvres et des plus faibles, aucune adéquation entre les paroles des nations riches et puissantes et leurs actes ».[5]

En s’inspirant des lectures de Delmas et de Clark pour penser la paix au Liban, il apparaît que cette dernière ne peut être garantie tant que la souveraineté de l’État s’érode au profit de principes généraux dits collectifs mais créés par les conventions et les politiques de quelques puissances, et qu’elle s’étiole devant l’économie mondiale, la force du marché qui ignore les limites étatiques et le Droit international. En outre, elle ne peut advenir sans un système socio-politique qui pourrait faire face aux fluctuations géopolitiques régionales et internationales, qui dépasserait les logiques d’exclusion minant les quelques acquis de liberté et d’indépendance, qui réviserait les distorsions de l’histoire nationale ou le passé épuré transmis aux jeunes générations, qui ne se fonderait pas sur des intérêts particuliers, et qui assurerait la construction-reconstruction d’un vivre ensemble, voire une communauté de destin basée sur un sens, des valeurs et des biens communs.

Penser la paix au Liban en ces termes n’implique pas de verser dans le réservoir des utopies, des illusions et des chimères, mais de témoigner d’une réalité beaucoup plus complexe qu’elle n’apparaît à première vue et aussi, d’opter pour la voie des optimistes. D’ailleurs, l’avenir ne constitue-t-il pas le choix de ces derniers ? Pourquoi croire en la conception de la guerre en tant qu’ultime vocation des êtres humains en société ? Pourquoi répondre à la violence par la violence, au crime par le crime et ainsi, cautionner les massacres commis par les faiseurs de guerre? Pourquoi ne pas adopter la paix comme vocation première ?



[1] Steven KATZ. The Holocaust in Historical Context, vol. 1, Oxford University Press, New York, 1994.

[2] George ANDREOPOULOS (ed.). Genocide: The Conceptual and Historical Dimensions, University of Pennsylvania Press, 1994.

[3] Philippe DELMAS. Le bel avenir de la guerre, Gallimard, Paris, 1995, p.3.

[4] Noam CHOMSKY, Ramsey CLARK, Edward SAID. La loi du plus fort. Mise au pas des États voyous, Le Serpent à Plumes, Paris, 2002, p.109.

[5] Ramsey CLARK. Op.cit., p.110-111.