Monday, December 29, 2008

Massacre Gaza - La prédiction d'Ilan Pappé il y a un an

En 1948, les Palestiniens ne sont pas partis "tout seuls" - par Ilan Pappé

« La purification ethnique continue et Israël veut vous la faire accepter ".

Interview de Ilan Pappé, faite par Emanuela Irace pour Il Manifesto, à Rome, le 14 décembre 2007 à l'occasion de son intervention à la leçon inaugurale du Master Enrico Mattei pour les Proche et Moyen-Orient. lan Pappé est arrivé en Italie sans tambours ni trompettes. Hôte de l’Iesmavo (Master Enrico Mattei per il Medio Oriente , NdT), au siège de l’Isiao de Rome (Institut italien pour l’Afrique et l’Orient http://www.isiao.it/, NdT) pour une conférence sur « Israël-Palestine, une terre deux peuples ». Après avoir dénoncé ces derniers mois l’impossibilité de travailler sereinement dans une atmosphère hostile, celle de son université de Haïfa, Pappé est parti en Grande-Bretagne, où il enseigne maintenant à l’université d’Exeter. Historien du non consensus, « révisionniste », il est né en Israël en 1954, de parents juifs qui avaient fui l’Allemagne des années 30 ; il a publié une demi-douzaine de livres. Parmi les plus récents, « The ethnic cleansing of Palestine », non encore traduit en italien. Au centre de l’analyse du grand historien, la politique sioniste de déportations et expulsions de palestiniens réalisées pendant et après la guerre de 1948, quand environ 400 villages furent vidés, effacés et détruits au cours des cinq années qui suivirent.

Professeur Pappé, vous décrivez l’épuration ethnique comme moment constitutif, en 1948, de l’Etat d’Israël. Vous brisez de cette façon le topos de l’exode volontaire des Palestiniens.

En 47-48, les Palestiniens ont été expulsés, même si l’historiographie officielle parle de pressions des leaders arabes qui les auraient persuadés de s’enfuir. L’idée de trouver un refuge pour la communauté juive, persécutée en Europe et anéantie par le nazisme, se heurta à une population autochtone qui était en phase de redéfinition. Projet colonial qui pratiqua l’épuration ethnique, en affrontant de façon anticipée le problème démographique : l’existence de 600.000 juifs contre un million de Palestiniens. Avant que les arabes ne décident en février 1948 de s’y opposer militairement, les Israéliens avaient déjà chassé plus de 300.000 autochtones.

Comment se réalisa la purification ethnique et pourquoi tout le monde s’est-il tu ?

Cela eut lieu en l’espace de huit mois, et ce n’est qu’en octobre 48 que les Palestiniens commencèrent vraiment à se défendre. La riposte des sionistes fut les massacres dans la province de Galilée, la confiscation des maisons, des comptes bancaires, de la terre. Les Israéliens effacèrent un peuple et sa culture. Personne ne dénonça ce qui se passait parce que la Guerre était finie depuis peu. Les Nations Unies ne pouvaient pas admettre qu’une de leurs résolutions (la 181, sur la partition de la Palestine, NDR) se conclut avec une épuration ethnique. La Croix-Rouge avait déjà été accusée de n’avoir pas rapporté avec objectivité ce qui se passait dans les camps de concentration nazis, et les principaux médias ne voulaient pas avoir d’affrontement avec les juifs.

Un sentiment de culpabilité et une « diplomatie », dans l’action des gouvernements, avec quelles conséquences ?

Pendant l’Holocauste, les pays qui aujourd’hui condamnent Israël, ou étaient connivents, ou sont restés silencieux. C’est pour ces motifs que la communauté internationale a abdiqué devant son droit de nous juger. On lui fait endosser une faute à laquelle elle ne peut plus remédier. En perdant ainsi, aujourd’hui encore, le droit de critiquer le gouvernement d’Israël. La conséquence est que quand naquit l’Etat, personne ne lui reprocha l’épuration ethnique sur laquelle il s’était fondé, un crime contre l’humanité commis par ceux qui la planifièrent et la réalisèrent. Dès ce moment-là, l’épuration ethnique devint une idéologie, un ornement infrastructurel de l’Etat. Discours toujours valide aujourd’hui, parce que le premier objectif reste démographique : obtenir la plus grande quantité de terre avec le plus petit nombre d’arabes.

Sous quelles formes et par quels moyens l’épuration ethnique continue-t-elle ?

Avec des systèmes plus « propres et présentables ». Depuis un mois le Ministre de la Justice essaie de légitimer les implantations illégales des colons en laissant intacts les avant-postes. Nous savons que la Haute Cour de Justice est en train de décider si elle doit autoriser le gouvernement à réduire les stocks de carburant, en supprimant l’énergie électrique à Gaza, où vivent un million de Palestiniens qui se retrouveraient sans possibilité de boire de l’eau, parce que la nappe phréatique est polluée par les égouts, et que seul un système de dépuration électrique peut la rendre potable. Mais de ces exemples pour anéantir les Palestiniens il y en a des dizaines, à commencer par le mur, qui est accepté par les Usa et l’Union Européenne.

Qu’est-ce qu’Israël demande à ses alliés ?

Que son modèle soit accepté tel quel. Pendant la guerre de 1967, 300 000 Palestiniens ont été expulsés de Cisjordanie ; pendant ces sept dernières années, la purification ethnique est devenue « construction du mur », qui repousse les Palestiniens vers le désert, hors de la zone assignée du Grand Jérusalem. Le problème est que les dirigeant israéliens conçoivent leur Etat en termes ethniques, raciaux, et sont donc des racistes à tous points de vue. Et cela est perçu par les Palestiniens ; et c’est le plus grand obstacle sur la voie d’une paix entre la Palestine et Israël. Ce qui est appelé « processus de paix » se réduit à : quelle part de la Palestine faut-il de nouveau annexer à Israël et quelle part, très petite, peut-on, éventuellement, donner au peuple palestinien.

Que peut-on faire pour inverser ce processus ?

Avant tout changer notre langage. Il ne s’agit pas d’un affrontement entre juifs et Palestiniens. C’est du colonialisme. Et c’est incroyable qu’au 21ème siècle on puisse encore accepter une politique coloniale. Il faut imposer à Israël les mêmes mesures qu’on avait employées contre le gouvernement raciste de l’Afrique du Sud, dans les années 60-70. Il existe aujourd’hui des mouvements d’opinion de jeunes juifs, en Europe et aux Usa, qui dénoncent la politique colonialiste et critiquent Israël en tant qu’état colonialiste et raciste, pas en tant qu’état fondé par des juifs.

La législation française (et d’autres pays européens) met des restrictions au droit d’exprimer des opinions « révisionnistes » à l’égard d’Israël, mais ne prend pas position pour l’application systématique des résolutions de l’Onu.

J’ai eu une expérience de ce genre il y a deux ans environ. Ma conférence fut interrompue par un groupe d’extrémistes, juifs comme moi, qui m’empêchèrent de continuer. La police arriva, pour me protéger d’eux, pas pour m’accuser. Quant au silence, il est beaucoup plus commode pour les gens de penser de façon conventionnelle. Il faut avoir beaucoup d’énergie et d’originalité pour agir autrement. La Résolution 194, par exemple, établit que les réfugiés palestiniens ont le droit de retourner sur leurs terres. Mais c’est plus facile de ne rien faire et de continuer à penser avec les mêmes formules.

Est-ce que ce sont pour les mêmes raisons que la gauche italienne continue à proposer le modèle « deux peuples deux états » ?

Il est certain que la gauche italienne n’est pas courageuse. Mais elle devra changer, par force, parce que la situation sur le terrain devient catastrophique. Si Israël envahit Gaza, comme c’est dans l’ordre actuel des choses, ils tueront énormément de Palestiniens et pourtant ils ne changeront pas la réalité. Gaza est une grande prison, et il arrivera ce qui se passe dans les révoltes des prisons : l’armée rétablira « ordre et propreté », avec des coups et des tueries. Ce sera un massacre mais, quand ils repartiront, la situation sera toujours la même.

Quels résultats pourraient par contre donner la solution des deux peuples à l’intérieur d’un état unique ?

Il est nécessaire que les populations s’acceptent, que les juifs reconnaissent leurs frères et voisins arabes et vice versa. Après avoir reconnu l’histoire pour ce qu’elle est et après avoir assumé chacun ses propres responsabilités. Reconnaissance, responsabilité et acceptation. En suivant cette voie on pourra arriver à un état unique, où compte le principe « un homme une voix » et où les citoyens, même s’ils ne s’aiment pas, pourront cohabiter. C’est un projet qu’on peut atteindre si on continue à critiquer et à empêcher les crimes qui continuent à être commis par Israël, et si l’on poursuit la campagne de désinvestissement (BDS : Boycott, Désinvestissement, Sanctions, NdT), comme ça a été le cas en Afrique du Sud.

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/23-Dicembre-2007/art36.html


Saturday, December 27, 2008

Bloodshed in Palestine - GAZA MASSACRE

UN APPEL DE TADAMON MONTREAL!

(english below)


Manifestons pour dénoncer l’odieux massacre perpétré à Gaza par Israël

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DIMANCHE 28 DÉCEMBRE 2008, 13h00, Square Norman Bethune, Angle des rues Guy et de Maisonneuve, (métro Guy-Concordia http://www.tadamon.ca/post/2244

Réagissons contre le massacre que le régime d’apartheid israélien vient de perpétrer à Gaza.
Au moins 200 Palestiniens ont été tués lors de la récente attaque d’Israël sur la bande de Gaza, et davantage de sang pourrait être versé, car cette attaque se poursuit. Il s’agit du plus important massacre commis à Gaza depuis son occupation illégale par Israël en 1967. De nombreuses victimes sont des civils, et leur nombre continue d’augmenter. L’opération de l’armée israélienne, baptisée « Opération plomb durci », rappelle des incursions antérieures à Gaza caractérisées par des attaques aveugles sur des secteurs peuplés de civils, des détentions massives, de violentes démolitions de maisons et autres formes de punitions collectives contre le peuple palestinien. De plus, cette manifestation dénoncera l’appui total du gouvernement canadien à Israël, illustré par le renforcement bilatéral des liens sur les plans militaire, politique et économique. Ce nième massacre exécuté à Gaza se déroule avec la complicité officielle du Canada à l’égard du siege illégal qu’Israël impose à Gaza et des sanctions continues que subissent les civils de Gaza. Depuis deux ans, la bande de Gaza subit la violence quotidienne de la vaste catastrophe humanitaire causée par les Lourdes restrictions pesant sur l’accès aux ressources énergétiques, à la nourriture et aux médicaments. De fait, Gaza est la plus vaste prison en plein air du monde. À l’heure actuelle, nous ne pouvons que réaffirmer le plus fermement possible notre engagement à continuer de mobiliser tous nos amis et allies des autres mouvements sociaux progressistes, afin de répondre à l’appel lancé par plus de 170 groupes de la société civile palestinienne visant une large campagne de boycottage, de désinvestissement et de sanctions contre Israël. Comme le Père Miguel D'Escoto Brockman, président de l’assemblée générale des Nations Unies, l’a déclaré dans son récent discours : « Il y a plus de vingt ans, nous, aux Nations Unies, avons repris l’initiative de la société civile lorsque nous avons convenu que des sanctions étaient nécessaires pour assurer des moyens de pression non-violents sur l’Afrique du Sud afin qu’elle mette fin à ses violations. Aujourd’hui, peut-être que nous, aux Nations Unies, devrions envisager de suivre la voie d’une nouvelle génération de la société civile, qui demande une champagne non-violente de boycott, de désinvestissement et de sanctions afin de faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à ses violations. » Gens de conscience, demain, joignez-vous à nous pour manifester votre solidarité avec les Palestiniens de Gaza et exiger la fin de l’apartheid israélien.

Organisé par: Solidarité pour les droits humains des Palestiniens (SDHP) et Tadamon!

Tadamon! (« solidarité » en arabe) est un collectif montréalais qui apporte sa contribution solidaire aux luttes pour l’autodétermination, l’égalité et la justice au Moyen-Orient et dans les communautés de la diaspora, à Montréal et ailleurs. Tadamon! mène actuellement des campagnes politiques au Canada, dont la campagne visant le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre l’État d’apartheid israélien. http://www.tadamon.ca/


Demonstration: Solidarity with Gaza commemorate Palestinian victims of Israeli massacre in Gaza

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SUNDAY, DECEMBER 28th, 13h00, 2008, Norman Bethune Square, corner: Guy & de Maisonneuve, (metro Guy-Concordia), Montreal, Quebec http://www.tadamon.ca/post/2244

In response to the latest massacre of Palestinians executed by the Israeli apartheid regime. At least 200 Palestinians have been killed in the latest Israeli assault on the Gaza Strip, while the threat for further bloodshed still hands heavily over the skies in Palestine as the current Israeli assault over Gaza continues. This is the single largest massacre in Gaza since Israel illegally occupied Gaza in 1967, many among the dead are civilians and the numbers keeps mounting. Israel's military operation "Cast Lead" has echoes of previous Israeli raids into Gaza that have been characterized by indiscriminate attacks on civilian population centers, mass detentions, violent house demolitions and other forms of collective punishment against the Palestinian people. Additionally this demonstration will address the Canadian government's total support towards Israel, best exemplified increased bilateral military, political and economic links. Israel's latest massacre in Gaza occurs with official Canadian complicity towards Israel's illegal siege and ongoing sanctions over the civilian population in Gaza. Over the past two years the Gaza Strip has been undergoing the daily violence of a wide-ranging humanitarian catastrophe triggered by severely reduced access to energy, food, and medicines. In effect, Gaza is the world's largest open air prison. At this moment, we can only reaffirm our commitment in the strongest possible terms to continue mobilizing friends and allies in other progressive social movements to respond to the call by over 170 Palestinian civil society organizations for a comprehensive campaign of boycott, sanctions and divestment (BDS). As H.E. Father Miguel D'Escoto Brockman, President of the United Nations General Assembly state in a recent speech: "More than twenty years ago we in the United Nations took the lead from civil society when we agreed that sanctions were required to provide a nonviolent means of pressuring South Africa to end its violations. Today, perhaps we in the United Nations should consider following the lead of a new generation of civil society, who are calling for a similar non-violent campaign of boycott, divestment and sanctions to pressure Israel to end its violations."

Join us on the streets tomorrow as people of conscience to stand in solidarity with the Palestinian people of Gaza and an end to Israeli apartheid. Organized by:
Solidarity for Palestinian Human Rights (SPHR) and Tadamon! Tadamon! (Arabic for “solidarity”), is a Montreal-based collective which works in solidarity with struggles for self-determination, equality and justice in the ‘Middle East’ and in diaspora communities in Montreal and beyond. Tadamon! ongoing political campaigns operating in Canada, including the campaign for boycott, divestment and sanctions against Israeli apartheid state. http://www.tadamon.ca/


Tadamon! Montreal, tel: 514 664 1036, email: info[at]tadamon.ca

Friday, December 12, 2008

JUSTICE TRANSITIONNELLE AU LIBAN: VISIONS DE JEUNES ACTIVISTES

Par PAMELA CHRABIEH BADINE, PhD.

Séminaire et atelier (Institut Français du Proche-Orien, Beyrouth)

« Victimes des conflits et usages de la mémoire »


Vendredi 12 décembre 2008, CENTRE CULTUREL FRANCAIS, Mathaf - LIBAN

Sonder la problématique de la justice transitionnelle au Liban revient à traiter en premier lieu des problématiques de la guerre et de la paix. C’est ce que j’ai tenté de faire entre le début de l’année 2005 et le début de l’année 2008 en entreprenant deux recherches post-doctorales qualitatives, consécutives et complémentaires, financées par l’Université de Montréal (Québec, Canada) et le gouvernement canadien. Je m’y suis concentrée sur les visions de la guerre et de la paix et les pratiques de la paix de cinq ONGs libanaises implantées au Liban et au Canada et de plus de 40 jeunes activistes libanais de la génération des 25-40 ans, vivant au Liban, au Canada, ou entre les deux pays, oeuvrant à titre individuel ou collectif : des artistes, des blogueurs, des journalistes, des académiciens, des psychologues, des membres ou des fondateurs d’ONGs locales ou transnationales, etc. Les résultats de ces recherches furent publiés par Dar el-Machreq (Beyrouth): Voix-es de paix au Liban. Contribution de jeunes de 25-40 ans à la reconstruction nationale, 2008 - CONSULTER AUSSI POUR DES INFORMATIONS SUR L'APPROCHE CONCEPTUELLE ET LA METHODOLOGIE ADOPTEES.

Je ne pourrai évidemment pas présenter les résultats détaillés de ces recherches, mais je pourrai étayer quelques exemples de visions de la guerre et de la paix de ces jeunes, afin de comprendre les visions de la justice transitionnelle de certains d’entre eux, pour enfin émettre quelques recommandations pratiques. Il est aussi évident que ces exemples ne résument nullement les visions de tous les jeunes libanais, ni de l’ensemble du milieu activiste.

I- Visions de la guerre:

A) Guerre civile – islamo-chrétienne notamment - 5%: Début : 1975 et fin : 1990
Période actuelle : « post-guerre »
Combats de l’été 2006 : « nouvelle guerre »

B) Guerre pour les autres ou guerre des autres sur le sol libanais- 5 %: Début : 1975 et fin : 1990
Période actuelle : « post-guerre »
Combats de l’été 2006 : « nouvelle guerre »

C) Pour la majorité des jeunes : guerre multiforme et relevant de multiples causes et facteurs ; cercle vicieux constitué de deux dimensions interreliées (physique et psychique – cf. Adnan Houballah dans Le virus de la violence, 1996) - 90 %: Guerre continue (pas de limites précises dans le temps, tant pour « l’origine » ou « le point de départ » que pour la « fin »).

Visions de la paix :

Selon l’ensemble des jeunes questionnés dans le cadre de notre recherche, il est nécessaire de « ne pas oublier », « d’apprendre des leçons du passé et du présent tant positives que négatives », de construire-reconstruire la mémoire individuelle, collective et nationale de la guerre (passage obligé du souvenir au ressouvenir) en vue de la paix. Toutefois, le qui, le quoi et le pourquoi-comment diffèrent d’un groupe à l’autre :

A) Mémoire de la guerre : relative à la période 1975-1990- celle de milices, d’instances-autorités religieuses et politiques, des seigneurs de la guerre (mémoire du « pouvoir » interne) et à la rigueur, mémoires collectives religieuses-confessionnelles: Responsabilisation de l’interne religieux-confessionnel, ainsi que du « pouvoir » interne ayant instrumentalisé ce religieux-confessionnel - Victime : la population libanaise, chrétienne et musulmane, mais n’ayant pas instrumentalisé le religieux-confessionel à des fins politiques (et vice-versa) ou n’ayant pas eu le choix - Solutions: dialogue islamo-chrétien au niveau des leaders; dialogue islamo-chrétien au niveau de « la base »; RÉCONCILIATION ISLAMO-CHRÉTIENNE (PAS DE MENTION DE JUSTICE, mais LE PARDON MUTUEL ET LA FOI).
B) Mémoire de la guerre : relative à la période 1975-1990 - tenant compte des acteurs externes (mémoire du « pouvoir » externe) et internes à la solde de l’externe; Responsabilisation de l’externe et de l’interne qui est à la solde de l’externe).; Victime : la population libanaise « non vendue » à l’externe.; Position contre la loi d’amnistie de 1991 - SOLUTIONS: indépendance politique vis-à-vis des puissances régionales et internationales (« neutralité suisse »); meilleure gestion des alliances avec l’externe; justice rétributive ou punitive à appliquer aux puissances voisines ex : Israël et Syrie (de préférence dans le cadre d’une cour internationale) – mais sélection des crimes commis ; et évidemment, à appliquer aux acteurs internes ayant commis ces crimes avec l’aide de l’externe.
C) Importance accordée aux mémoires individuelles et collectives de tous les acteurs sociaux – surtout aux mémoires des sans-voix (minorités de position : femmes, jeunes, « apostats », minorités religieuses ou idéologiques, underground channels, membres de la diaspora…); Mémoire de la guerre : en mouvement, faite de cumuls, de relectures, de transformations; Mémoires internes et externes remises en question ou revisitées. Importance de trouver l’unité dans la diversité des mémoires; Responsabilisation mutuelle – acteurs internes et externes. Acteurs internes : victimes et bourreaux à la fois, ni victimes ni bourreaux à la fois. Position contre la loi d’amnistie de 1991. Acteurs externes : bourreaux (et certains jeunes n’emploient même pas la dichotomie bourreaux-victimes, en identifiant uniquement des dynamiques de course au pouvoir) - SOLUTIONS: Dialogue national: cf. visions de la justice transitionnelle; Dialogue régional-international : meilleure gestion des rapports libanais avec les puissances régionales et internationales (certains jeunes demandent ici qu’il y ait un processus de justice internationale, notamment vis-à-vis des puissances voisines -Israël et Syrie-, mais ne perçoivent pas la justice rétributive-punitive comme étant « la » solution); Autres facteurs à traiter : crise économique, disparités sociales, crise environnementale, inégalités des genres, etc.

Visions de la « justice transitionnelle » :

Seuls des jeunes du groupe C ont mentionné l’importance de la « justice transitionnelle » en tant que lutte contre l’impunité et donc une étape cruciale pour briser le cercle de la guerre et instaurer la paix. Selon ces jeunes, il s’agit d’une justice régulatrice et sanctionnatrice de « l’exceptionnel”, difficilement saisissable. Preuve en est, la définition retenue par les Nations-Unies dans le Rapport du Secrétaire général présenté devant le Conseil de sécurité : « [la justice transitionnelle est] l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».

Ce processus de justice transitionnelle répond donc aux quatre exigences de droit à la vérité, droit à la justice, droit à la réparation et garantie de non-récurrence. Dans la pratique, il se réalise à travers cinq axes majeurs : poursuite en justice des auteurs des crimes ; initiatives en faveur de la recherche de la vérité en vue d’appréhender les violations commises par la passé ; réconciliation ; octroi de réparation aux victimes de violations des droits de l’homme ; et réforme des institutions judiciaires et politiques.

Tout en ayant connaissance de ces exigences et axes, les jeunes questionnés ont révélé des avis divergents:

- Ceux pour une loi d’amnistie suite à un processus de réconciliation nationale officiel entre tous les leaders.

- Ceux pour une loi d’amnistie suite à un processus de réconciliation nationale au sein de la société et avec les leaders avec pour valeur commune et marqueur identitaire le dialogue islamo-chrétien (pour certains, le dialogue doit être multiforme et non seulement interreligieux).

- Ceux pour des programmes pratiques non-officiels et généralisés progressivement, axés sur des thèmes comme la reconnaissance du passé et la quête de la vérité, la consolidation de la confiance entre l’État et les citoyens, la réconciliation nationale, la mémoire et la commémoration publiques. La finalité est la consolidation de la convivialité. Une loi d’amnistie n’est pas nécessaire dans ce cas. On penche plutôt pour le pardon réciproque à travers des dynamiques sociales « naturelles » qui sont déjà en place et qu’il faut renforcer.

- Ceux pour une commission vérité en tant qu’organe officiel temporaire mis en place pour enquêter sur les violations des droits de l’homme – dans cette perspective, les travaux entrepris par des individus et des ONGs sont importants mais insuffisants.

Or divers problèmes se posent ici : quelle période, qui sont les victimes, les témoins et les auteurs de violations, quelles violations, qu’en est-il des responsabilités de gouvernements et groupes étrangers, quels événements retenir, quels critères à adopter pour les identifier, qui serait habilité à former cette commission et à en être membre, etc. Les commissions de vérité déjà entreprises ailleurs dans le monde (plus de 30, surtout depuis les années 90 : Afrique du Sud, Argentine, Chili, Corée du Sud, Fidji, Ghana, Guatemala, Libéria, Maroc, Panamá, Pérou, Salvador, Sierra Leone, Timor oriental etc.) ont des structures communes qu’il nous semble difficiles à adopter au Liban : un terme au conflit dont il est question (absence de consensus) ; disposer d’un soutien politique et populaire (des enquêtes à grande échelle doivent être entreprises, donc il est encore tôt pour se prononcer là-dessus) ; un soutien international est souvent indispensable, notamment pour les coûts de fonctionnement mais quel soutien accepter et sous quelle forme; définir un mandat clair et précis - période de fonctionnement, période soumise à l’enquête, types de violations en cause, activités fondamentales, pouvoirs, suites à donner (amnistie ou poursuites). N’oublions pas aussi que les capacités de rendre justice sont au plus bas : faiblesse de l’administration, obstacles juridiques, nécessité de trouver un équilibre entre le traitement du passé et la construction urgente du présent (sécurité, lutte contre la pauvreté et les injustices sociales)...

A notre avis, avant de nous prononcer sur quoique ce soit, il nous semble nécessaire d’entreprendre une ou des études de terrain extensives, tant quantitatives que qualitatives, avec pour objectif de sonder l’opinion publique nationale (notamment la société civile) et transnationale (diaspora) sur la guerre et la paix, et les problématiques reliées dont la justice transitionnelle. Le manque de données fiables concernant les diverses visions et pratiques libanaises mine tout discours ou toute entreprise à ce niveau, lesquels se baseraient pour la plupart sur des spéculations - remarque: affirmer qu'il y a un 'manque' ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'importantes recherches entreprises au Liban et ailleurs, mais de soulever le fait que la recherche appliquée concernant la guerre et la paix est à l'état embryonnaire, sinon elle est disparate.

Ces études appliquées sont d’autant plus nécessaire que l’acceptation de tout processus de sanction-réparation repose avant tout sur son intériorisation, tant par les auteurs que par les victimes, autrement dit sur sa légitimité. La légitimité, dans ce cas, ne releverait pas uniquement des institutions étatiques, des leaders, de la communauté internationale, et des organisations internationales, mais de l’ensemble de la société libanaise dans la diversité de ses idéologies politiques, ses identités religieuses, ses classes socio-économiqes, etc. L’intériorisation est évidemment accomplie lorsque le processus répond à une définition suffisamment englobante pour couvrir la plupart des expériences et suffisamment consensuelle et donc resserrée pour permettre une meilleure implantation du processus de paix par ses protagonistes, même les plus réticents.

Qui pourrait entreprendre ces études : idéalement, un ou des réseaux d’individus et de collectivités de la société civile libanaise et de la diaspora, en concertation avec le gouvernement libanais et les partis politiques, et financés par des organismes étrangers oeuvrant pour la défense des droits de l’homme et pour la paix, n’ayant pas nécessairement une agenda politique particulière, mais plutôt humanitaire. L’interdépendance et la complémentarité sont ici recherchées. Il est grand temps de sortir des tours d'ivoire individuelles et collectives (ex: dans le monde académique et celui des ONGs) - voire de construire des liens durables les uns avec les autres et de ne pas se contenter de travailler dans son coin, en dépit de la pertinence de ce travail. La production du savoir sur la guerre et la paix et sa transmission dans et par un milieu solidaire et multidisciplinaire sont nécessaires pour une réception et intériorisation efficaces, et pourraient offrir aux leaders actuels ce que les anglo-saxons appellent un « golden parachute » - sorte d’immunité temporaire et non d’amnistie. Ouvrir tous les dossiers de guerre comme on l’a suggéré lors d’un séminaire sur la justice transitionnelle au Metropolitan il y a deux semaines ne sera pas chose aisée ; cette entreprise serait même impossible actuellement, car ce elle serait contre-productive vu la capacité mobilisatrice effective des détenteurs du pouvoir. Toutefois, des dynamiques de partenariats multiples et touchant le plus grand nombre d’élites, d’activistes et d’organismes, tant au Liban qu’en diaspora, et avec l’aide d'acteurs régionaux et internationaux - académiciens et ONGs par exemple-, pourrait faire ressortir de nouvelles « règles du jeu » à l’adresse de tous, incluant les leaders actuels, et les faire respecter.

1-La loi d’amnistie de 1991 est perçue contraire aux droits de l’Homme. Ces jeunes demandent la poursuite judiciaire des « Seigneurs de la guerre », principalement des chefs de milices – justice punitive.

2-Rapport du Secrétaire général des Nations-Unies devant le Conseil de sécurité, « Rétablissement de l’Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit », Doc. S/2004/616, 2 août 2004, p. 7 parag. 8.

Friday, November 28, 2008

EUROPEAN STUDENTS’ UNIVERSITY FORUM IN LEBANON 2008

SAPIENZA UNIVERSITY OF ROME – IN COLLABORATION WITH UL, USEK, ITALIAN EMBASSY IN LEBANON, ITALIAN INSTITUTE OF CULTURE IN LEBANON, ITALIAN MINISTRY OF DEFENCE, COI, UNIFIL, EUROPEAN ASSOCIATION OF INTERNATIONAL STUDIES

INTRODUCTIONS BY DR. PAMELA CHRABIEH BADINE (RESEARCHER AND PROFESSOR, REPRESENTING USEK- Lebanon)

26th November 2008 (UL, Lebanon)

SESSION I (12.00 PM)

University Cooperation promoting Human Rights,
Fundamental Freedoms and the promotion of solidarity
Democracy and integration process

1) There are several definitions for human rights. The most common one in the Western literature often uses the term “human rights” for both natural rights (rights that derive from nature) and civil rights (rights that derive from society, or the social contract). This definition is found in the United Nations Universal Declaration of Human Rights (1948) which is known to set the “global standards”, including the right to health, education, shelter, employment, property, food, fair trial, freedom of speech, thought and movement, freedom from torture and slavery, etc. Even if most countries ratified this Declaration, its implementation is not generalized. For some scholars, this reality is seen negatively. For others, it is a natural situation, because each country builds its system of rights and liberties according to local traditions, customs, culture and political system. Furthermore, human rights and freedoms exist in every civilization and religion throughout the history of mankind, from the Mesopotamian Codes of Hammurabi to the present day. This puts forward the concept of cultural relativism. One thing for sure is that there is no consensus concerning the vision of human rights and freedoms, whether on a global scale or within Lebanon. The debate is continuous between universalistic and cultural relativism promoters. Any cooperation, and especially between universities on a international level, should bare this in mind and work accordingly.

2) There are several definitions for democracy. The most common one found in the Western literature could be summarized in the following:

· the political orientation of those who favor government by the people or by their elected representatives

· a political system in which the supreme power lies in a body of citizens who can elect people to represent them

· majority rule: the doctrine that the numerical majority of an organized group can make decisions binding on the whole group

It is important to consider, in the broader arena, two general objections to the advocacy of democracy that have recently gained much ground in international debates and which tend to color discussions of foreign affairs. There are, first, doubts about what democracy can achieve in poorer or ‘under-developed’ countries. Is democracy not a barrier that obstructs the process of development and deflects attention from the priorities of economic and social change, such as providing adequate food, raising income per head, and carrying out institutional reform? It is also argued that democratic governance can be deeply illiberal and can inflict suffering on those who do not belong to the ruling majority in a democracy. Are vulnerable groups not better served by the protection that authoritarian governance or other political systems can provide? For example in Lebanon, the social-political system is called ‘Consociative Democracy’, allowing Christian and Islamic communities to equally rule the country. This system does need reforms, especially when it comes to individual rights and liberties, and freedom of beliefs beyond the religious ones. But these reforms should not allow minorities to be excluded.

The second line of attack concentrates on historical and cultural doubts about advocating democracy for people who do not, allegedly, "know" it. The endorsement of democracy as a general rule for all people, whether by national or international bodies or by human rights activists, is frequently castigated on the ground that it involves an attempted imposition of Western values and Western practices on non-Western societies. The argument goes much beyond acknowledging that democracy is a predominantly Western practice in the contemporary world, as it certainly is. It takes the form of presuming that democracy is an idea of which the roots can be found exclusively in some distinctively Western thought that has flourished uniquely in Europe--and nowhere else--for a very long time.

In understanding where the two lines of attack on democratization respectively go wrong, it is crucial to appreciate that democracy has demands that transcend the ballot box.

Indeed, voting is only one way--though certainly a very important way--of making public discussions effective, when the opportunity to vote is combined with the opportunity to speak, and to listen, without fear. The force and the reach of elections depend critically on the opportunity for open public discussion. The championing of pluralism, diversity, and basic liberties can be found in the history of many societies. The long traditions of encouraging and protecting public debates on political, social, and cultural matters in, say, India, China, Japan, Korea, Iran, Turkey, the Arab world, and many parts of Africa, demand much fuller recognition in the history of democratic ideas. This global heritage is ground enough to question the frequently reiterated view that democracy is just a Western idea, and that democracy is therefore just a form of Westernization.

A fuller understanding of the demands of democracy and of the global history of democratic ideas may contribute substantially to better inter-university cooperation. It may also help to remove some of the artificial cultural fog that obscures the appraisal of current practices.

SESSION II (3.00 PM)

Common security policy and international cooperation for peace

Political-economical cooperation

1) Security can be defined as "the state of being free from unacceptable risks". War or conflicts are particular unacceptable risks that concern us as Lebanese. For some scholars and experts, being free from these risks demand one of the following processes or both of them: Peacemaking or ending violence – silencing the weapons -; Peacekeeping or preventing violence from reoccuring – this is for example the UNIFIL mission at the southern Lebanese border.

2) As for peace, it concerns three intermingling processes – one step further than security: Peacemaking; Peacekeeping; and Peacebuilding or edifying conviviality within a society, with its diaspora and with other societies. Conviviality is not coexistence, nor tolerance. It is based on mutual respect of rights and freedoms, on their fulfillment, on dialogue, on solidarity, on the living and working together – in French ‘le vivre ensemble’ – in order to reach a better management of the diversity of identities, visions and practices – whether political, economical, religious, cultural, linguistic, generational, etc. This vision of peace is based on a vision of war as defined by the Lebanese Psychiatrist Adnan Houballah in his book ‘Le virus de la violence’ (The Virus of Violence, Albin Michel, 1996) that includes a physical or visible process (combats, negotiations, treaties) and a psychological or invisible process (trauma, suffering, bruised memories, torn identities, prejudice, stereotype, absence of dialogue and solidarity). In this perspective, Lebanon is in a continuous state of war, especially since the 70s, and breaking the cycle of this war requires the 3 Ps.

Given the latter, I think that any cooperation between universities on an international level should not seek a common understanding on security policies but a broader agreement and action plan. Security measures could be included but would not be sufficient.

3) It is widely recognized that national development depends partly on the wealth of natural resources (economic development), capital resources (capital construction), as well as on human resources (building talented work forces). Industry and enterprises are economic entities of national productivity and basis of capital construction. Universities are the continuing education training ground for these industry and enterprises. In order for the university to educate a compatible and adaptable talented work force, increase the level of scientific research and the achievement in scientific research conversion rate, there must be an establishment of a close cooperation with enterprises. Through cooperation with enterprises, the university can accurately map out its own development direction, improve teacher's practical ability, enhance the education quality and strengthen its personnel training capability. In that perspective, inter-university cooperation in economical issues could pay close attention to the formulation of joint programs and concrete content with enterprises, which have to primarily include new theories, technologies and methodologies.

Additionally, it is worth stating that the training content more useful and valuable for students of enterprises if it is integrated nicely with the realistic demands from the enterprise. A training program which has achieved this goal is the most effective and is welcomed by the industry. Through cooperation with enterprises, whether local or foreign, the communications of educators, engineers and technicians are greatly enhanced. This does not only speed up the process of transforming scientific research products, but also helps solve those urgent problems of enterprise. Both universities and enterprises can then share intellectual properties of scientific research and technology

4) Finally, inter-university cooperation could contribute to identifying political reforms such as the electoral law or the implementation of a common civil personal status, to creating political awareness and empowering minorities of conditions – women, youth, Diaspora members, religious minorities’ adepts, to analyzing the impacts of regional conflicts on local contexts, etc. In October 2008, Saint-Joseph University of Beirut and the University of Montreal organized a symposium on managing religious diversity while tackling the issues of the political systems in Lebanon and Quebec.

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Genuine love

By Michele Chrabieh

December 2nd, 2008

I lost my pen in an emotional roller coaster, one of those we are bound to ride till the day we fade away… yet the past few months made me value more the embryo of temporary moments of pleasure and love. Moments I could only breathe and not convey through words. Today, words appear still relatively weak vis-à-vis such moments, but they remain my sole remedy and cure.

Again it’s in Beirut that the roller coaster was activated. We lived street combats, which reminded us of the 1975 war we feared to live again. We were fooled by what we call “love”, the Achilles’ heel, yet again egotism, weakness, fear of responsibility and doubt conquered. We experienced death and sickness in the family, which strengthened our belief in life and genuine love… But in Beirut, we constantly rise from our wounds stronger and more determined to live and let go…In Beirut, we live and survive…In Beirut, we realize and Love again and again…

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True Pain

By Michele Chrabieh in Beirut

Wednesday December 3rd, 2008

Dedicated to JVA

Pain will begin when you will start peeling your life moment by moment…especially as of those moments of solitude and fury…when I met and got to know you…

You will no longer weep, but stand still and hope such torture would stop. ‘Cause every lie and every little hurt you have done would last an eternity in the far end of your mind… Time is fluid with the damage created… and the hardest lesson is yet to come as you will learn about the consequences of the things you have done… inch by inch, detail by detail….You will strip everything down to truth and I bet it will hurt more than anything else… You will live an ever lasting painful awakening and I will step out the door with hesitation and sorrow yet with pride and vitality. In time, I will even look at those moments with fondness… and desire the alternative genuine path I have yet to discover. There is no place in my life for lies, except a temporary anger and pain…to be replaced soon with undying and unending love…


Wednesday, November 19, 2008

Médias et islamismes

Colloque

Vendredi 21 novembre 2008 | Beyrouth (Liban)

Beirut Media Forum 2008 : médias et islamismes

Institut français du Proche-Orient (Ifpo), Friedrich Ebert Stiftung, Orient Institute Beirut

Résumé

Ce colloque se propose de réfléchir sur les modes de représentation médiatique de l’islam politique à partir d’études de cas emblématiques (Palestine, Yémen, Soudan, Iran, Liban…) en explorant les facteurs qui président à leur construction et circulation. Il s’intéressera ensuite aux nouveaux lieux de communication politique islamistes – les i-médias – en s’interrogeant sur les formes de mobilisation et de réception qu’ils suscitent aux niveaux local, national et transnational.

Annonce
À partir du milieu des années 1980, l’irruption spectaculaire de mouvements se réclamant de l’islam comme principe de légitimation ou comme objectif politique retiendra l’attention grandissante des spécialistes du Moyen Orient.

Le rôle joué par des acteurs islamistes dans les principaux conflits qui secouent le monde arabe n’a fait que renforcer cet intérêt.

Une abondante littérature, plus ou moins savante, a ainsi vu le jour traitant de questions relatives aux conditions de genèse du phénomène, à ses références idéologiques… L’islamisme a ainsi été abordé sous l’angle de la contestation politique, de la stratégie identitaire. Différentes analyses ont été proposées pour appréhender ses fondements sociaux, saisir ses répertoires de mobilisation et analyser ses stratégies politiques.

Néanmoins, rares demeurent les études qui se sont intéressées à sa représentation dans la sphère publique et en particulier médiatique. Qui plus est, malgré sa richesse et sa grande visibilité, la scène médiatique islamiste qui a su tirer profit des nouvelles technologies de l’information, reste très peu explorée.

C’est pourquoi, les organisateurs du Beirut Media Forum ont décidé de consacrer sa cession 2008 au thème du traitement médiatique de l’islamisme. Notre colloque se propose d’abord de réfléchir sur les modes de représentation médiatique de l’islam politique à partir d’études de cas emblématiques (Palestine, Yémen, Soudan, Iran, Liban…) en explorant les facteurs qui président à leur construction et circulation.

Il s’intéressera ensuite aux nouveaux lieux de communication politique islamistes – les i-médias - en s’interrogeant sur les formes de mobilisation et de réception qu’ils suscitent aux niveaux local, national et transnational.

A l’instar des éditions précédentes, BMF 2008 favorisera une approche qui confronte les discours académiques institués aux expériences pratiques de professionnels des médias. Seront ainsi conviés à intervenir des chercheurs européens et arabes travaillant sur le Moyen Orient ainsi que des journalistes ayant couvert cette région du monde.


Programme

9h : Discours d’ouverture
Samir Farah (FES), Franck Mermier (Ifpo), Stefan Leder (OIB)

9h15-10h : Présentation du séminaire
Olfa Lamloum (Ifpo)

10h-11h30 : Atelier 1 : De la construction des crises

Président de séance : Melhem Chaoul, sociologue, Université Libanaise

- Samy Dorlian, doctorant, Institut d’Etudes politiques, Aix-en-Provence
De la « Jeunesse Croyante » aux « huthistes » : le traitement médiatique de la guerre de Saada au Yémen

- Salima Mellah, journaliste, France
Regard croisé algéro-français sur la seconde guerre en Algérie

- Fabrice Weissman, directeur d’études, Médecins sans Frontières, Paris
Le Darfour, avant-poste de « la lutte contre l’islamo-fascisme » ?

12h-13h30 : Atelier 2 : L’islamisme en opposition

Présidente de séance : Mona Harb, politologue et urbaniste, American University of Beirut

- Masserat Amir-Ebrahimi, chercheure associée, Monde Iranien et Indien, CNRS, Paris-Téhéran
La présence des bloggers religieux dans le weblogestan iranien

- Saad Sowayan, anthropologue, King Saud University, Riyad
Médias saoudiens et « lutte contre le terrorisme »

- Muriel Asseburg, directrice du Département Moyen-Orient et Afrique, German Institute for International and Security Affairs, Berlin :
Les partis islamistes dans les médias allemands

14h30-16h : Atelier 3 : Les stratégies médiatiques de l’islamisme

Présidente de séance : Pamela Chrabieh Badine, docteur en sciences des religions, Université de Montréal

- Husam Tammam, chercheur et journaliste, Égypte
Les chaînes satellitaires salafistes

- Alev Inan, chercheure, Département médias et éducation, Passau University
Les usages islamistes d’internet

- Anne-Béatrice Clasmann, journaliste, DPA, Istanbul
Scoop ou responsabilité ? Comment les journalistes devraient-ils faire face aux messages terroristes ?

16h30-18h : Table ronde : Médias et « lutte contre le terrorisme »

Président de séance : Ahmad Karaoud, directeur du bureau régional Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnistie Internationale

- Racha Al-Atrach, journaliste, Liban (as-Safir)

- Jihad El-Zein, journaliste, Liban (an-Nahar)

- Paul Khalifé, journaliste (Magazine, à confirmer)

- Fida Ittani, journaliste, Liban (al-Akhbar)

- Birgit Kaspar, correspondante freelance, Beyrouth (Deutschlandradio et autres médias allemands


Mots-clés
  • islamisme, média, télévision, journalisme, Proche-Orient, Liban, Arabie Séoudite, Égypte, Yemen, Algérie, Soudan, Iran, salafisme, blog
Lieu
  • Beyrouth (Liban) (Le Méridien Commodore, Hamra)
Date
  • vendredi 21 novembre 2008
Contact
  • Olfa Lamloum
    courriel : o [point] lamloum (at) ifporient [point] org
    Ifpo - Beyrouth
Url de référence

Pour citer cette annonce

« Beirut Media Forum 2008 : médias et islamismes », Colloque, Calenda, publié le mercredi 12 novembre 2008, http://calenda.revues.org/nouvelle11449.html

Monday, November 03, 2008

Les élections présidentielles aux États-Unis 2008

Un article de mon collègue Aziz Enhaili, publié sur Oumma.com:

Les Etats-Unis et la campagne électorale de 2008

samedi 25 octobre 2008 - par Aziz Enhaili
L’élection présidentielle américaine de novembre 2008 est historique. S’y affrontent deux générations politiques, celle des babyboomers et celle X. Une bataille entre un vétérant de la guerre du Vietnam et un politicien post-racial et post-guerre du Vietnam. Malgré les atouts de chacun des deux camps, ils s’inquiètent que certain facteurs leur jouent de vilains tours.
Jamais de mémoire d’homme une élection présidentielle américaine n’a autant passionné les électeurs américains que celle qui se déroule actuellement dans leur pays. Cet engouement dépasse comme jamais auparavant les frontières du pays pour toucher le reste de la planète. Et pour cause. Les États-Unis, c’est un pays à part, un pays, à plusieurs égards, unique.
I. LES RAISONS DE L’ENGOUEMENT POUR UNE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE HISTORIQUE
Dans un système international encore largement unipolaire, les États-Unis demeurent encore la seule superpuissance de l’ère post-Guerre froide. (1) Leur budget de défense dépasse largement celui de tous les autres pays réunis. Malgré la crise financière majeure qui les frappe actuellement de plein fouet (plus que le reste de la planète), les États-Unis demeurent la première économie de la planète. Leur culture pop est toujours de loin la plus influente du monde. Chaque fois qu’une crise régionale ou internationale éclate quelque part, les yeux du reste de la planète se tournent vers Washington pour voir si on peut bénéficier du concours de sa diplomatie ou de ses forces armées. L’architecture internationale qu’ils avaient largement contribués à édifier depuis la fin de la Seconde guerre mondiale (ONU, FMI, Banque Mondiale, OMC, etc.), ainsi que les traités multilatéraux dont ils sont partie prenante, les favorisent largement.
Pour ces raisons et à la lumière des dommages énormes causés notamment à l’égard du système international, par la politique étrangère aventureuse de l’administration républicaine de George W. Bush, le reste de la communauté internationale suit avec un mélange d’intérêt, d’espoir et d’inquiétude la campagne présidentielle de cette année.
Après un règne républicain de huit ans, règne tant décrié partout, y compris à l’intérieur du pays de Bush lui-même, le monde se met à rêver. Il suffit de consulter les résultats de différents sondages de maisons prestigieuses comme Gallup, Pew Research ou Zoghby-International, auprès de l’opinion publique de différents pays pour se rendre compte que l’opinion internationale espère largement une victoire démocrate le 4 novembre 2008.
Si l’élection du sénateur démocrate Barack Obama est vue comme un symbole fort de changement et de rupture avec les années Bush et sa diplomatie bottée et unilatérale, (2) le choix du sénateur républicain John McCain est perçu par plusieurs comme une continuité de l’ère du parti actuellement aux affaires. Même s’il a bâti son plan de campagne électorale sur l’image d’un Mavrick, c’est-à-dire un esprit libre et frondeur, un front-tireur, plusieurs de ses récents réalignements, pour raisons électorales, tels le rapprochement avec George W. Bush et l’adhésion finalement à son programme de baisses massives des impôts en faveur des couches riches de la population, démentent une telle posture.
Le volet « politique étrangère » de son programme électoral est un autre élément de continuité avec l’héritage de Bush. D’abord, ses conseillers sont pour la plupart de faucons néo-conservateurs liés à l’administration sortante et qui avaient entouré l’éphémère candidat à la présidentielle et ancien maire de New York, le républicain Rudolph Giuliani. Parmi eux, on trouve des noms comme ceux de William Kristol (directeur du journal Weekly Standard), Charles Krauthammer (journaliste très influent), l’historien Paul Kagan (éditorialiste et chercheur principal à la Carnegie Endowment for International Peace), Richard Perle (ancien directeur du Defence Policy Board, entité dépendante du ministère de la défense), James Woolsey (ancien directeur de la CIA), le controversé historien Daniel Pipes, etc. Ces conseillers ont joué un rôle important dans la préparation de l’opinion publique aux États-Unis et en Europe à la guerre contre l’Irak.
Ils se retrouvent dans différents Think Tanks conservateurs, dont les plus importants sont l’American Enterprise Institute, la Heritage Foundation, le Washington Institute for Near East Policy, le Hudson Institute. Ils privilégient le recours aux forces armées (Hard Power) pour résoudre les crises internationales, intimider les adversaires des États-Unis et même renverser des régimes considérés comme hostiles aux intérêts américains. Même si l’intervention américaine en Irak s’est révélé en fin de compte un échec stratégique colossal, cela ne les empêche pas de prêcher cette fois en faveur d’une intervention militaire en Iran voisin, pour changer son régime politique, sous couvert de contentieux nucléaire. Toujours dans un esprit de continuité de politique étrangère, McCain voudrait garder les troupes américaines en Irak pour « cent ans », s’il le faut, et, pour empêcher les mollahs de Téhéran d’accéder au club sélect des puissances nucléaires, il a proposé ce qui suit, sur le mode chanté : « bomb, bomb, bomb,… bomb Iran », « bomb, bomb, bomb,… bomb Iran » !
Avec les deux candidats, démocrate et républicain, un vrai choix est donc offert cette année aux électeurs, un choix entre le changement transformateur et le statu quo gestionnaire.
II. LES URNES ENTRE « L’EFFET BRADLEY » ET « L’EFFET FEY »
Si « l’obamania » est un sentiment largement partagé dans le reste de la planète, (3) la situation à l’intérieur des États-Unis paraît plus contrastée que jamais. Après une révolution conservatrice de plus de deux décennies, ce pays est devenu très divisé. D’un côté, des États « libéraux », situés notamment dans les côtes Est et Ouest du pays, et apportant largement leurs appuis au Parti démocrate. De l’autre, des États du « Bible Belt », une ceinture d’États conservateurs situés en Amérique profonde, plus vers le Sud du pays. C’est comme si l’ancienne frontière séparant les États esclavagistes du Sud et les États émancipateurs du Nord était toujours présente dans les esprits.
De puissantes et influentes villes comme New York et Los Angeles représentent l’esprit des États « libéraux », des villes honnies par les milieux religieux conservateurs car elles symbolisent, disent-ils, le règne de la « débauche » et de la « luxure ». Dans ces États « progressistes », les mœurs sont assez libres, des valeurs et principes comme le multiculturalisme, le post-modernisme, le droit à la liberté d’expression et de conscience, et la séparation de la religion et de l’État sont hautement valorisés. Les femmes sont ici libres de disposer de leur corps comme elles l’entendent et ont donc droit à l’avortement. Ici aussi, la légalisation des premiers mariages homosexuels dans plusieurs États, dont le Massachusetts, a été rapidement suivie d’effet. Dans ces États, plusieurs groupes militent pour le contrôle de l’accès des civils aux armes, à défaut de leur interdiction pure et simple. Et chaque tuerie dans les écoles ou universités sert pour eux de cri de ralliement.
Dans les États conservateurs, la base évangélique du Parti républicain règne en maître. (4) Pour combler le grand retard de son parti dans ces États, le sénateur démocrate de l’Illinois voudrait réconcilier son parti avec cette base pieuse. En mettant un terme à l’abandon par la gauche des thèmes religieux, il voudrait briser le monopole que se sont donnés les républicains sur la question religieuse, et permettre ainsi à son parti d’améliorer ses chances en Amérique profonde. (5) Mais cette volonté de la part de Barack Obama de réinvestir la religion dans la sphère publique ne s’explique pas seulement par des calculs politiciens. Elle est sincère et traduit également son inscription dans la tradition politique américaine et sa conscience que l’opinion publique se reconnaît encore dans les références religieuses. Une telle attitude pourrait paraître inhabituelle en Europe, un continent largement « déchristianisé ».
Dans cette partie conservatrice des États-Unis, aucun homme politique en quête d’un destin national ne peut « snober » un électorat évangélique fort de 60 millions d’électeurs passionnés (6) et donc prêts à partir en croisade contre le gouvernement fédéral ou tout candidat faisant la promotion d’un agenda social libéral (au sens américain). (7) Dans ces États, on s’oppose à la fois à l’interventionnisme du gouvernement fédéral, au mariage homosexuel et à l’avortement, et on tient mordicus à la liberté de porter des armes. Ici, les parents pieux préfèrent voir leurs enfants étudier à l’école le créationnisme au lieu de la théorie darwinienne de l’évolution. D’ailleurs, plusieurs parents s’y arrangent pour garder leurs enfants à la maison et leur donner un enseignement conforme à leurs convictions religieuses. Ici aussi, les églises sont bondées le dimanche et les groupes de prière ou d’étude de la Bible sont légion. (8) Certains de ces groupes vont jusqu’à proclamer ouvertement la nécessité d’appliquer les châtiments corporels bibliques. Pour eux, la loi religieuse est supérieure à la Constitution américaine.
On est donc dans un pays polarisé entre une droite laïque et religieuse et une gauche libérale. Entre les deux, une guerre culturelle est ouvertement déclarée depuis deux décennies au moins. Il faut toutefois reconnaître qu’à ce chapitre la première compte une bonne avance sur la seconde. (9)
Dans un tel contexte culturel, si on peut s’attendre à ce que l’Amérique bleue (qui vote généralement démocrate) donne le 4 novembre prochain la plupart de ses suffrages au sénateur métis de l’Illinois, les électeurs des États du « Bible Belt » pourraient se montrer plus sensibles à la rhétorique conservatrice du sénateur de l’Arizona. Mais la réalité politique américaine est loin d’être aussi simple que cela. Si les démocrates craignent de voir « l’effet Bradley » agir le jour J à leurs dépens, les républicains sont de leur côté angoissés à l’idée que « l’effet Fey » anéantisse les chances de leur champion d’accéder à la Maison-Blanche le 4 novembre 2008.
1. « L’effet Bradley »
L’expression « effet Bradley » est en vogue aujourd’hui à la fois dans les rédactions des médias écrits et électroniques et les états-majors des deux grands partis, le Parti républicain et le Parti démocrate, sans oublier les chaumières. Elle est du nom de Tom Bradley, cet ancien maire noir démocrate de Los Angeles qui voulait devenir gouverneur de l’État en 1982. Bien que les sondages d’opinion le donnait d’avance vainqueur, une fois dans l’isoloir une majorité d’électeurs lui a préféré son adversaire blanc. C’est pourquoi ce dernier, et non le maire noir, a remporté le poste convoité.
Ce résultat, et donc l’expression « effet Bradley », exprime alors le décalage entre les déclarations « politiquement correctes » faites aux sondeurs qu’on voterait pour un Noir et les vrais motivations des électeurs exprimées dans le secret de l’isoloir.
Les États-Unis ont fait beaucoup de chemin depuis les lois ségrégationnistes des États du Sud. Ils ont vu depuis cette époque marquante de lutte pour les droits civiques des Noirs, l’émergence d’une nouvelle génération de citoyens de toutes couleurs plus à l’aise dans une société multiculturelle, une société irriguée continuellement par des vagues successives d’immigrants venus des quatre coins de la planète.
Malgré ces changements sociologiques majeurs, les démocrates s’inquiètent quand même que « l’effet Bradley » ne pointe son nez dans le secret de l’isoloir, faisant basculer le vote en faveur de leur adversaire conservateur. Les deux derniers complots ourdis par l’extrême droite américaine en vue d’assassiner Barack Obama et heureusement éventés à temps par les autorités, (10) ne sont pas de nature à rassurer les partisans du sénateur de l’Illinois. D’où un sentiment de fatalité qui s’est répandu notamment dans la communauté Afro-Américaine.
Bien qu’elle soit compréhensible, une telle inquiétude de « l’effet Bradley » est un peu exagérée. Plusieurs raisons sont de nature à en relativiser la portée.
Il est vrai que nul ne peut nier un fait têtu : le racisme et la discrimination raciale anti-noir continuent de sévir aux États-Unis. Aucune classe sociale, aucun parti politique, aucun syndicat, aucune administration ou entreprise ne sont totalement exempts de ce fléau néfaste pour la société dans son ensemble. La mémoire des Africains-Américains baby boomers d’aujourd’hui est marquée à jamais par ces années de guerre raciale, période durant laquelle ils étaient dans les États ségrégationnistes du Sud privés des droits civiques que la Constitution américaine reconnaissait à tout citoyen américain. À cette ségrégation avait répondu un mouvement historique des droits civiques, un mouvement de gauche bénéfique pour les Afro-Américains.
S’y étaient côtoyés des militants Blancs et Noirs, des Catholiques, des Protestants, des Musulmans et des Juifs. Grâce notamment à ce mouvement historique, de larges pans du peuple américain avaient pris conscience des injustices historiques faites aux Africains-Américains. Une telle prise de conscience avait facilité l’adoption de politiques progressistes comme celle de la discrimination positive (Affirmative Action) qui devaient servir à combler le retard historique enregistré par la communauté noire américaine par rapport à la majorité blanche.
Depuis, cette communauté africaine-américaine a fait beaucoup de chemin. De conséquentes fortunes noires ont été bâties. Une classe moyenne noire a prospéré. Une nouvelle élite a fait son apparition dans le paysage politique local et national. À la génération des guerres raciales des années 1960 et 1970 succède une nouvelle génération, la génération dite post-raciale. Barack Obama en est un digne représentant.
Les enfants de cette minorité Afro-Américaine évoluent, en compagnie des enfants des autres groupes ethniques, dans une société nourrie par un flot continu d’immigrants venus des quatre coins de la planète. Grâce à la fois à l’élévation du niveau général de l’éducation de la population, à la globalisation et à l’impact majeur des outils d’information de la révolution Internet, la jeune génération blanche est plus ouverte que celle de ses parents sur le monde et charrie moins de préjugés racistes. Elle a eu assez de temps pour « s’habituer » aux enfants des autres minorités, notamment celle Africaine-Américaine. Leurs rapports sont moins passionnés.
C’est la mobilisation historique de cette jeune génération politique qui explique en partie les succès enregistrés par la campagne de Barack Obama face à la puissante machine des Clinton. Ces jeunes, majoritairement blancs, se sont vite reconnus dans le message d’espoir et d’unité du sénateur métis. Cette nouvelle clientèle a soif d’une nouvelle façon de faire la politique. Des candidats comme Hillary Clinton ou John McCain représentent à leurs yeux la vieille politique. La maîtrise d’Obama des outils de la révolution d’Internet l’a rapproché d’eux. D’ailleurs, il s’en est largement servi pour renflouer ses caisses électorales, avec le grand succès que l’on sait. Cette génération a investi les différents comtés du pays pour faire bénévolement campagne en faveur de son champion charismatique. Elle convie la famille et les proches à « oser » prendre place, comme elle, dans le « train » du renouveau. Même des membres jeunes de la propre famille du candidat républicain McCain sont tombés sous le charme.
Avec l’arrivée de cette nouvelle génération et les changements sociologiques majeurs touchant les États-Unis ces dernières quarante années, s’il y a quand même un « effet Bradley », parions que son impact sera moindre que celui craint.
Un deuxième facteur est également de nature à affaiblir la portée de cet « effet Bradley ». Il s’agit de la soif rédemptrice des Américains. Après les blessures de deux siècles d’esclavage et des lois de ségrégation raciale dans les États du Sud du pays, les Américains ont soif de se réconcilier et de tourner pour de bon cette page sombre de leur histoire. L’arrivée de Barack Obama sur la scène est de ce point de vue bénéfique et de la plus haute importance symbolique.
Voici un individu très complexe, avec un parcours atypique par rapport aux autres membres de la classe politique traditionnelle américaine. Il n’est ni totalement blanc, ni totalement noir. Il est issu d’un couple mixte, une mère américaine blanche du Kansas et un père africain du Kenya. Dès sa tendre enfance, il a eu une expérience multiculturelle enrichissante. Son parcours personnel l’a mené des îles Hawaï, où il est né, en Indonésie, où il avait passé quelques années de son enfance. C’est dans ce populeux pays musulman qu’il a eu un premier contact direct avec le sous-développement, la pauvreté, les inégalités sociales, la tyrannie et la corruption dans les pays du Sud. De retour aux États-Unis, il a fini par savoir qui il était et depuis il a réussi son parcours académique dans deux des universités les plus prestigieuses du pays (Columbia, puis Harvard). (11)
Fort de ses diplômes prestigieux et de son titre de premier président Africain-Américain de la prestigieuse revue de droit de l’Université Harvard, le nouveau diplômé aurait pu rejoindre l’un des cabinets d’avocats les plus prestigieux du pays. Mais c’était méconnaître le jeune juriste. À la place, il a œuvré dans les pauvres quartiers Sud de Chicago comme travailleur communautaire. Ce qui en dit long sur son engagement personnel en faveur des démunis et de ceux qui n’ont pas de pouvoir politique ou économique. Là, il a entamé l’apprentissage de son futur métier d’homme politique. Il a appris à conclure des alliances et à bâtir des consensus entre différents groupes sociaux et courants politiques. Cet apprentissage le servira d’abord sur son chemin vers l’assemblée de l’Illinois et plus tard vers le sénat à Washington.
Étant représentatif à plusieurs égards de cette génération post-raciale dont on a parlé ci-dessus, des acteurs qui tout en reconnaissant le rôle positif de l’héritage des luttes passées de leurs aînés, trouvent qu’il est temps de passer à autre chose. Malgré la persistance encore aujourd’hui de la discrimination, cette génération est plus à l’aise dans les États-Unis d’aujourd’hui que ne l’étaient ses aînés il y a quelques décennies seulement. Cette génération est ouverte à la collaboration avec les autres groupes ethniques du pays pour le bien de tous.
Avec son héritage familial et son expérience de vie, Obama s’est forgé un profil d’homme politique de consensus et d’ouverture à l’égard des idées des autres acteurs politiques, y compris dans le camp adverse.
Avec un tel profil et un discours d’ouverture, d’espoir et d’unité qu’il insuffle autour de lui au moment même où les républicains apparaissent comme des acteurs de division d’une Amérique frappée à la fois par une grave crise financière et un isolement international, les compatriotes du sénateur métis de l’Illinois ne se sentent pas menacés par lui. Touché par la mystérieuse grace, il dégage l’empathie et ne laisse personne indifférent. Il inspire confiance et redonne même espoir dans ce fameux rêve américain, lui qui malgré ses origines modestes avait réussi à étudier dans deux des meilleures institutions du pays, a fondé une famille stable, a acheté une belle maison et s’est hissé au sommet de la hiérarchie politique allant jusqu’à imaginer devenir président de son pays. Qui pourrait être meilleur avocat du rêve américain que lui-même ! Et puis, étant à moitié blanc, il fait moins peur à beaucoup de Blancs.
En contribuant à le porter au pouvoir, la majorité blanche administrerait la meilleure des preuves possibles de sa tolérance et de son ouverture à l’égard des Afro-Américains. Si une telle issue heureuse devait se concrétiser, une page sombre de l’histoire contemporaine américaine serait tournée et une autre lumineuse ouverte. Un tel développement historique contribuerait à cicatriser les plaies des Noirs dans ce pays et les réconcilierait avec les Blancs. D’ailleurs, ses trois débats avec McCain ont permis aux dizaines de millions de téléspectateurs américains de le connaître d’avantage et de se rassurer, grâce à sa posture respectueuse et posée et à sa maîtrise de ses dossiers, quand son adversaire est apparu négatif, erratique et privilégiant les attaques personnelles.
Un facteur supplémentaire, et inattendu, vient de s’ajouter à ce tableau pour limiter encore plus l’impact du dit « effet Bradley ». Il s’agit de la crise financière majeure qui vient de s’abattre sur le pays.
Jusqu’à l’été 2008, c’était le thème de politique étrangère qui dominait les débats politiques et non la crise financière. On pensait que ce serait l’Irak le sujet dominant de l’élection de novembre. Lors des différents débats d’investiture du candidat démocrate, l’Irak revenait souvent dans les échanges et Barack Obama apparaissait comme celui qui avait, avant tous les autres, fait le bon choix, en se montrant, dès octobre 2002, très critique de l’intention de Bush d’envahir l’Irak. À l’époque, il était sénateur à l’État de l’Illinois. Il avait prononcé un discours, devenu depuis historique, où il a qualifié la guerre d’invasion de l’Irak de grave erreur qui aura, à l’en croire, « une durée indéterminée, un coût indéterminé et des conséquences indéterminées ». (12) Cette prise de position courageuse à l’époque avait réjoui à la fois la gauche du parti démocrate et les milieux pacifistes.
Dans une nation traumatisée à l’époque par les attentats terroristes du 11 septembre 2001, muselée par une droite agressive et opportuniste et mobilisée par le discours guerrier et simpliste de faucons néo-conservateurs, le sénateur métis apparaît rétrospectivement comme un homme politique courageux, modéré, raisonnable et posé, quand ses concurrents démocrates et ses adversaires républicains avaient l’air de manquer de sens critique et de sang-froid. D’ailleurs, il n’a jamais hésité à s’en servir durant les différents débats démocrates et face à son adversaire McCain pour montrer que même s’il n’avait pas leur expérience en matière de sécurité nationale et de politique étrangère, il avait néanmoins plus de jugement qu’eux. Visiblement, cet argument s’est révélé porteur auprès de la base démocrate du moins.
De leur côté, les républicains du sénateur de l’Arizona voulaient faire de cette élection un référendum sur Obama. Ils ont réduit le sénateur métis à un phénomène médiatique et rhétorique. Pour eux, il n’est pas prêt pour gouverner les États-Unis, contrairement à un John McCain, un sénateur fort d’une expérience de plus de vingt ans en matière de sécurité nationale et de politique étrangère. Sans oublier son statut de héros américain, suite à sa participation à la guerre du Vietnam et à son retour au pays après des années passées dans les geôles communistes. Pour ces partisans, leur pays confronté à la menace terroriste et à la prolifération nucléaire, a plus besoin d’un sénateur expérimenté que d’un nouveau venu.
Alors que les uns et les autres fourbissaient leurs armes en vue de l’ultime duel, un nouvel arrivé s’est invité dans la campagne, sans qu’on s’y attende. Il s’agit de la crise financière. À l’origine de cette tempête sans précédent depuis les années 1920-1930 se trouve la crise des crédits immobiliers. Dans un pays où les républicains, et leur champion du jour McCain, se sont toujours opposés à toute réglementation des marchés financiers, au nom de l’idéologie du « laisser faire » et de la soi-disant « main invisible » du marché, les grandes institutions du crédit immobilier et des assurances se sont effondrées les unes après les autres (Fannie Mae, Freddie Mac, AIG, Lehman Brothers, etc.). Aucune semaine ne passait sans voir des milliers de familles américaines perdre leur maison, faute d’avoir payé les mensualités dues aux banques. Avec la raréfaction du crédit, de plus en plus de compagnies mettaient la clé à la porte, licenciant ainsi leurs employés. Wall Street et le Dow Jones ont suivi cette vague. La panique s’est donc emparée des marchés et des Américains.
Dans une économie mondiale de plus en plus intégrée, la crise financière américaine s’est propagée dans le reste de la planète. Partout, les bourses voyaient la valeur de leurs actifs virtuels fondre. Après le Canada, l’Europe, le Japon et la Russie, c’était au tour de la Chine et des pays du Golfe arabo-persique d’être touchés par la tourmente financière.
Circonstance aggravante : la crise financière s’est métamorphosée en crise économique. Plusieurs banques centrales ont massivement intervenu sur le marché pour protéger la valeur de leur monnaie. Contrairement à ce qui se passait auparavant les petites et moyennes entreprises ont vu les conditions bancaires d’octroi du crédit se resserrer de façon draconienne, poussant plusieurs d’entre elles à cesser leurs activités. Faisant de nombreux chômeurs.
Pour sauver les meubles et éviter que la crise ne prenne les allures d’une dépression, douloureux souvenir pour les plus vieux, le gouvernement fédéral américain s’est finalement résout à intervenir massivement pour sauver les institutions financières se trouvant en difficulté.
Depuis cette crise, les paramètres de la campagne électorale américaine se sont modifiés radicalement. Dorénavant, ce qui compte c’est la compétence en matière économique et non l’expérience en matières de sécurité nationale et de politique étrangère. Contrairement à un McCain qui avait dit nonchalamment, dès le début de sa campagne, qu’il n’avait pas de compétences en matière économique, son adversaire démocrate s’est toujours efforcé de donner l’impression de s’y connaître et d’avoir un plan de sortie de la crise.
Dans cette nouvelle conjoncture économique marquée par une inquiétude qui ne cessait de se propager de plus en plus dans différents groupes sociaux aux quatre coins du pays, les chances de McCain reculaient et ceux de son adversaire progressaient. Comme républicain et libertaire, le sénateur de l’Arizona est tenu pour coupable par association avec l’administration de Bush, qu’on tient pour responsable de cette crise, d’où l’idée de plusieurs indépendants et même de nombreux républicains de voter pour son adversaire.
En raison de cette grave crise, les mentalités ont mûri assez rapidement et la voix du changement est devenue plus forte qu’auparavant. Malgré ses différents efforts, le sénateur McCain n’a pas réussi à s’imposer comme une figure de changement. D’ailleurs, c’était un pari perdu d’avance. En plus d’avoir voté en faveur de 98% des projets de l’administration sortante, c’est lui que le Parti républicain s’est donné comme candidat officiel. Le même parti qui contrôle le gouvernement depuis janvier 2001, et les deux chambres du congrès jusqu’à l’élection de mi-mandat en novembre 2006. C’est pourquoi Barack Obama s’est imposé comme la figure de changement. D’ailleurs, depuis le début de sa campagne, celui-ci n’avait jamais cessé de marteler ce message.
Avec les changements en profondeur touchant la société américaine dans son ensemble et cette « fatigue » de plus en plus manifeste de la part du public vis-à-vis de l’administration sortante pour son inefficacité économique, ses maladresses en politique étrangère et les scandales politiques touchant plusieurs républicains éminents, le dernier en date concernant Ted Stevens, le sortant sénateur de l’Alaska, l’État de la colistière de McCain, l’occasion est belle pour « punir » les républicains, et ce en votant pour le candidat démocrate, réduisant encore davantage la portée éventuelle de « l’effet Bradley ». À la place, on pourrait assister à un « effet Bradley à l’envers » dans le secret de l’isoloir, dans le sens d’un vote majoritairement en faveur d’Obama.
Si les démocrates craignent les ravages de « l’effet Bradley », les républicains sont très inquiets de souffrir d’un autre facteur, « l’effet Fey ».
2. « L’effet Fey »
Cette expression est du nom de Tina Fey, cette actrice américaine talentueuse qui parodie Sarah Palin dans l’émission culte « Saturday Night Live », émission diffusée par le grand réseau américain NBC. Cette parodie satirique n’est pas à l’avantage de la gouverneure de l’Alaska. Elle dépeint la colistière de McCain comme une femme futile, sans connaissance des questions internationales. Un boulet en fait pour celui qui l’a choisi.
L’expression « effet Fey » traduit ici un décalage entre les intentions de vote communiquées aux sondeurs en faveur du ticket républicain et le choix réel dans le secret de l’isoloir en faveur des démocrates. On peut dire que cet « effet Fey » donne déjà des sueurs froides aux Républicains. Et pour cause. Mais d’abord revenons au début de l’histoire.
Le sénateur de l’Arizona s’était présenté en l’an 2000 pour briguer l’investiture de son parti. Face à lui, il y avait George W. Bush. Grâce notamment à la campagne négative de son stratège Karl Rove, celui-ci a pu venir à bout de son concurrent pugnace. En 2004, il a appuyé la candidature de son président républicain contre le sénateur démocrate John Kerry. Comme le président sortant ne pouvait nullement se représenter cette fois pour un troisième mandat, il a cru son heure arriver.
À cause notamment de sa critique de la construction de la prison de Guantanamo et de la pratique de la torture dans l’archipel des prisons aux mains des militaires américains et de la CIA depuis le lancement de la « guerre contre le terrorisme », la droite pure et dure du Parti républicain n’était pas chaude à l’idée de le voir représenter les conservateurs face à l’adversaire démocrate. Son ralliement de dernière heure au programme de Bush de baisses massives des impôts des riches n’a pas totalement rassuré cette droite. Ses phrases assassines contre ceux qu’il avait qualifiés, il y a quelques années seulement, de « bigots obscurantistes » n’étaient pas de nature à rassurer les milieux évangéliques, un bloc électoral sans l’appui duquel aucun candidat républicain ne pourrait être élu
. Pour gagner l’appui de ces deux groupes d’intérêt, les riches et les évangéliques, McCain devait donner des gages au niveau de son programme et du choix de son colistier. En plus de son rapprochement avec les politiques économiques et étrangères de George Bush, à la satisfaction d’une partie importante de la base conservatrice républicaine, il n’a cessé de clamer son bilan conservateur au sénat (opposition au mariage homosexuel et à l’avortement, appui à la guerre d’Irak et à la lutte contre le terrorisme, soutien inconditionnel à l’État d’Israël, opposition déterminée à un Iran nucléaire, etc.). Mais, visiblement c’était insuffisant. D’où la nécessité pour McCain de bien choisir son colistier.
Après un moment de flottement, le sénateur de l’Arizona a annoncé avoir choisi Sarah Palin comme sa colistière. Avant que sa nomination ne soit connue du grand public, peu de personnes à l’extérieur de son État avaient entendu parler de cette gouverneure de l’Alaska et ancienne mairesse d’une petite ville obscure.
Cette politicienne est une évangélique opposée au mariage homosexuel. Elle s’oppose également à l’avortement, même en cas de viol. Elle soutient la guerre d’Irak et considère la « guerre contre le terrorisme » islamiste international comme une mission divine. Elle soutient l’entreprise des milieux pétroliers cherchant à faire lever l’interdiction des forages pétroliers dans les parcs nationaux protégés par les lois fédérales, au nom du slogan d’indépendance énergétique vis-à-vis des pays du Moyen-Orient ou du Venezuela. Ce profil de Sarah Palin a rassuré la base du Parti républicain. D’où l’affluence des donations dans les caisses électorales de McCain.
Comme le sénateur démocrate avait préféré choisir comme colistier le sénateur Joe Biden et non Hillary Clinton, les partisanes (et les partisans) de la sénatrice de New York étaient mécontentes. Plusieurs d’entre elles avaient déclaré envisager, par dépit, de voter pour le candidat républicain. En choisissant une femme comme colistière, le sénateur de l’Arizona voulait séduire également cet électorat féminin déçu.
En se présentant comme une « Hockey Mom », c’est-à-dire une mère de famille ordinaire, Sarah Palin cherchait à se donner l’aire d’une femme « tout le monde », une femme accessible et chaleureuse, une femme dans laquelle de nombreuses femmes, mères ou sœurs de travailleurs cols bleus ou de classe moyenne pourraient se reconnaître dans un premier temps, pour voter pour son ticket avec McCain le moment venu. Et contrairement à ce qui se passait avant son arrivée sur la scène, la campagne républicaine est devenue plus dynamique. Palin a insufflé une touche chaleureuse dans la campagne. Devant l’affluence de plus en plus de supporters à ses rendez-vous avec les électeurs, McCain était visiblement ravi.
Pour toutes ces raisons, McCain pensait avoir fait un excellent choix. Mais c’était sans compter avec la Palin, la vraie et non le produit de marketing politique. En voulant trop bien faire et en se prenant au jeu du Mavrick, elle a fini par se transformer en boulet pour l’équipe de campagne de John McCain.
Depuis la période des débuts où elle électrisait les foules conservatrices et drainait d’importantes donations électorales, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts républicains et l’effet Palin a largement perdu de son éclat. Plusieurs facteurs expliquent un tel changement d’humeur.
D’abord, Sarah Palin. Plus elle se prononçait sur des questions morales (dont le droit à l’avortement), plus celles dont McCain espérait gagner les suffrages, c’est-à-dire des électrices démocrates et indépendantes déçues de voir leur héroïne Hillary Clinton délaissée au profit d’un autre homme, se rendaient compte combien cette colistière républicaine était ultra-conservatrice et donc très éloignée du centre politique et s’inscrivait à l’encontre de leurs valeurs féminines. D’ailleurs, plusieurs féministes se sont mobilisées pour contrer son charme. Avec assez de succès.
En plus de ses démêlés avec ces milieux intellectuels, son image de « Hockey Mom » a pris un coût également auprès de couches plus populaires. Plusieurs ont été choqués en apprenant que pour quelques semaines de sa campagne elle avait une garde-robe de plus de 150.000 $, elle qui voulait se faire passer pour une femme « tout le monde », et ce au moment même où de nombreux Américains peinent à payer leur loyer. Ces groupes se sont sentis trahis par elle et par son parti.
Ensuite, du côté de son passif, il y a sa campagne acrimonieuse. John McCain, tout comme Barack Obama, s’était engagé à mener une campagne propre, sans verser dans les attaques personnelles. Depuis l’arrivée de Sarah Palin sur la scène, et à la lumière de l’avance d’Obama dans les enquêtes d’opinion, la campagne républicaine s’est nettement métamorphosée. Les recettes éprouvées du stratège républicain Karl Rove ont dorénavant la côte. Étant conscient de la fascination exercée par le démocrate sur de nombreux Américains, l’équipe McCain a recours au salissage, aux rumeurs et insinuations assassines.
Dans une Amérique encore traumatisée par les attentats islamistes d’Al-Qaïda et prise dans les marécages irakiens depuis le renversement du tyran Saddam Hussein et l’occupation de son pays en 2003, la campagne (cette fois) Pa-Cain (contraction de Palin-McCain) (et non plus Mc-Lin) faisait des rapprochements douteux, d’une part, entre le nom du sénateur Obama et celui du honni chef d’Al-Qaïda, Oussama (Ben Laden), et, d’autre part, entre son deuxième prénom Hussein et le nom du dictateur irakien pendu.
À ces rapprochements s’ajoutent les insinuations qu’on ne sait pas qui il est vraiment. Des fois, on est allé jusqu’à se demander s’il était un vrai Américain (le vrai Américain étant ici McCain, un homme blanc d’une mono-culture anglo-saxonne). D’autre fois, on se demandait s’il n’était pas en fait un musulman qui avance à visage masqué. À l’adresse des électeurs républicains qui pourraient être tentés de voter pour lui, les Pa-Cain laissaient entendre qu’Obama serait un socialiste qui voudrait distribuer, de façon égalitaire, les richesses du pays entre tout le monde, y compris ceux qui ne travaillent pas.
Ces différentes tactiques ne cherchaient qu’à distiller assez de doute dans l’esprit des Américains moyens pour leur faire peur et pour les dissuader de voter pour lui.
Si les attaques personnelles font souvent partie du jeu des campagnes électorales aux États-Unis et ailleurs, à trop en abuser ne risquait-t-on pas de faire gâter la sauce. C’est ce qui est arrivé. Comme l’équipe républicaine s’en délectait, elle avait oublié une donne de base, à savoir que la campagne est d’abord l’occasion de parler de son programme.
Pire encore, dans ces temps de crise économique et d’incertitude politique, les électeurs ont plus que jamais besoin d’entendre des voix positives qui les rassurent sur leur avenir. À la place, ils avaient droit à une campagne républicaine agressive et négative et à des attaques personnelles contre l’adversaire démocrate. C’est dire combien le ticket Pa-Cain s’est piégé lui-même. À force de recevoir les coups, on finit par devenir sympathique notamment aux yeux des femmes et des indépendants. D’ailleurs, les sondages d’opinion ont montré que le public était mécontent de la tournure de la campagne républicaine puisqu’il l’a considéré de loin la plus négative.
Enfin, il y a l’aspect de préparation de Sarah Palin à ses éventuelles charges publiques, un aspect qui n’avantage pas la campagne républicaine. C’est un aspect crucial. Comme John McCain est très vieux (72 ans), a affronté plus d’une fois le cancer et aura (s’il est élu) à faire face à des défis extraordinaires pour sortir son pays de la crise et lui redonner sa place dans les alliances internationales, il n’est pas exclu qu’il soit forcé à quitter assez rapidement la Maison-Blanche les pieds devant. Si cela devait arriver, c’est à Sarah Palin, devenu Vice-Présidente, que reviendrait la charge de diriger cette super puissance jusqu’aux élections suivantes, si tel est son désir. Une telle responsabilité suppose une certaine préparation et une certaine connaissance des affaires internationales. Mais est-elle la personne indiquée pour de telles charges, se demande-t-on dans le pays de George Washington ?
Pour sonder la première intéressée, plusieurs équipes de journalistes l’avaient approché. C’était en vain. L’équipe républicaine tenait à contrôler le message. Par inadvertance, elle a finalement permis, à tour de rôle, à deux journalistes vedettes, travaillant chacun pour un réseau national, d’approcher leur poulain. C’était la catastrophe. D’abord, son entrevue avec Katie Curic (CBS), (13) pourtant encadrée, a montré combien elle ignorait les questions internationales. Comme un malheur n’arrive jamais seul, sa deuxième entrevue, cette fois avec Tom Brokow (ABC), (14) a renforcé cette impression et a montré combien elle ne connaissait même pas les doctrines républicaines en matière de sécurité nationale, de défense et de politique étrangère.
À cause de sa médiocrité, l’entourage de McCain était catastrophé. Pour ne pas être en reste, elle a multiplié les attaques contre les grands médias accusés, par ses partisans, de vouloir sa perte, et s’est brouillé avec la garde rapprochée du sénateur de l’Arizona.
À cause de ces trois éléments (son profil d’ultra conservatrice, son mauvais caractère et sa non-préparation), celle qui était au début un atout pour la campagne électorale de McCain, s’est transformée en boulet. (15) D’ailleurs, les foules semblent aujourd’hui la « snober » dans une certaine mesure.
Finalement, la vraie Sarah Palin a fini par ressembler à son sosie, Tina Fey, dans l’émission « Saturday Night Live », faisant mal à la campagne de son parti, avec le risque de voir s’évanouir les chances des républicains de garder la Maison-Blanche, grâce notamment à « l’effet Fey ».
CONCLUSION : VERS UNE VICTOIRE DÉMOCRATE
À plusieurs titres, l’élection américaine de novembre 2008 est historique. Elle est la vraie première élection du XXIe siècle. Elle permet aux Américains de choisir entre deux générations politiques, celle des baby boomers et celle des X. Entre la continuité avec les vieilles querelles et conflits du passé et une rupture transformatrice. Contrairement aux craintes des démocrates, « l’effet Bradley » aura moins d’impact que craint sur les chances du sénateur métis d’accéder à la Maison-Blanche, et ce pour de nombreuses raisons liées à la fois au profil du candidat démocrate et à la réalité et défis auxquels font face les Américains aujourd’hui, sans oublier le sentiment de rejet de l’administration républicaine sortante pour notamment la crise financière, un sentiment très répandu dans l’opinion publique. Si Barack Obama ne réussit pas son pari, cela sera dû surtout à l’effritement de sa coalition (les jeunes, les minorités, les universitaires et les cadres) et à la démobilisation de ses troupes.
De leur côté, les républicains sont plus fondés à craindre que « l’effet Fey » s’ajoute à d’autres facteurs déjà en œuvre au pays pour voir la Maison-Blanche leur échapper. Si d’aventure les démocrates réussissent à conquérir en cette année 2008, en plus de la Maison-Blanche, les deux Chambres du Congrès, la Chambre des représentants et le sénat (plusieurs indices l’indiquent déjà), cela sera-t-il suffisant pour indiquer le début du recul de la révolution conservatrice ?
Références :
(1) Cette position privilégiée n’a pas empêché le foisonnement de la littérature du déclin des États-Unis, non seulement dans ce pays, mais également en Europe. Ces « déclinistes » passent en silence (ou ne prennent pas en considération) un trait remarquable du psyche de ce pays et qui est une des clés de son essor prodigieux, à savoir la continuelle soif de renouvellement. Un tel trait psychologique permet à ce pays de se réinventer tout le temps. Aussi, le monde est à la veille de changements majeurs qui à terme accoucheront non du déclin des États-Unis, mais d’une nouvelle distribution des cartes du pouvoir mondial. Tel est l’objet d’une de nos études à venir.
(2) Ivo H. Daalder & James M. Lindsay, America Unbound. The Bush Revolution in Foreign Policy, (Washington : Brookings Institution Press, 2003).
(3) Voir Foreign Policy, « If the World could vote », at : .
(4) En raison notamment de leur opposition à la ségrégation dans les États du Sud, les démocrates ont vu ici leurs appuis fondre comme neige au soleil au profit du Parti républicain.
(5) François Durpaire & Olivier Richomme, L’Amérique de Barack Obama, (Paris : Demopolis, 2007), pp. 167-177.
(6) Barbara Victor, La dernière croisade : Les fous de Dieu version américaines, (Paris : Plon, 2004) traduit de l’anglais (États-Unis) par Fortunato Israël.
(7) L’attention de ces « croisés » ne se limite pas à la seule dimension domestique du jeu politique américain. Avec des télé-évangélistes charismatiques et pleins de ressources, tels Jerry Falwell Sr. Et Pat Robertson, ce mouvement évangélique a conclu une alliance stratégique de facto avec le mouvement sioniste américain pour empêcher toute initiative de paix dans le conflit israélo-palestinien perçue comme dommageable pour les intérêts nationaux israéliens. Au grand bonheur du Likoud israélien. Du point de vue du mouvement évangéliste, cette alliance est conforme avec sa théologie eschatologique.
(8) Contrairement à des pays européens comme la « laïque » France, les États-Unis sont largement pieux. Ici, plus de 95% des personnes croient en Dieu, 70% se disent membres d’une église et 40% se disent pratiquants assidus.
(9) Susan George, La pensée enchaînée, (Paris : Fayard, 2007).
(10) Jamais un candidat à l’élection présidentielle américaine n’a été aussi bien protégé par des agents de sécurité que l’est Barack Obama depuis le début de sa campagne. Cette équipe a vu ses effectifs doubler après le dévoilement du deuxième complot raciste éventé récemment.
(11) Barack Obama, Les rêves de mon père, (Paris : Presses de la Cité, 2008).
(12) Voir http://www.barackobama.com/issues/iraq
(13) Voir son entrevue avec Katie Kuric, journaliste et animatrice de l’émission phare de CBS, « Evening News », at : .
(14) Voir l’entrevue avec Sarah Palin sur la doctrine Bush, at : .
(15) Selon le dernier sondage du New York Times/CBS News, un nombre grandissant d’électeurs estiment que la gouverneure Sarah Palin n’est pas qualifiée pour la Vice-Présidence, tirant vers le bas le Ticket républicain. Selon ce même sondage, cette proportion est de 59%, ce qui représente 9% de plus d’opinions défavorables qu’au début du mois d’octobre. Plus inquiétant encore pour les républicains, presque un tiers des sondés disent que la personne candidate à la Vice-Présidence est un facteur qui influencera leur choix du Président le 4 novembre.
Voir : Michael Cooper & Dalia Sussman, « Growing Doubts on Palin Take a Toll, Poll Finds », New York Times, , October 30, 2008.
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Aziz Enhaili
M. Aziz Enhaili est co-auteur de trois ouvrages collectifs, dont deux dirigés par Barry Rubin : Political Islam (Londres : Routledge, 2007) & Global Survey on Islamism (États-Unis, à venir). Il a également publié de nombreux articles dans des revues académiques spécialisées de la Méditerranée (Confluences Méditerranée ; Confronto) et du Moyen-Orient (Middle East Review of International Affairs ; Journal d’étude des relations internationales au Moyen-Orient).