Sunday, February 24, 2013

Oublier ou ne pas oublier?



Dr. Pamela Chrabieh (Lebanon, February 2013)

En janvier 2005, le département d’art, de sciences et de communication de la Lebanese American University (LAU), ainsi que la Major Theater Production présentèrent « Amnesia 2025 », une création collective mise en scène par Nagy Souraty, inspirée de textes d’Etel Adnan, Philippe Ducros et Mohammed Kacimi. Cette représentation théatrale mettait ensemble la mémoire, le passé, le présent, le futur, le temps, la mort, la survie, le feu. Les étudiants racontent avoir « tenté une projection dans le futur, en l’an 2025, pensant pouvoir ainsi comprendre ou justifier le présent »:
« En fait, [affirment-ils], nous nous sommes projetés dans un passé que nous tentions d’oublier. Nous nous sommes retrouvés face à un futur hanté par le passé. Nous avons alors essayé de brûler notre mémoire, alors que c’est elle qui nous brûlait. Nous n’avons fait que déstructurer notre travail tout au long de son avancement. Textes, mais aussi personnages et idées se déconstruisaient, ainsi que nous et notre mémoire, qu’elle soit collective ou individuelle ».
Dans cette pièce, ni réponses ni solutions n’émergent. « Amnesia 2025 » ne fait que refléter des questions incessamment posées: sommes-nous condamnés à oublier? Est-il plus sécurisant d’oublier? Qui est responsable de la sauvegarde de la mémoire? Qui est derrière notre oubli et pourquoi? Quelles sont les conséquences de l’oubli et de l’amnésie? Le futur appartient-il aux personnes qui se souviennent ou à celles qui oublient? Les auteurs qui ont inspiré ce travail collectif ont écrit:
« La folie devient parfois la norme et la mémoire est projetée dans le futur. La mémoire qui ne sert à rien… Rien pour passer le passé, rien pour dire je me souviens. Tout pour recommencer… Et la mémoire est une quarantaine rasée, un dépotoir à ciel ouvert ».

Oublier ou ne pas oublier ?
Telle est la question que moi-même et bien des libanais de ma génération, celle qui est née, a vécu durant la guerre et y a survécu, ont tenté de différer mais à laquelle ils ne peuvent plus échapper. Question qui résume la souffrance et le drame de bien de personnes ballottées entre l’amnésie et l’hypermnésie, et à la base de la rédaction de la plupart de mes travaux. Certes, on a beau croire qu’il faut savoir oublier pour goûter la saveur du présent, ou alors au contraire, on peut recourir au passé mythique aux couleurs des gloires phéniciennes, romaines, byzantines, arabes…, qui en quelque sorte réconfortent les esprits tiraillés par un présent sans lendemain; mais sans la remémoration critique du passé, on n’en tire pas de leçons et on continue à perpétrer les mêmes atrocités et le même langage de vengeance.
La remémoration critique est d’autant plus cruciale que le contexte géopolitique actuel des sociétés au Moyen-Orient, et en l’occurrence celui du Liban, augure l’avènement d’une nouvelle ère, de nouvelles règles de jeu, d’une restructuration des acteurs, d’une reformation des alliances et des camps, qui portent autant d’espoirs que de problématiques à dénouer.
La gestion des diversités au Liban a une longue histoire qui est celle de diverses interprétations des relations entre société, politique et religion, avec leurs processus de transfert, d’instrumentalisation réciproque, de croisement et d’interpénétration. Depuis la première moitié du 20e siècle, cette gestion est nommée « le confessionnalisme », souvent décrit en ses deux dimensions, politique et personnelle. La première implique que les emplois politiques et administratifs sont répartis entre des confessions religieuses dites « historiques » – chrétiennes et musulmanes notamment – selon des quotas spécifiques. La deuxième signifie que tout ce qui touche au statut personnel des libanais, relève de lois établies par les confessions.
En dépit des quelques aspects positifs de cette gestion telle la reconnaissance d’une diversité religieuse que l’on ne trouve pas ailleurs au Moyen-Orient – le confessionnalisme permettant aux communautés d’avoir leur existence politique et sociale, chose impossible dans les pays avoisinants soit au nom du totalitarisme du panarabisme ou de celui de la religion -, celle-ci est en crise depuis plusieurs décennies: mauvaise gouvernance; clientélisme confessionnel vis-à-vis de puissances régionales et internationales; corruption de l’administration de l’État; promotion du religieux comme facteur identitaire et ancrage socio-politique exclusifs… Dans ce cadre, le Liban à la croisée des chemins, « laïque sans laïcité, pluriel sans pluralisme, démocratique sans démocratie », se trouve plus que jamais attelé à définir les composantes et les modalités d’un nouveau projet socio-politique qui raviverait le message de convivialité de ses diversités (religieuses/non-religieuses, sociales, politiques, économiques, générationnelles, genres, etc.), de démocratie et de liberté constituant sa raison d’être ; et qui réviserait les distorsions de son histoire, incarnées par un passé épuré transmis aux jeunes générations.
Oublier ou ne pas oublier? Une question à laquelle je tente de répondre en revisitant entre autres mémoires la mienne, et ce en puisant à un héritage et des expériences pluriels et personnels: le vécu de la guerre au Liban, l’engagement dans le chemin du dialogue interreligieux et interculturel à Beyrouth et à Montréal, la pratique de la restauration et de la conservation du patrimoine religieux, l’art interspirituel, l’expérience de l’immigration, la lecture d’ouvrages de mystiques, de poètes et de romanciers qui ont éclairé mon cheminement et ont contribué à approfondir ma réflexion, etc. Je tiens notamment à souligner les écrits de Khalil Gibran et d’Ibn ‘Arabi dans leur quête de l’unité dans la diversité, du respect des différences et de la relativité de la vérité ; des écrits de Mahmoud Darwish, d’Émile Shoufani, et d’Amin Maalouf en sa conception du « ressouvenir » qui dépasse l’événementiel, où il ne s’agit plus de décrire, mais de réécrire, de déchiffrer, de dévoiler, un projet herméneutique qui permet la compréhension de l’identité personnelle et celle d’autrui ; de la poésie de Nadia Tuéni en son appel à la responsabilisation face à la guerre et aux maux qu’elle engendre, ainsi qu’en son engagement à l’encontre de la représentation restrictive et monolithique de l’être – et de surcroît, de l’histoire. Je note enfin l’apport des enseignements de mon professeur en restauration des icônes, le P. Antoine Lammens, qui m’a encouragée à assumer le passé hérité tout en vivant dans une société qu’on ne peut ignorer; d’où l’importance de porter un regard sur le passé et un autre sur les exigences du présent, la culture de la mémoire plurielle et en mouvement, la reconnaissance et le respect des diversités, ainsi que l’engagement pour l’équité, la liberté et la justice permettant justement d’avoir un avenir.
De là ma définition de ce que devrait être la mémoire nationale en contexte libanais: un processus d’échanges-interactions entre des relectures individuelles et collectives des divers passés et présents; un processus pluriel auquel contribuent les constructions-représentations-expressions de tous les acteurs de la société civile et de la diaspora libanaises.

Wednesday, February 20, 2013

Un Moyen-Orient sans Soumission



Un de mes étudiants universitaires en Théologie émit le commentaire suivant il y a quelques jours: “la liberté individuelle est absente en islam, et est certainement introuvable dans le Coran. De ce fait, il est impossible pour le musulman et la musulmane de relire leurs  écritures sacrées selon le contexte dans lequel ils vivent; ils ne peuvent devenir autonomes, individus libres, ni de ce fait devenir autonomisants (du terme ‘autonomisation’ = empowerment)”. Affirmation réductrice d’une religion, d’une histoire, de visions et de pratiques tellement riches de par leur complexité et leurs apports, qu’il m’est apparu indispensable d’en parler, et de suggérer, pour commencer, la lecture de l’ouvrage suivant: ‘L’islam sans soumission’, par Abdennour Bidar (Albin Michel, 2008).
La soumission, dans ce cas, est définie en tant que ‘servitude dénuée de libre-arbitre, d’autonomie, d’indépendance, de choix éclairé, etc.’. Rappelons que de la racine sémitique ‘slm’, on obtient tant ‘salam’ = paix, qu’ ‘islam’ = soumission. Soumission à la volonté divine. Les deux termes sont d’ailleurs liés: l’être humain est appelé, selon le message coranique, à se soumettre à la volonté de Dieu, et cette soumission engendre la paix en soi et avec les autres. Toute personne soumise est appelée donc ‘muslim’ = musulman, ou ‘muslima’ = musulmane. Même Abraham, Jésus, Adam, et tous les prophètes antérieurs au prophète Muhammad, cités dans le Coran, sont donc ‘muslimoun’  = ‘musulmans’. Ce sens élargi du terme ‘islam’ sous-tend un sens élargi du terme ‘soumission’, puisque l’être humain est appelé à… Mais il a le choix de répondre à l’appel… Nulle contrainte en religion!
Toutefois, les idéologies et pratiques excluant les libertés individuelles, et assimilant ‘soumission’ à ‘servitude contraignante’, amalgamant ‘soumission au divin’ à ‘soumission au roi/empereur/calife/clerc/zaim/chef de clan…’, furent  - et sont encore- nombreuses à travers l’histoire de l’islam. Le philosophe Abdennour Bidar propose donc comme ‘sortie de secours’ le concept de “self-islam”. Il nous offre ici une manière radicalement moderne de lire le texte coranique et a l’audace d’édifier un nouvel existentialisme, non plus athée, ni chrétien, mais pleinement musulman.
Le concept de Self-islam exhorte les croyants et les croyantes musulmans-es à se demander quel type de musulmans et de musulmanes ils/elles ont envie d’être, plutôt que de rester indifférenciés dans une obéissance collective à la loi religieuse et aux coutumes. Il ne s’agit pas uniquement de promouvoir la réappropriation individuelle du Coran afin de contester le monopole des interprétations des oulémas. La question posée dans cet ouvrage concerne la réinterprétation du concept de la servitude humaine dans le Coran. Après tout, la vision d’un dieu qui écrase les hommes et les femmes, produit des sociétés où les hommes s’écrasent mutuellement, et certainement, l’homme serait enclin à écraser la femme – système patriarcal.
L’approche de ce philosophe est certes novatrice et courageuse. Néanmoins, serait-elle suffisante pour contrer la montée fulgurante des fanatismes dans la région moyen-orientale? L’appel à la liberté individuelle et à l’amour du prochain n’a pas empêché des individus relevant d’autres religions comme le Christianisme, de pratiquer l’oppression et l’humiliation de peuples entiers – pensons uniquement aux croisades, colonialismes, inquisitions, etc. Donc, même si le message des écritures sacrées est interprété d’une manière ‘ouverte à l’altérité’, répondant au contexte, et s’éloignant de toute contrainte, les interprétations exclusivistes et opprimantes occupent largement l’espace socio-politique et médiatique.
Il est évident qu’une réforme de la pensée religieuse au Moyen-Orient devrait advenir pour permettre une véritable révolution des mentalités, et donc un véritable changement des gestions socio-politiques des diversités. Un islam ‘sans soumission’ au sens de ‘sans contrainte’; des religions ‘sans soumission’, lesquelles permettraient aux individus d’être autonomes, responsables, jouissant du libre-arbitre… Mais plus encore… Tout le système de pensée au Moyen-Orient devrait être ‘repensé’, avec ses schèmes tant religieux que non-religieux. Repenser n’implique pas de tout rejeter, mais de questionner, de débattre, de dialoguer, de trouver des points communs, une unité dans la diversité. Repenser c’est faire advenir un processus de ruptures et de continuités. C’est sortir de la stagnation, de la résignation, de la haine, de la violence et de la ‘zombitude’ dans lesquelles nos sociétés baignent!!

Sunday, February 10, 2013

Sur la laïcité et la gestion socio-politique au Liban



Dr. Pamela Chrabieh
 Les tenants de systèmes « laïcs » au Liban, nombreux avant 1975, mais n’ayant pas complètement disparu depuis, considèrent les composantes sociétales telles la tribu et la confession comme obstacles  au développement, à la modernité, à la démocratie, à l’État de droit. Il ne s’agit pas uniquement des marxistes et des pro-communistes, mais également de penseurs dits « libéraux », influencés par la Révolution française, la Troisième République, Max Weber et la question de la « rationnalisation des sociétés traditionnelles », Auguste Comte, Émile Durkheim…, et de « nouveaux partis et groupes de gauche, alternatifs ou indépendants » qui adoptent d’autres formes et lieux de production et de promotion, des modes inédits de participation à la vie politique, regroupant notamment de jeunes universitaires, journalistes, intellectuels-lles, activistes, artistes, blogueurs-ses, etc.

Pour les partisans de systèmes « laïcs », la structuration communautaire de la société libanaise et de l’État est archaïque, vestige des époques ottomane et mandataire. Certains prônent donc la séparation nette entre politique et religion, une laïcité "à la française". D’autres appellent à l’implantation d’une gestion socio-politique "à l’américaine", avec un président élu au suffrage universel, un Sénat composé d’un nombre fixe de députés pour chacune des régions du pays où les équilibres communautaires seraient respectés et qui tiendrait compte de la répartition démographique traditionnelle entre les communautés dans chaque région; une Chambre des députés sans répartition communautaire des sièges; une Cour constitutionnelle composée de juristes les plus intègres de chacune des grandes communautés; enfin une armée et une administration d’où seraient exclus tout quota et toute répartition communautaire des hautes fonctions. Pour ces tenants, il s’agit donc d’un système politique décentralisé, « avec un jeu démocratique pouvant se dérouler librement, dans le cadre de systèmes électoraux assurant une représentativité proportionnelle des sensibilités politiques, que les sensibilités soient de type communautaire ou laïque ». En ce sens, la laïcité serait « l’absence d’instrumentalisation de la religion à des fins politiques ». 

La récente polémique concernant le mariage civil au Liban pose non seulement les questions suivantes à élucider: "pour ou contre le mariage civil au Liban?", "mariage civil obligatoire ou facultatif?", etc. Elle devrait nous inciter, Libanais et Libanaises, à soulever les  problèmes épistémologiques en histoire et en analyse socio-politique de notre pays. En effet, l'absence de rigueur intellectuelle se traduit par l’abus de concepts et de notions identitaires exclusivistes, stimulé par une conjoncture favorable, appauvrissant dangereusement l’univers culturel des Libanais qui bascule dans l’identitaire exclusif et hégémonique de type confessionnel confessant. L'analyse historique et-ou socio-politique devient dans ce cas une œuvre de combat, tantôt en adoptant une grille de lecture forgée par le néo-orientalisme occidental, et d’autres fois, celle clamée par différents groupes fondamentalistes; ces lectures considèrent par exemple que l’identité collective de la société libanaise est et restera dans l’état d’involution qui est le sien, et que les idéologies de type confessionnel continueront de dominer la production et la consommation d’idéologie. 

Afin de sortir du cercle vicieux  identitaire qui accrédite ces thèses absolutistes et simplistes, il est nécessaire de dégager un langage historique et socio-politique cohérent. La cohérence n'implique pas nécessairement le développement d'un langage, d'une praxis et d'une mentalité strictement 'profanes' mais de trouver une voie médiane, médiatrice, entre la diversité des discours et identités présents au Liban, et de concilier entre libertés individuelles et appartenances communautaires. A mon avis, cette conciliation est possible dans le cadre d’une gestion des diversités regroupant deux cadres d’organisation qui se basent sur une conception de l’humain ne pouvant se reconnaître qu’à travers une multiplicité de variantes: le premier doit donner au citoyen - quelles que soient ses appartenances - la possibilité de l’action individuelle directe et faire de lui un partenaire du pouvoir, et il devrait par exemple lui permettre d’adhérer à une législation civile unificatrice du statut personnel. Le deuxième doit permettre aux différentes communautés de sauvegarder l’entente et l’harmonie du tissu social et l’unité du pays et de la société - l’objectif n’étant pas de supprimer par exemple les tribunaux religieux, mais d’ouvrir la possibilité de l’implantation de tribunaux civils.

L’objectif n’est donc pas d’évoquer le danger du confessionnalisme pour prêcher les vertus de l’individualisme, ni les effets néfastes de ce dernier donnant lieu à la survalorisation des identités collectives confessionnelles. Il ne s’agit pas d’opposer le souci de réalisation de soi et de l’humanité à l’engagement religieux; au contraire, les deux sont complémentaires et vont dans un même sens: faire le bien, améliorer sa vie et celle des autres, et libérer les hommes de ce qui les aliène. On combine donc deux principes qui doivent être également protégés: l’autonomie individuelle - et non l’atomisation de l’individu qui se traduit par une absence de mise à distance de soi par rapport aux autres et au monde, voire par une absence d’esprit critique - et la ‘sphère collective’ - religieuse officielle, religieuse non officielle et non religieuse. Ainsi, il ne s’agit pas de privilégier le développement de l’individu privé au détriment du citoyen. Mais sans la liberté individuelle ou l'autonomie, l’idée de citoyen ne peut être conçue. 

Dans cette perspective, une relecture du concept d’al-umma s’avère aussi importante, surtout si l’on considère qu’il en existe une diversité d’emplois et de sens. Ainsi, outre la définition dominante qui la qualifie d’un groupe d’hommes et de femmes qui se lient et s’accordent par le choix d’une religion, de l’unité de la foi, et se traduit dans les faits par une unité socio-politique - l’identité islamique est l’axe fondamental autour duquel se constitue le groupe -, une autre ne la lie pas à la religion: par exemple, selon Fârâbi, elle est un « groupement d’hommes dans un territoire déterminé ». Il s’agit donc d’une forme de sécularisation d’al-umma, d’une vision que l’on pourrait qualifier de pragmatique, où l’on s’accorde par exemple sur les critères suivants: intérêt commun, crainte, affinité, contrat, similitude de qualités naturelles, communauté de langue…

Cette relecture du concept de la communauté démontre qu’il est possible aux théologies islamiques au Liban - et chrétiennes en l’occurrence - de concilier une vision théologique de l’homme-sujet d’Allah et une vision juridico-politique octroyant à l’homme la responsabilité de ses choix et ses actes. De la sorte, se dessinerait du moins une possibilité de dépasser la définition de la religion réduite à une dimension confessionnelle. Les libanais auraient donc la possibilité de s’insérer pleinement - ou de choisir le degré d’insertion le cas échéant - dans une communauté et de remettre en cause sa structure normative et institutionnelle, et de jouir des mêmes droits et responsabilités: droit à la différence, c’est-à-dire à s’unir aux autres grâce à ce qui sépare aussi, et droit à l’égalité, c’est-à-dire à s’accepter mutuellement sans être différenciés dans la lutte contre l’injustice.

L’identité libanaise devrait être une identité non compartimentée, non exclusive, ouverte; une identité qui se construit à travers des tissages et retissages de divers « moi » et « autre », au carrefour de plusieurs appartenances qui s’enrichissent mutuellement; carrefour dont l’appartenance confessionnelle ne saurait prétendre sortir intacte. En ce sens, il n’en tient qu’aux instances religieuses d’entrer dans ce jeu à plusieurs ou de s’enfermer dans un isolement sclérosé, sclérosant…

Penser une nouvelle gestion socio-politique au Liban implique que l’on tienne compte du fait que les libanais ne peuvent rester sur un curriculum confessionnaliste, ni basé sur une seule religion, ni sans aucune référence religieuse. Une gestion médiatrice ou celle de la laïcité 'ouverte', serait de prolonger l’itinéraire humain à voies [voix] multiples, de trouver une voie médiatrice entre le confessionnel et l’a-confessionnel, une voie rejoignant en quelque sorte deux visions soi-disant irréconciliables, en tenant compte du flou de leurs frontières, de leurs zones grises, de grilles plus complexifiées, des silences (impensés, impensables, non-dits), de cet autre encore à advenir et qui nous échappe…

Dre Pamela Chrabieh (Chercheure, CRCIPG, Université de Montréal ; Professeure, FPT-USEK).