Thursday, December 27, 2007

Happy New Year 2008 in Lebanon

BONNE ANNÉE 2008?
A cheval entre décembre 2007 et janvier 2008
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Avec la nouvelle année « qui s’en vient » - comme on le dit à Montréal -, je ne peux m’empêcher de faire le bilan des douze mois passés. Le diagnostic? Clair comme une journée ensoleillée en ce bel hiver libanais : la tristesse face à la violence continue au Liban, au Moyen-Orient et dans de multiples lieux à travers le monde; et la joie d’être en famille, entourée d’êtres chers, d’œuvrer pour la construction de la paix, d’accoucher d’une adorable petite fille et d’être en vie pour pouvoir se délecter de tous ces merveilleux moments que l’on n’arrive pas à garder tels quels mais dont le souvenir marque à jamais.
Ce matin est comme bien d’autres matins, marqué par des nouvelles atroces, qu’elles soient locales ou internationales : l’éternelle crise socio-politique et économique du pays, les conséquences néfastes d’une panoplie d’attentats à la bombe qui font désormais partie du quotidien des libanais, les conflits israélo-palestinien et inter-palestinien, les attentats-suicide journaliers en Irak, l’assassinat de Benazir Bhutto au Pakistan, une bataille rangée de prêtres à la Nativité (à Bethléem) qui fait 7 blessés, deux gendarmes tués dans l'explosion d'une bombe à l'est d'Alger (en Algérie), une cinquantaine de disparus suite à la chute d'un pont en Indonésie, etc. Sans parler des incendies, des noyades, des vols, des conflits entre gangs de rue, des maladies incurables, de la crise économique, des viols, des injustices de tous genres, etc. De quoi bien entamer la journée… ! Même le plus tenace des optimistes se sentirait noyé et sa bonne volonté détruite par le bombardement des "mauvaises nouvelles"!
Toutefois, l’espoir d’un monde meilleur me colle constamment à la peau. Certains pourraient me taxer d’idéaliste, de vivre dans ‘un autre monde’, celui des rêves et des chimères. Mais je me base sur une réalité: celle de l'existence des "bonnes nouvelles": des témoignages et des exemples d'entraide, de dialogue et de convivialité entre des individus et des groupes de toutes identités, l'amour du prochain, le partage, l'hospitalité, le pardon etc. Malheureusement, ces "bonnes nouvelles" ne font pas la une des journaux ou des émissions télévisées. Ce qui retient l'attention du public relèverait soi-disant du 'sensationnel de la violence, de nos malheurs et de ceux d'autrui'. Et les bonnes nouvelles, lorsqu'elles sont médiatisées, sont généralement commanditées ex: "La bonne nouvelle Banque Nationale", "La bonne nouvelle GM", "La bonne nouvelle Pepsi", etc. Comme le dit si bien Dany Landry dans une de ses conférences: "Le slogan des médias:
si ça saigne, c'est vendeur. Si on peut faire peur, c'est encore mieux".

Pourquoi ne pas adopter la paix comme réalité 'sensationnelle' qui vaille la peine d'être couverte et transmise à grande échelle? Le but n'est pas d'ignorer la violence, mais de faire une place égale aux discours et actions pour la paix.Je ne suis pas d'accord avec ceux qui clament haut et fort ne pas devoir être informé de ce qui se passe dans le monde pour ne pas sombrer dans la déprime ou parce que les informations recueillies ne sont pas utiles. Je suis d'avis à continuer tant bien que mal de m'abreuver aux 'mauvaises nouvelles', mais aussi de développer mon réseau d'accès aux 'bonnes nouvelles'. Tout est instructif. Tout relève de la vie, même la mort...
Heureusement que l'internet nous fournit un incroyable outil de communication d'une diversité d'opinions, de visions et de pratiques, ainsi qu'un lieu de partage, d'échange et de dialogue sur des sujets que les institutions médiatiques traditionnelles ne traitent pas ou alors très peu. D'une certaine manière, je m'estime heureuse d'être née dans cette époque de la révolution du net, du métissage des cultures et de la rencontre inter-humaine à grande échelle, même si le revers de la médaille de la mondialisation est la multiplication des injustices, des conflits et de la course au pouvoir.
En ce temps de fêtes pour une partie de l'humanité, j'adresse mes voeux de santé, de prospérité et de bonheur à tous mes amis-es, lecteurs et lectrices, ainsi que des encouragements dans leurs chemins respectifs vers la paix - ou du moins, vers moins de conflits, car je ne crois pas en l'absence absolue de toute guerre, de toute violence. A mon humble avis, l'être humain possède une nature et une identité composites, marquées à la fois d'un côté violent et d'un côté pacifiste. Le défi à relever est de gérer ces deux facettes de manière à ce que le côté pacifiste l'emporte le plus souvent. Peut-être qu'un jour, avant que la planète n'explose suite à la folie meurtrière, l'humanité évoluera en ce sens... D'ici là, assumons les "bonnes" et les "moins bonnes" ou carrément "mauvaises" nouvelles, et profitons de tout moment qui passe, avec son lot de souffrance, de peine, mais aussi de joie et d'espoir. Voyons la vie autrement, avec toute sa complexité!
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Ci-dessous un article hyper-intéressant de mon ami Aziz Enhaili - une analyse des élections législatives de 2007 au Maroc - dont l'intégralité (avec schémas et graphes) peut être retrouvée à l'adresse suivante:

La monarchie et les élections législatives de septembre 2007 au Maroc

par Aziz Enhaili

10-10-2007


Le 7 septembre 2007, le Maroc avait rendez-vous avec les deuxièmes élections législatives de l’ère Mohamed VI (1999-). Pour rappel, les premières se sont déroulées en 2002. Contrairement à cet épisode, les Marocains étaient cette fois moins enthousiastes à l’approche des élections parlementaires. Loin du « raz-de-marée islamiste » tant annoncé par plusieurs observateurs marocains et étrangers, ces élections ont donné un autre parti de centre-droit, l’Istiqlal, comme vainqueur et conforter la marge de manœuvre royale dans un pays où c’est le roi qui gouverne.
I. ENJEUX D’ÉLECTIONS « PAS COMME LES AUTRES »
Au Maroc, le roi est seul maître à bord. Il est à la fois chef suprême des forces armées et chef religieux. Il désigne le Premier ministre et peut le congédier à tout moment, contrôle le pouvoir législatif et assujetti l’autorité judiciaire. [1] L’ensemble de l’édifice bureaucratique est à sa botte. À son niveau, point de séparation des pouvoirs.
Comme elles font partie de la catégorie des élections « pas comme les autres », [2] les autres étant les élections organisées dans un régime démocratique, les consultations législatives marocaines n’ont jamais eu comme enjeu de modifier éventuellement les orientations politiques et économiques de l’État, suite à un changement de majorité. Leurs ambitions sont donc modestes. Elles permettent le renouvellement partiel de la classe politique et contribuent à dynamiser le processus politique.
Puisque le pouvoir, ressource monopolisée par la monarchie, ne peut être mis en jeu lors de ces consultations nationales, les deux vrais enjeux des consultations de 2007 sont le taux de participation électorale et le score en termes de suffrages et de sièges du Parti de la Justice et du Développement (PJD), importante formation islamiste légale. En raison, entre autres, des dysfonctionnements au niveau de la gouvernance, de la corruption endémique, de la mauvaise situation socio-économique du pays [3] et de l’état d’apathie de plusieurs face à la situation politique actuelle, on craignait de voir les Marocains bouder les urnes.
Pour éviter une telle situation embarrassante pour les autorités du pays et la classe politique, le roi Mohamed VI (1999-) n’a cessé d’appeler le peuple à se rendre massivement aux urnes le jour du vote. Des appels repris par une partie importante de la classe politique. Des médias publics et privés et une partie importante du monde associatif n’ont pas été en reste. Le renforcement de la légitimité du processus politique national était au prix d’une forte mobilisation populaire à cette occasion. Pour créer un effet entraînant de mobilisation massive anti-islamiste, on a agité l’argument d’un « raz-de-marée » du PJD qui menacerait le pays et sa « transition ».
Mais tous n’étaient pas du même avis puisqu’un certain nombre de forces politiques, dont le marxiste Annahj Al-Dimoukrati (Option démocratique) et l’islamiste Al-Adl Wal-Ihssan (Groupe Justice et Bienfaisance, GJB) ont appelé leurs compatriotes à boycotter ces consultations. Durant la campagne électorale, plusieurs militants d’Annahj vont être harcelés par les autorités.
Pour la participation du PJD à ces élections et donc au processus politique, elle présente plusieurs avantages pour le régime royal. D’abord, comme parti doté d’une image populaire de probité et de sérieux, sa participation sert à rehausser la crédibilité et le prestige de cette consultation populaire et du coup contribue, à la mesure de son poids politique, à la consolidation de la légitimité politique du régime et de ses institutions. Ensuite, une telle participation peut contribuer à intégrer des catégories sociales encore marginalisées par les jeux politiques traditionnels. L’objectif étant leur détournement de la voie jihadiste, qui depuis les attentats de mai 2003 à Casablanca, métropole du pays, est devenue une réalité.
De son côté, le PJD compte visiblement sur son intégration institutionnelle pour effectuer à partir de l’intérieur des changements graduels en vue d’islamiser la société. Mais est-ce raisonnable dans le contexte actuel des rapports de force de s’attendre à atteindre un tel objectif ? Des concessions idéologiques au parti islamiste devraient entrer en conflit avec une monarchie qui se base sur la légitimité religieuse pour s’imposer aux autres acteurs comme acteur hégémonique, instruments de violence légitime à l’appui. Aussi, l’éclatement du paysage islamiste, le pluralisme ethnique de la société et la diversité des courants idéologiques et politiques en son sein sont autant de facteurs contraignants pour le projet pjdiste.
II. PARTIS POLITIQUES EN PRÉSENCE
Cette fois, des dizaines d’indépendants et trente-trois partis politiques ont participé à ces consultations. Ils étaient vingt-six en 2002. Cette progression traduit à la fois l’attrait qu’exercent encore les élections législatives sur l’élite du pays et le phénomène de scission qu’a connu, entre-temps, plusieurs partis politiques.
Les partis en lice se répartissent entre trois courants idéologiques : la gauche, l’islamisme (centre-droit) et la droite. Les partis principaux à ces élections sont au nombre de cinq : l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP, centre-gauche), le Parti d’Istiqlal (PI, centre-droit), le Mouvement Populaire (MP, droite), le Rassemblement National des Indépendants (RNI, droite) et le PJD (islamiste). La veille des élections, les quatre premiers faisaient partie de la coalition gouvernementale sortante, quand le dernier était le leader de l’opposition parlementaire. Les conditions de naissance et de développement de ces formations politiques sont différentes. L’Istiqlal (Indépendance) est le plus vieux parti du Maroc (1944). Il était à l’avant-garde de la lutte nationaliste pour l’émancipation du pays du joug colonial et son intégrité territoriale. Depuis l’indépendance du pays (1956), ce parti de la bourgeoisie nationale a évolué entre un rôle de participation à la gestion gouvernementale et celui de l’opposition au cabinet. Durant sa longue existence, trois chefs seulement se sont succédé à sa direction : le charismatique clerc Allal el-Fassi, et les avocats M’hamed Boucetta et Abbas el-Fassi. Aux élections législatives de 2002, il a obtenu 48 sièges. Par rapport aux autres partis, il dispose de la meilleure machine électorale.
En compagnie de l’USFP, du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS, ex-communiste, 1974) et de l’Organisation d’Action Démocratique Populaire (OADP, marxiste, 1983), il a fondé en 1992 une Koutla démocratique. Ce Bloc d’opposition était à la pointe des revendications de rénovation politique et de réforme économique et sociale. Six années plus tard, ce parti met de côté son opposition au cabinet pour rejoindre un gouvernement dit « de transition » [4] piloté par son allié socialiste. L’USFP (1975) regroupe la quasi-totalité des cadres de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP), qui militaient au départ au sein du PI. Conduits par le charismatique Mehdi Ben Barka, ils feront scission en 1959 pour fonder l’UNFP. Adeptes d’une « option révolutionnaire », ces militants feront les frais d’une répression implacable de la part du régime d’Hassan II. Il a fallu attendre 1975, année de naissance officielle de l’USFP et de son adoption, sous l’avocat Abderrahim Bouabid (1975-1992), d’une « option démocratique » pour voir cette pression royale se relâcher significativement. Depuis, son intégration institutionnelle graduelle s’est traduite par des compromis significatifs. D’une opposition au régime de Sa Majesté, ce parti est ainsi passé, dans un premier temps, à une opposition loyale à son gouvernement, avant de le rejoindre plus de deux décennies plus tard (1998), sous la direction de l’avocat Abderrahmane Youssoufi (1992-2003). Ce parti a obtenu 50 sièges aux élections législatives de 2002. Depuis son intégration institutionnelle, le processus de son embourgeoisement n’a cessé de s’accélérer. Le prix de ces développements était la perte de sa base populaire et de plusieurs de ses cadres dynamiques. Ces derniers ont rejoint d’autres formations plus proches de leur sensibilité ou créé de nouvelles. C’est pourquoi ces derniers se sont retrouvés à la tête ou parmi les dirigeants de formations comme le Parti d’Avant-Garde Démocratique Socialiste (PADS : 1983) de l’avocat Benjelloun, le Conseil National Ittihadi (CNI : 2001) du médecin Bouzoubaâ (personne lige de l’instituteur Amaoui, leader historique de la centrale Confédération démocratique du Travail : CDT et scissionniste de l’USFP), le Parti Travailliste (PT, 2005) d’Abdelkrim Benatiq ou le Parti Socialiste Unifié (PSU, 2005), parti dirigé notamment par l’enseignant Mohamed Sassi, un ancien dirigeant en vue des jeunes socialistes. En revanche, l’USFP de l’avocat Mohamed Yazghi (2005-) a réussi à absorber une petite formation de gauche, le Parti Socialiste Démocrate (PSD, issu d’une scission de l’OADP en 1996) du professeur Aïssa Ouardighi. Un parti qui a obtenu 6 sièges en 2002. Également, le Front des Forces Démocratiques (FFD, 1997) du professeur Thami el-Khyari, qui avait fait scission du PPS, collabore avec le « grand frère » de gauche. Ce parti a obtenu 12 sièges en 2002. À côté de ces trois partis dits social-démocrates, l’OADP voulant compter davantage dans le champ politique, a fusionné avec trois autres factions politiques de gauche radicale : Mouvement des Démocrates Indépendants (MDI), Mouvement pour la Démocratie (MPD) et Potentialités de Gauche (PG), et a fondé le Parti de la Gauche Socialiste Unifiée (PGSU, 2002), qui récolte trois sièges aux élections législatives de 2002. Le PGSU fusionne en 2005 avec le groupe Fidélité à la Démocratie (FAD) des amis de Sassi pour donner naissance au Parti Socialiste Unifié (PSU). Le PSU, le CNI et le PADS ont mené en 2007 leur campagne ensemble sous la bannière de « l’Alliance de Gauche », insistant sur l’urgence d’une réforme de la Constitution, qu’ils jugent « non démocratique ».
Le RNI (1978) et le MP (1957) appartiennent à un groupe particulier de formations politiques marocaines. Elles ont été suscitées ou créées de toutes pièces par l’État, d’où l’appellation péjorative de « partis administratifs » qui leur colle encore. Ils devaient notamment soutenir le pouvoir royal et contrecarrer l’action des partis d’opposition, de droite comme de gauche, qui eux étaient l’émanation de la société civile. Le RNI était dirigé jusqu’à l’année 2007 par Ahmed Osman, un ancien Premier ministre et beau-frère du défunt roi. Elle représente les intérêts de la bourgeoisie des affaires. Elle a récolté 41 sièges aux législatives de 2002. À l’aide du ralliement de plusieurs des poids lourds de ce parti, dont Aoujjar, Mustapha Mansouri a pu « renverser » son prédécesseur. Ce parti a connu plusieurs scissions, dont celle donnant naissance au Parti National Démocrate (PND en 1981), une formation néo-libérale de notables ruraux qui a obtenu 12 sièges en 2002.
Le MP représente les intérêts de la grande bourgeoisie rurale. Il a obtenu 27 sièges aux législatives de 2002. Pour pouvoir contenir la poussée du PJD, on a encouragé, côté pouvoir, le rapprochement puis la fusion (2006) de trois des quatre composantes historiques du mouvement haraki (Mouvement Populaire de Mohand Laensar, Mouvement National Populaire d’Aherdane et Parti d’Union Démocratique de Mohamed el-Fadili), sous l’appellation d’abord de l’Union des Mouvements Populaires, puis de celle de Mouvement Populaire (MP), avec Laensar comme secrétaire général.
Le PJD du psychiatre Saâd Eddine El-Outhmani (2004-) est la dernière mutation en date d’une partie du courant islamiste marocain. Il représente une alliance entre la faction du médecin Abdelkrim Khatib, leader historique du Mouvement Populaire Démocratique Constitutionnel (MPDC, 1967-1998), et une partie des anciens dirigeants islamistes de l’Association Jeunesse Islamique (AJI) de l’instituteur Abdelkrim Moutti’, en fuite depuis 1975, date de l’assassinat par son groupe d’Omar Benjelloun, un dirigeant socialiste.
Après une longue maturation, le pouvoir va permettre à ces dirigeants islamistes de « squatter » le MPDC, la veille des élections législatives de 1997. En 1998, cette formation est baptisée du nom de PJD. Du point de vue du pouvoir, cette intégration institutionnelle, qui ira en s’accentuant, répondait au besoin de contrecarrer le GJB, un mouvement radical qui conteste la légitimité religieuse du régime. [5] Elle permet également, dans un premier temps, la division du camp islamiste pour arriver, espère-t-on, dans une seconde étape, à sa domestication.
Après avoir vu ses candidats participer aux élections locales de 1997, à contre-cœur, comme indépendants, le PJD va être autorisé en 2002 à présenter ses candidats dans une partie seulement des circonscriptions. À cette occasion, il récoltera 42 sièges, soit trois fois le nombre de ses élus en 1997. Notons que ce parti est autorisé en 2007 à couvrir l’ensemble des circonscriptions électorales. Malgré ses différents gestes d’ouverture lors des dernières années, cette formation inquiète encore plusieurs au sein de la classe dirigeante du pays. Les attentats terroristes jihadistes de mai 2003 à Casablanca ont alimenté cette suspicion. Ils ont provoqué une levée de boucliers dans la société civile. Cette réaction hostile à l’islamisme a failli déboucher sur l’interdiction du PJD. C’est dans ce contexte que le Parti de la Réforme et de la Vertu (PRV, 2005) voit le jour, suite à une scission menée par Mohamed Khalidi, un ex-député PJD d’Oujda. L’arrivée de cette formation à référentiel islamique sur la scène politique sera renforcée de celles de l’Alternative civilisationnelle (AC, 2006) de Mostafa Lmouatassime et du Parti de la Nation (Hizb al-Oumma, 2007) de Mohamed Marouani, deux émanations de l’islamiste AJI. Cette fragmentation de la scène islamiste n’est pas dans l’intérêt électoral du PJD.
À côté de ces cinq principaux partis, vingt-huit formations plus petites ont participé à ces élections. La gauche compte le PPS, le FFD, le PT et le PS. Celui-ci est issu d’une scission avec le CNI, pour raison de conflits de personnalité entre Bouzoubaâ et Amaoui. La sensibilité islamiste est également représentée par trois formations : le PRV, le PN et l’AC. La droite compte également l’UC, le MDS (issu d’une scission du MP, 1996), le PED (Parti de l’Environnement et du Développement), le PRE (Parti du Renouveau et de l’Équité), le PUMD (Parti d’Union Marocaine pour la Démocratie, issu d’une scission de l’UC), les FC (Forces Citoyennes), l’ADL (Alliance Des Libertés), le PICD (Parti Initiative Citoyenneté et Développement, 2002). Si chacune de ces formations avait mené sa campagne de façon autonome, les restantes se sont réparties entre deux « unions ». La première de gauche a accueilli le PADS, le CNI et le PSU. La seconde de droite a regroupé le PND et le PDP. Une partie de chacune de ces listes s’est présentée en son nom propre quand l’autre a préféré se présenter au nom d’un des partis la composant, et ce pour garder des notables qui sinon seraient aller ailleurs.
Les cinq principaux partis mentionnés ci-dessus présentent plusieurs divergences entre eux. Du point de vue social, le PJD, « parti de la Lampe », se disant à référentiel islamique, insiste notamment sur les valeurs familiales. Il est opposé à la libéralisation des mœurs. C’est pourquoi il avait mobilisé toutes ses ressources en 1999 pour faire échec à un projet de modernisation du statut juridique des femmes, projet porté à la fois par le gouvernement, le mouvement des droits humains et le mouvement féministe. Cette bataille s’est soldée par le retrait du projet. Il fallait attendre les attentats terroristes de Casablanca pour que Mohamed VI puisse imposer au parlement l’adoption de ce projet de réforme du droit de la famille. [6] Le PJD s’est en outre montré réservé sinon hostile à l’égard de manifestations de culture populaire, tels les festivals de musique moderne ou des films jugés licencieux. Certains de ses dirigeants voulaient voir ces manifestations interdites au nom d’une conception rigoriste de la morale. Last but not least, Attajdid, organe d’une de ses pépinières, n’a pas hésité à mettre en garde le pays contre un possible Tsunami, événement assimilé à une punition divine, pour mauvaises mœurs qui, à l’en croire, ne cessent de se répandre partout. De telles actions et déclarations ne sont pas de nature à cultiver la confiance de la classe politique « laïque » du pays.
De son côté, le PI, « parti de la Balance », s’est toujours dit adepte d’une position centriste, même quand il soutenait des politiques gouvernementales de droite. Comme force conservatrice, il s’est toujours porté à la défense des valeurs sociales traditionnelles, l’islam et la famille en tête, tout en se disant ouvert à la modernité et au monde. Pour élargir sa base et faire le plein des votes, il joue sur deux registres : le référentiel islamique du PJD et de l’ensemble du courant islamiste et la justice sociale chère à l’USFP et à la gauche en général. Une stratégie électorale assez gagnante.
Comme composante essentielle de la gauche, l’USFP, « parti de la Rose », a toujours été plus ouverte que la plupart des autres en matière sociale. Elle a œuvré pour faire avancer l’agenda des femmes. En revanche, le PPS et l’OADP se sont montrés encore plus volontaristes dans ce domaine. Leurs ailes féminines ont été à l’avant-garde des revendications de gauche de la modernisation du statut juridique des femmes.
Du point de vue de la politique économique, la quasi-totalité des partis en compétition adhèrent au credo de l’économie de marché. Le principal axe de clivage entre eux étant la définition du rôle de l’État. À cet égard, deux sensibilités de pensée économiques s’affrontent au niveau électoral. D’une part, une première philosophie qui appelle à moins d’État, telle est la position de partis comme le MP, l’UC (droite néo-libérale) ou le PJD, qui milite en faveur de la réduction de l’interventionnisme de l’État. Le rôle de celui-ci étant, pour lui, de favoriser le développement et de réduire les inégalités et non de créer des richesses. Face à cette « famille » se dressent des partis comme l’USFP ou le PPS. S’il y a quelques temps l’USFP prêchait le « socialisme scientifique », elle a fini depuis plus d’une décennie par se rallier au modèle économique vainqueur de la guerre froide. De nos jours, elle voudrait que, dans le contexte d’un pays en développement comme le Maroc et à la lumière des contestations mondiales des recettes toute-faites des institutions de Breton Wood, le rôle de l’État ne soit pas réduit comme peau de chagrin. Pour elle, sans être trop interventionniste, l’État ne doit pas limiter son rôle à la seule création des conditions de prospérité économique, mais également faire en sorte que le marché ne dérape pas, car le prix social d’un tel dérapage serait très élevé.
III. CUISINE ÉLECTORALE
1. Questions techniques
La crédibilité des élections législatives au Maroc n’a jamais été totalement rétablie. Pour cause d’un passé très douteux. Jusqu’aux années 1980, même les morts votaient, sans parler des bourrages d’urnes, sinon leur disparition pure et simple. Pour changer cette image désastreuse, l’État a engagé une série de réformes électorales et politiques. D’où la promulgation d’une nouvelle loi sur les partis politiques, l’amendement du code électoral hérité de 2002, l’adoption d’une loi relative à la révision des listes électorales, la modification de la loi organique relative à la Chambre des représentants ainsi que la mise en adéquation du découpage électoral avec les nouveautés introduites à la carte administrative suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle Charte communale.
Pour lutter contre la fraude électorale, on a notamment gardé le bulletin unique sur lequel sont imprimés les symboles des 33 partis politiques en lice. Une fois un « x » est mis dans la case choisi ainsi que dans la case de la liste nationale réservée aux femmes, le votant met son bulletin dans une enveloppe imprimée pour l’occasion qu’il aura à glisser dans une urne transparente scellée. Avant de quitter le bureau de vote, une encre indélébile marque la main de l’électeur. L’adoption pour une seconde fois consécutive de ce type de bulletin est une mesure à saluer. C’est une avancée par rapport à la pratique électorale du temps d’Hassan II (1961-1999). À l’époque, l’électeur avait à choisir parmi la multitude des bulletins de vote représentant chacun un candidat (et donc un parti) celui qu’il allait glisser dans l’urne. À la sortie des bureaux de vote, l’agent électoral corrupteur exigeait de lui la preuve du « bon » choix, c’est-à-dire les bulletins des autres candidats, en échange de quoi il faisait preuve de « générosité » !
Le type de scrutin direct utilisé pour une seconde fois consécutive est celui proportionnel de liste à un tour avec le principe du plus fort reste. Ce mode de scrutin ne permet à aucun parti d’obtenir une majorité absolue et donc de former un gouvernement homogène.
Comme en 2002, le territoire national a été découpé en 95 circonscriptions électorales. D’un point de vue technique, ce découpage a voulu garder le même nombre de sièges au niveau de chaque région, avec l’attribution à toute nouvelle circonscription au moins deux sièges, pour préserver un certain équilibre entre le nombre de la population et celui des sièges au niveau de chaque circonscription. D’un point de vue politique, si la technique du Gerrymandaring avait servi dans le passé à limiter les chances électorales des partis de gauche, notamment l’USFP, elle devait cette fois servir à contenir l’élan du vote PJD. C’est pourquoi plusieurs circonscriptions urbaines où le parti islamiste était assez présent ont été découpées de nouveau. Elles vont voir leur population renforcée par l’arrimage de renforts ruraux. Le recours à un tel procédé permet de contenir l’élan du vote urbain islamiste par la discipline du vote rural conservateur.
Même si l’adoption finalement du seuil d’éligibilité de 6% au niveau national devait contribuer à rationaliser un paysage politique national balkanisé, un tel seuil est insuffisant. Pour avoir une Chambre des représentants avec des partis forts, il aurait fallu augmenter un tel seuil à 10%. Mais était-ce la volonté royale ?
Au terme de la révision exceptionnelle des listes électorales générales le 26 juin, le corps électoral qui devait en principe participer aux élections compte 15.510.000 personnes, dont 1.553.000 nouveaux inscrits par rapport à 2002. Les femmes représentent 48,7% de ce corps et les hommes 51,3%. Dans ce nombre définitif des électeurs inscrits, la tendance est presque la même entre les milieux citadin et rural. Encore une fois, les membres de la diaspora marocaine ne pouvaient prendre part au vote. Une décision qui pourrait s’expliquer par les sympathies islamistes supposées de plusieurs Marocains vivant à l’étranger. En revanche, plusieurs électeurs inscrits n’ont pas retiré leur carte électorale, même le jour du vote. Un comportement qui pourrait s’expliquer par le fait que la plupart des Marocains considère le Parlement comme une chambre d’enregistrement de la volonté royale et qu’il ignore les problèmes réels de la population.
Pour aider les partis à couvrir les dépenses de leur campagne, l’État leur avait avancé une enveloppe de 20 millions de dollars, avant le démarrage officiel de la campagne. La répartition de ces deniers s’est effectuée selon des critères précis, tels la représentation actuelle au sein du Parlement, le nombre de circonscriptions couvertes… Chaque parti a reçu une avance forfaitaire de 50.000 dollars. Une fois les résultats de ces élections dévoilés, s’ajoutera à cette somme une rallonge tenant compte du nombre des sièges et des suffrages récoltés. Mais pour éviter de rembourser l’avance accordée par l’État, chaque parti doit franchir le seuil de 5% des voix.
L’État a également permis aux partis l’accès aux médias audiovisuels publics, selon des règles définies par l’instance officielle de Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). Le temps d’antenne accordé à leur couverture à cette occasion était de 170 heures. Pour encadrer le déroulement des élections, on a mobilisé 21.362 auxiliaires d’autorité, 77.374 membres des forces de l’ordre, 2100 fonctionnaires de provinces et 4721 fonctionnaires des postes de commandement. Au niveau logistique, on a ouvert 38.687 bureaux, ce qui représente une augmentation de 1139 par rapport à 2002. On a également mis en place 3659 bureaux centraux, soit 1529 bureaux supplémentaires.
2. Les candidatures
Pour conquérir les 295 sièges en jeu au niveau de la liste provinciale, 6691 candidats répartis sur 1870 listes locales (contre 1772 en 2002) se sont disputés au nom de 33 partis politiques, de deux unions partisanes et de treize listes indépendantes, ce qui représente 4,4 candidats par siège. Pour conquérir les trente sièges réservés aux femmes, vingt-six listes nationales se sont affrontées à cette occasion. La mise en place de cette liste nationale remonte aux législatives de 2002. Une innovation rendue nécessaire en raison des résistances culturelles misogynes au sein de la classe politique marocaine. C’est à cause notamment de cette culture que peu de femmes ont été placées en tête des listes en compétition localement. La palme d’or revient dans ce cadre au PI qui a présenté cinq femmes têtes de liste, contre trois pour le PPS et le PND, deux pour le MP et l’USFP et une pour le PJD.
Aux niveaux professionnel et géographique, ce groupe des candidats est divers. Il compte des hommes et femmes (très peu), des membres de la grande bourgeoisie comme des personnes de condition modeste, des membres du gouvernement sortant (douze personnes, dont Ghellab (PI, à Casablanca), El Malki (USFP, Khouribga), Mechahouri (MP, Béni Mellal) ou Benabdallah (PPS)). Les candidats comptent aussi onze chefs de parti : Mohand Laenser (MP, Boulemane, ministre), Abbas el-Fassi (PI, Larache, ministre), Saâd Eddine El-Outhmani (PJD, Casablanca), Mohamed Khalidi (PRV, Oujda), Ali Belhaj (ADL), Casablanca), Ismaïl Alaoui (PPS, Taounate), Mohamed Moujahid (PSU, Settat), Abdelkrim Benatiq (PT, Rabat), Mustapha Mansouri (RNI, Nador), Mohamed Abied (UC, Casablanca) ou Abdellah Kadiri (PND), qui va diriger l’Union PND-Parti du Pacte à Berrachid. Mohamed Yazghi (USFP) est un des rares chefs de parti à ne pas se présenter. Il y a aussi d’autres membres de l’establishment politique, tels Abdelwahed Radi (USFP, Kénitra), Abdelaziz El Hafidi El Alaoui (RNI, Boulemane), ou Sidi Mohammed El Joumani (MP, Es-Semara), des proches du roi Mohamed VI, tel Fouad Ali El Himma (Rehamna) qui s’est présenté comme tête de liste des indépendants (SAP) à Rehamna. [7] Sans oublier cinq présidents de conseils régionaux, douze présidents de conseils provinciaux, quatre présidents de conseils de ville et des membres en vue de l’élite islamiste, tels Mohamed Yatim (Béni Mellal), Abdelilah Benkiran (Salé), Lahcen Daoudi (Fès) ou des jeunes loups, tel Abdelaziz Rabah, responsable de la Jeunesse du parti. Aussi, des femmes illustres, telle Yasmina Baddou (PI, Casablanca), ou inconnues du grand public, telle Fatiha El Ayadi (SAP, Rehamna) qui s’est impliquée, en compagnie d’autres, dans la foulée de la campagne de l’association « 2007, Daba », un groupe hostile aux islamistes.
3. Campagne électorale
Après un moment de flottement, la date des élections est annoncée. La campagne s’est déroulée du 25 août au 6 septembre, la veille du jour du scrutin.
Les batailles électorales se sont déroulées entre candidats de même sensibilité comme contre ceux du camp adverse. Les partis de la majorité sortante se sont eux-mêmes affrontés. En plus de ces partis qui avaient, comme d’autres, préféré la compétition de façon individuelle, d’autres concurrents ont préféré mener bataille dans le cadre d’unions politiques plus ou moins heureuses.
Au cours de cette campagne, les partis adversaires guettaient les dires, faits et gestes du PJD. On craignait, comme l’avaient prédit certains sondages, qu’il s’impose comme le grand vainqueur du scrutin. [8] Ayant cru à sa propre « intoxication » et à la propagande ambiante, ce parti islamiste se voyait déjà en grand vainqueur de ces élections et pourquoi pas en parti pivot de la coalition gouvernementale à sortir des urnes.
Comme plus de la moitié de la population marocaine est encore analphabète (50,7%), phénomène encore plus exacerbé parmi les femmes (61,7%) et chez la population rurale, les trente-trois partis en compétition n’ont eu d’autre choix pour faciliter à l’électorat la tâche de leur identification que d’orner leurs bulletins de vote de sigles représentant le plus souvent un animal ou un outil quelconque. Ces élections ont vu les candidats recourir à différents moyens de publicité électorale. Les affiches et tracts électoraux côtoient les sites web. Les journaux partisans s’ajoutent aux moyens de communication électorale. En plus d’organiser 1300 meetings qui ont rassemblé plus de 300.000 électeurs auxquels on a présenté des programmes et distribué des dépliants lors de ces contacts directs, des candidats dûment mandatés par leurs partis respectifs ont fait leur apparition à la télévision et/ou participé à des débats radiophoniques.
Comme lors des campagnes législatives précédentes, les candidats des différents partis ont mis l’accent sur des problèmes sociaux auxquels est confrontée la société, tels le chômage des jeunes, la pauvreté qui touche une partie importante de la population, le manque d’habitat social, l’école…, et des manques en termes d’infrastructures de base. En raison notamment de la présence des islamistes dans le paysage politique, la question de la moralisation de la vie publique était fortement exploitée comme argument électoral. L’écho extraordinaire d’une telle question s’explique par le fait que la corruption est devenue endémique au pays. En revanche, les électeurs ont cette fois vues pour la première fois plusieurs partis présenter de vrais programmes, avec chiffres à l’appui. Comme le Maroc n’échappe pas aux tentacules de la toile, cet espace a été utilisé pour faire passer des messages politiques et idéologiques. C’est pourquoi la plupart des partis politiques avaient ouvert, à cette occasion, des sites Internet où ils présentaient leurs programmes, candidats… Des sites dont l’architecture de la plupart d’entre eux souffre de pauvreté esthétique. Également, l’effort de présentation des candidats de plusieurs partis était minimaliste. À titre d’exemple, un parti comme le PPS qui se targue d’être une formation moderne et ouverte s’est contentée de la photo de ses candidats et élus ! D’ailleurs, après ces consultations, plusieurs de ces sites ont, comme en 2002, fermé ! Ce qui en dit long sur l’archaïsme de ces partis et sur leur ignorance du potentiel de cet outil post-moderne de communication.
Pour faire entendre leur voix discordante, plusieurs vont se servir notamment du site Internet Youtube pour appeler au boycott des élections. La facture esthétique de ces messages est pauvre. Des messages écrits côtoient d’autres se servant de multimédia. Comme leurs auteurs présumés avancent qu’au Maroc seul le roi détient le pouvoir, ils appellent les électeurs au boycott de consultations sans enjeu réel. Si le discours d’extrême gauche est présent dans cet espace, la part du lion revient aux messages « respirant » le mépris de la classe politique de gauche gouvernementale notamment. À titre d’exemple, un document multimédia transforme le chef de l’USFP en une femme de mauvaises mœurs, une double insulte pour un homme dans un pays machiste comme le Maroc. Un autre document multimédia attirant l’attention peut provenir d’une filmographie jihadiste. On y voit successivement les photos de dirigeants de gauche défiler dans la mire de snipers jihadistes, ponctués des « Allah Akbar » (Dieu est grand) juste avant de les abattre, avec un chant jihadiste comme trame sonore. Des snipers qui ciblent également le siège de l’USFP. En visionnant ce document, on ne peut s’empêcher de constater l’inclusion de politiciens de partis comme le PPS (exemple de Nabil Benabdellah) parmi les dirigeants ciblés de l’USFP. Ce qui laisse penser qu’il s’agirait de l’œuvre de jihadistes étrangers. Si ce n’est pas le cas, ce document est inquiétant à un double titre pour la gauche marocaine. D’abord, il met toute la gauche dans un même sac, une force attirant le mépris et la haine de ces réalisateurs en herbe. Ensuite, la « résolution » d’un conflit idéologique et politique telle qu’elle se profile dans ce document non à l’aide des urnes mais au moyen des armes est une mauvaise nouvelle pour la gauche et la classe politique marocaine dans son ensemble.
Comme c’était le cas précédemment, la campagne de cette année n’a pas fait l’économie de violations de la loi électorale. C’est pourquoi la commission centrale mixte (Intérieur-Justice), mise en place pour l’occasion, a reçu 716 plaintes de différentes sortes. Aux dires du ministre de l’Intérieur lui-même, 53 cas ont déjà fait l’objet de poursuites judiciaires, alors que six autres ont été reportés à plus tard puisqu’ils concernent des candidats. Une vingtaine de cas concernait des altercations entre des partisans de candidats, accompagnées dans certains cas de jets de pierres (à la sortie d’un bureau de vote, le mandataire de la liste PPS à Tiflet-Roumani dans la province de Khemisset a été sérieusement blessé à la tête par des inconnus), de tentatives de pression sur les électeurs ou d’usurpation de la qualité d’observateur des élections, quatre autres étaient des cas d’agression à l’arme blanche et deux cas d’atteinte aux biens d’autrui. À Azilal-Demnate, un membre d’un bureau de vote a en vain tenté de s’emparer des bulletins de vote. Pour les autorités, ces violations sont des actes isolés, et donc sans influence sur l’issue du vote dans les lieux concernés. [9] Cependant, plusieurs candidats malheureux ont relevé des incidents survenus dans leurs localités et qui ont, selon eux, influé sur l’issue du vote.
Au lendemain de la campagne, les autorités et les dirigeants des partis qui avaient participé aux élections ont exprimé leur satisfaction des conditions du déroulement de ces consultations. En revanche, des notes discordantes sont venues troubler ce concert d’autosatisfaction. D’abord, du côté des acteurs politiques, une formation comme Annahj Al-Dimoukrati a considéré ces élections comme dénuées de toute légitimité démocratique, et dénoncé à la fois le harcèlement des autorités dont avaient souffert des militants marxistes et la corruption qui n’avait pas épargné ces consultations. Du côté associatif, le Collectif associatif pour l’observation des élections, organisme regroupant 617 associations et bénéficiant du soutien de l’Union européenne, a estimé que « l’honnêteté » du scrutin a été compromise par l’usage illicite de l’argent. S’il reconnaît que le ministère de l’Intérieur était resté neutre durant la campagne comme le jour du vote, cet organisme note que des fonctionnaires et agents de cette autorité ont, en toute impunité, fait pression en faveur de certains candidats. Transparency International Maroc a de son côté relevé l’usage à grande échelle de l’argent sale pour corrompre les électeurs. L’Instance nationale de protection des biens publics au Maroc, un collectif d’ONG, a critiqué ce qu’elle appelle la « neutralité passive » des autorités dans plusieurs villes vis-à-vis de l’usage massif de l’argent pour corrompre les électeurs, et dénoncé l’utilisation de présidents de communes et arrondissements de moyens publics pour mener leur campagne. Pour éviter à l’avenir ce type de conflit d’intérêts, il faudrait interdire le cumul des mandats. Ce collectif a également accusé plusieurs candidats d’avoir dépassé la limite légale permise au titre des dépenses électorales.
IV. ANALYSE DES RÉSULTATS DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DE 2007
Au lendemain du jour J, le taux de participation était consternant pour l’État et les partis politiques. En revanche, la carte politique qui se dessine et les rapports de forces qui s’en dégagent renforcent la marge de manœuvre de la monarchie.
1. Le vote
À 10 heure du matin le jour du vote, c’est-à-dire deux heures après l’ouverture des bureaux de vote dans l’ensemble du territoire, 5% seulement des électeurs inscrits avaient voté. À midi, cette proportion est passée à 10% des électeurs (1.500.000 personnes). À 18 heure, c’est-à-dire une heure avant la fermeture des bureaux de vote, ce taux a atteint 34%. C’est pourquoi le ministre de l’Intérieur avait dit aux électeurs qui n’avaient pas encore retiré leurs cartes d’électeur qu’ils pouvaient le faire dans les bureaux du scrutin. Au moment de la fermeture des bureaux de vote, le taux de participation électorale n’a officiellement pas dépassé les 37% (5.700.000 électeurs contre 7.500.000 en 2002). Ce qui représente une perte de deux millions de voix. Si on ajoute à ce taux très faible de participation les 19% de bulletins nuls, on se retrouve avec un taux réel de participation de 18% seulement.
Ce taux national de participation connaît des variations régionales. Il est de l’ordre de 27% dans le Grand Casablanca, contre 31% dans l’Oriental et 34% dans Tanger-Tétouan. En revanche, le taux officiel de participation des électeurs des provinces du sud du pays a varié entre 62% (Oued Eddahab-Lagoui), 58% (Guelmim-Es Semara) et 50% (Laâyoune-Boujdour). Il s’agit donc de taux très élevés par rapport à la moyenne nationale. Même s’il ne s’agit pas dans cette partie du royaume d’une nouveauté, de tels pourcentages sont les bienvenus pour un État qui clame, depuis 1975, la marocanité de ces territoires, quand le mouvement séparatiste du Polisario les revendique.
Contrairement au périmètre urbain où ce taux faible était, selon les chiffres officiels, de 30%, les campagnes ont enregistré une mobilisation de 43%. Ce taux de participation est donc plus faible dans le monde urbain où les oppositions de gauche et islamiste sont mieux enracinées. Comme c’est aussi le milieu de recrutement de la gauche gouvernementale et de l’islamisme bon teint, le boycott massif de leur électorat ne pouvait que leur nuire et du coup favoriser les chances de formations conservatrices (PI et MP) mieux enracinées dans un monde rural encadré par l’ordre, ses symboles et ses représentants. Le fellah marocain s’est donc encore une fois montré fidèle à sa tradition de « défenseur du Trône » (formulation célèbre due à Rémy Leveau) et a contribué en grande partie à la définition de la carte politique à travers une large participation.
Ce taux de participation de 37% est le plus bas de l’histoire électorale du pays, puisqu’il était de 52% en 2002, contre 57% en 1997, 64% en 1993 et 67% en 1984. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur a lui-même reconnu que ce taux était inférieur aux prévisions de son département.
Pour plusieurs dirigeants politiques, la faible participation est due à une question de calendrier puisque le 7 septembre a coïncidé avec le retour des vacances, la rentrée scolaire et le mois de jeune de Ramadan. Loin de ce type d’« explication » trop courte qui a l’avantage d’éviter de faire face à la réalité dans sa nudité, nous avons ici un comportement rationnel qui envoie un message politique claire à l’ensemble des acteurs du système politique, monarchie comme partis politiques. Quelles en sont donc les raisons de ce agir politique ?
Comme plus de 80% des électeurs selon les chiffres officiels avaient retiré leurs cartes d’électeur avant le jour du vote, cette faible participation ne traduit aucunement une dépolitisation de la population. Elle indique au contraire qu’une partie très importante des électeurs s’estimant concernée par la chose politique, était consciente à la fois des enjeux réels des consultations et des limites de l’influence de l’acte de voter sur les décisions publiques. Puisque c’est le roi qui continuera de gouverner indépendamment de l’issue du vote, à quoi bon prendre la peine d’aller voter, semblent penser de nombreux électeurs potentiels. Si on y ajoute un fait avéré après chaque consultation, à savoir les députés qui désertent leurs circonscriptions une fois élus ou boudent l’hémicycle, l’électeur moyen ne pouvait accorder sa confiance à la plupart des candidats en lice, des têtes assez familières pour la plupart. Aussi, l’orgie des sigles électoraux donnait des maux de tête à qui cherchait à naviguer entre toutes ces offres dont la quantité n’arrivait pas à cacher les similitudes entre la plupart d’entre elles.
Le déclin continu du vote qu’on constate durant les trente dernières années indique un changement politique notable dans ce pays. La population adulte passe d’un comportement électoral de soumission à chaque occasion, par crainte de représailles administratives, à celui de « résistance ». L’élévation constante du niveau d’éducation de la population, l’urbanisation accélérée du pays, l’impact des moyens de communication moderne, tels les satellites, Internet…, les pressions occidentales en faveur de la libéralisation du système politique sont autant de facteurs qui expliquent ce comportement de défiance à l’égard des autorités et des partis qui ont participé à ces élections. Il marque les limites des instruments et symboles mobilisés jusqu’à cette date pour pousser la plupart des électeurs à se rendre massivement aux bureaux de vote. Cette crise de confiance est un indicateur supplémentaire d’une rupture de représentation entre un peuple et ses dirigeants politiques en qui il se reconnaît de moins en moins. D’où l’urgence d’un examen de conscience parmi les membres des différents acteurs du jeu politique marocain. À défaut de quoi, ce désaveu pourrait s’accentuer dramatiquement, alimentant, à moyen terme, le moulin des courants radicaux. Une des avenues de sortie de cette spirale serait de réviser la Constitution pour, entre autres, faire du Parlement un vrai pouvoir législatif capable, en toute autonomie, de contrôler effectivement un gouvernement issu des urnes. Il faudrait également rendre les députés responsables et imputables, à l’aide notamment d’une révision de la loi organique du Parlement.
2. Carte politique du pays et marge de manœuvre royale
Les équilibres politiques globaux de la dernière législature n’ont pas été rompus. Les partis de la coalition gouvernementale sortante (PI, MP, RNI, USFP, PPS) ont remporté ensemble 187 sièges, c’est-à-dire davantage que la majorité absolue en Chambre (163 sièges). Non seulement ils en conservent leur contrôle, mais ils le renforcent par rapport à la législature précédente. Les six premières formations politiques ont remporté ensemble un total de 243 sièges, soit 75% de l’ensemble des sièges de la Chambre des représentants et dix-sept autres partis ont récolté 77 sièges. Les cinq derniers sièges sont revenus aux indépendants (voir le tableau no. 1).
Faute du seuil national d’éligibilité requis, 10 des 37 partis électoraux ont été éliminés de la course. Pour la liste locale, seuls sept partis ont obtenu chacun 5% des voix requis. Les cinq premiers de ces six chanceux ont récolté chacun plus de 10% des sièges.

Au niveau de la liste nationale, quota réservé aux femmes, huit partis n’ont présenté aucune candidate. Parmi les 25 listes, seuls quatre partis ont obtenu chacun plus de 10% des suffrages. Aucun d’eux n’est de gauche. À cette occasion, seuls six partis ont réussi à faire élire quelques-unes de leurs candidates. À cette occasion, le parti islamiste s’est montré plus efficace puisqu’il a réussi à faire élire davantage de candidates (23%) que ses concurrents PI (20%), MP ou RNI (17% chacun), USFP (13%) et PPS (10%). Ces deux partis de gauche ont donc récolté ensemble un peu plus du quart des élues.

Avec quatre femmes supplémentaires élues lors du scrutin local (dont l’Istiqlalienne Baddou, secrétaire d’État, candidate à Casablanca), la représentation féminine recule au sein de la Chambre des représentants (10,5%) par rapport à la législature précédente (11%). Elles sont encore moins présentes dans la Chambre des conseillers (1,1%) Ces femmes sont loin de représenter la quasi-moitié du corps électoral, ce qui en dit long sur le peu de confiance que la société électorale marocaine accorde aux compétences gestionnaires de la gent féminine. Pour cause, les pesanteurs sociologiques et idéologiques qui sont à la base de la reproduction de cette société. [10] Pour contrer ces résistances culturelles, il faudrait que le législateur impose à chacun des partis de présenter un quota féminin d’au moins 25% aux élections législatives prévues pour l’année 2012, avec sanctions financières substantielles pour les éventuels récalcitrants.
Les trois partis de la Koutla démocratique (PI, USFP, PPS) ont récolté ensemble 107 sièges, c’est-à-dire deux de sièges de moins qu’en 2002. Même s’ils s’ouvraient sur les autres partis de gauche, ils n’atteindraient pas la majorité absolue. D’où la nécessité pour le PI d’aller au-delà de cette frontière.
La première surprise du scrutin est la débâcle de l’USFP. Ce parti, le plus grand perdant du scrutin, passe de la première position à la cinquième, en laissant échapper douze sièges en Chambre des représentants. Ses candidats malheureux comptent plusieurs ministres en vue, dont Mohamed Achaâri et Nouzha Chekrouni. C’est une sanction populaire cinglante pour le parti qui se disait, il n’y a pas si longtemps, le premier parti politique du pays. C’est aussi le résultat de l’aveuglement d’une direction qui n’avait pas hésité à parachuter plusieurs candidats dans des circonscriptions où ils n’étaient pas implantés, au mépris de l’opposition des organisations locales.
La deuxième surprise en date, c’est le score du PJD. Rappelons-nous à cet effet que la plupart des experts marocains et étrangers, sondages à l’appui, avaient prédit un « raz-de-marée » islamiste à ce scrutin. Le parti islamiste a lui aussi été victime de cette « intoxication », lui qui tablait sur une fourchette de 70-100 sièges et se voyait donc dans la position du parti majoritaire chargé de former le prochain gouvernement. Mais cette percée attendue n’a pas eu lieu. Un découpage électoral savamment élaboré et la division du camp islamiste lui ont été fatales. En revanche, ce parti améliore son score par rapport à 2002. Il s’impose donc comme le deuxième parti parlementaire. Il fait élire plusieurs de ses dirigeants, dont son chef Outhmani, chose que n’ont pas réussi plusieurs partis en lice. Il a également récolté plus de suffrages que tous les autres, même s’il s’est classé deuxième en terme de sièges, juste derrière le PI. Une distorsion liée au mode de scrutin (voir le tableau no. 1).
En faisant élire 52 de ses candidats, le PI qui gagne quatre sièges supplémentaires par rapport à la législature de 2002, arrive en tête de liste. C’est lui qui a remporté le scrutin. Ce développement est une grande surprise pour lui-même ainsi que pour les autres partis. Ce parti est implanté parmi les différentes couches sociales. Comme il est implanté également dans les campagnes, il a bénéficié de la forte participation des ruraux, contrairement à une USFP qui a fait les frais notamment de la forte démobilisation de l’électorat urbain. En se faisant élire, des représentants des quadras, des technocrates efficaces proches de Mohamed VI, tels Karim Ghellab ou Omar Hejira, conservent leurs chances intactes d’accéder de nouveau au cabinet, à défaut de mieux.
Avec ces développements politiques, le leadership de la Koutla démocratique échappe aux socialistes pour tomber entre les mains des nationalistes. Le leadership au sein du Parlement leur échappe également au profit des mêmes concurrents. Ces changements viennent obscurcir un ciel socialiste déjà encombré. À cause de ces développements « catastrophique » pour la formation socialiste, verra-t-on sa direction engager un examen de conscience de ses décisions et orientations depuis 1998, date de sa cooptation gouvernementale, ou au contraire continuer à avancer, la tête baissée, sur la même voie qui a mené là où se trouve ce parti actuellement ? Le vrai gagnant de ces élections est le roi lui-même. D’un coup, il voit échouer deux partis importants, doté chacun d’un type de légitimité particulier. D’abord, l’USFP. Comme la question de la réforme constitutionnelle sera tôt ou tard ouverte, peut-être au cours de la nouvelle législature, il vaudrait mieux négocier avec un acteur sorti affaibli de l’exercice électoral qu’avec un joueur fort. Ce parti avait milité durant des décennies pour une réforme constitutionnelle menant à une démocratisation des institutions politiques. D’un tel parti affaibli, la monarchie pourrait espérer maintenant davantage de concessions. Ensuite, le PJD. Un parti dont l’appétit était devenu sans limite et dont la revendication d’une réforme constitutionnelle devenait de plus en plus audible. Avec l’échec de ces deux partis, la monarchie pourrait vaquer à son occupation comme d’habitude, sachant que les revendications constitutionnelles seraient modestes. Et puis, le gagnant du jour a toujours fait preuve de loyauté sans borgne face à la monarchie.
IV. Perspectives des élections législatives
1. Scénarios pour la formation du gouvernement
Au lendemain du dévoilement des résultats officiels définitifs des élections législatives, on se demandait si Mohamed VI, Constitution à l’appui, allait, comme en 2002, choisir un Premier ministre technocrate, ou s’il choisit un dirigeant politique, comme il l’avait laissé entendre en 2005. Rappelons-nous le climat tendu, notamment chez les socialistes arrivés en tête à l’époque, après que le ministre de l’Intérieur sortant, Driss Jettou, était désigné pour former le nouveau gouvernement. Cette fois, une dizaine de jours plus tard ont suffi au roi pour qu’il charge Abbas el-Fassi, chef du PI, de former le nouveau cabinet. On pourrait penser que ce n’est que justice puisqu’il s’agit du parti vainqueur du scrutin. C’est aussi la concrétisation d’un rêve caressé par ce chef politique depuis 1998. Mais en raison de l’âge avancé d’el-Fassi (67 ans), un tel choix ne cadre pas avec le discours royal du rajeunissement de la classe politique. Sans oublier les difficultés rencontrées par ce zaïm au sein de son propre parti, et ce depuis de nombreuses années, lui qui venait d’être élu de justesse dans sa circonscription. Mais du moment que son parti est arrivé premier, il n’était pas question pour cet avocat de laisser le poste prestigieux de Premier ministre lui échapper.
Pour former son cabinet de coalition, le PI dispose de trois combinaisons possibles. D’abord, il peut reconduire en sa compagnie les mêmes composantes du gouvernement sortant, à savoir l’USFP, le MP, le RNI et le PPS. Ce scénario présente plusieurs avantages : jouir d’une majorité très confortable au sein de la Chambre des représentants (187 sièges), éviter de s’allier aux islamistes, tout en gardant son alliance avec un parti socialiste affaibli. Dans ce cas de figure, ce parti serait obligé de composer avec ce que lui proposera le Premier ministre désigné. Et le nombre de ses ministères réduit. Il y a de fortes chances que le parti socialiste, qui a goûté aux délices, privilèges et apparences dorées du pouvoir depuis une dizaines d’années, succombe à l’appel gouvernemental. Et l’opposition d’une partie de ses membres et cadres à cette participation n’y changerait rien.
Le deuxième scénario est celui d’un gouvernement majoritaire « homogène » de droite, où siégeraient à ses côtés quatre autres partis : le MP, le RNI, l’UC et le MDS. Fort de l’appui royal, la tâche d’El-Fassi serait assez aisée vis-à-vis de partis loyalistes comme le MP et le RNI qui sont de culture gouvernementale et des lieux de regroupement de réseaux de notables. S’ils peuvent se permettre de se montrer plus exigeants, en raison du nombre de leurs députés, les deux autres partis de droite seraient enchantés de faire partie du cabinet, après une longue période de traversée de désert. Mais si cette formule est retenue, elle éloignerait le PJD, tout en s’aliénant l’appoint socialiste. Le troisième scénario est celui d’une alliance avec le parti islamiste, aux côtés du MP et du RNI, réduisant le nombre des partenaires gouvernementaux et se défaisant des socialistes.
Nous pensons que le premier scénario est celui qui a le plus de chance d’être retenu (avec des ajustements notables au niveau de la distribution du nombre des portefeuilles et de leur importance entre les partis de la coalition). Dans tous les cas de figure, plusieurs parmi les ministres sortants, notamment les chefs élus de parti (dont Laensar, Mansouri), reviendront aux affaires. Et le PJD rempilerait pour cinq années supplémentaires dans le fauteuil « confortable » de l’opposition, en prévision des échéances municipales de 2009 et législatives de 2012.
2. Et les partis maintenant
Si certains partis politiques tirent leur épingle du jeu sans dommages, d’autres en sortent meurtris. Même si le PPS améliore son score de 2002, son chef est rejeté par les urnes pour une seconde fois. Il partage ainsi le sort d’autres chefs de parti moins importants, de droite comme de gauche, vieux comme nouveaux. Ces dirigeants feront-ils face à un vote de confiance de leur base, où viendra-t-on à leur rescousse par la magie de la cooptation dans la Chambre haute du Parlement ? Les partis qui ont obtenu moins de 10% de sièges ou aucun, feront-ils preuve de réalisme, en fusionnant avec un des cinq principaux partis parlementaires ou continueront-ils à tenir mordicus à leur autonomie, sans égard à l’emprise réelle sur la société. D’ailleurs, de petites formations comme le PED et le PRE (respectivement cinq et quatre sièges) se sont rapproché du MP. De leur côté, les partis de gauche pourraient par exemple trouver un cadre organisationnel facilitant leur fusion dans une même formation, avec ou sans courants. Le PND et le PDP pourraient rejoindre les rangs du RNI. Pour les aider à accélérer leur processus de réflexion réaliste, le législateur pourrait, en vue de la prochaine législature, fixer le seuil national d’éligibilité à 10% au moins. Également, le seuil minimum à exiger des partis pour éviter de rembourser la subvention publique pour les élections de 2012 devrait être élevé à 7%. Comme la poussière électorale vient de retomber, un des signaux forts à envoyer aux partis politiques serait d’obtenir de ceux qui n’ont pas récolté un minimum de 5% des voix au niveau national de rembourser la subvention publique, comme le prévoit déjà la loi. Après tout, il s’agit de l’argent des contribuables.
Conclusion
Dans un pays où c’est le roi qui gouverne indépendamment des majorités issues des urnes, les résultats des élections législatives du 7 septembre 2007 ont été riches de surprises. D’abord, le taux de participation s’est révélé plus faible que lors des échéances précédentes. Un camouflet pour la classe politique du pays. Ensuite, contrairement à ce qu’avait prédit la quasi-totalité des observateurs marocains et étrangers, il n’y a pas eu d’effet « raz-de-marée islamiste » au profit du PJD. Encore, le vainqueur de ces consultations était un autre parti conservateur, le PI, au grand dam des socialistes. Enfin, pour former son gouvernement de coalition et « conduire » son action jusqu’aux prochaines échéances législatives, le nouveau Premier ministre sera obligé de faire des arbitrages laborieux entre des exigences divergentes de ses partenaires de coalition. Une situation porteuse de blocages potentiels. Sans oublier une situation sociale explosive.
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*M. Aziz Enhaili est co-auteur de trois ouvrages collectifs, dont deux dirigés par Barry Rubin : Political Islam (Londres : Routledge, 2007) & Global Survey on Islamism (États-Unis, à venir). Il a également publié de nombreux articles dans des revues académiques spécialisées de la Méditerranée (Confluences Méditerranée ; Confronto) et du Moyen-Orient (Middle East Review of International Affairs ; Journal d’étude des relations internationales au Moyen-Orient).
[1] Au terme de la révision constitutionnelle de 1996, la dernière en date, la justice n’est pas considérée comme un pouvoir constitué. On en parle d’une autorité (article 82).
[2] Cf. Guy Hermet & alt., Des élections pas comme les autres, (Paris : Presses de Sciences Po, 1978).
[3] Selon l’Indice du développement humain des Nations unies pour l’année 2004, 34,5% de Marocains sont pauvres. Cf. Le Rapport mondial sur le développement humain 2004 (Paris : Économica, 2004), p. 148. Une telle réalité est encore plus importante dans les campagnes et parmi les femmes.
[4] Aziz Enhaili, « Maroc : Une transition politique verrouillée », Confluences Méditerranée, No. 31 (Automne 1999), pp. 57-75.
[5] S’il est interdit d’activité politique, le GJB est autorisé à mener des activités caritatives.. Ce mouvement n’a jamais caché son hostilité à l’égard du régime monarchique. Plusieurs de ses dirigeants et militants ont fait les frais de la répression. Une des dernières sorties publiques très remarquées de cette formation est intervenue en 2006, quand Nadia Yassine, la fille médiatisée de Abdessalam Yassine (80 ans), cheikh du GJB, a accordé une entrevue à un journal indépendant marocain où elle disait que le régime républicain serait mieux adapté au pays. Grâce aux pressions du Département d’État américain, sa mise en examen n’a cessé d’être remis à plus tard.
[6] Parmi les innovations du nouveau Code de la famille, l’âge légal du mariage pour les filles passe de 15 ans à 18 ans, le consentement du tuteur mâle de la jeune fille ou sa présence au mariage n’est plus obligatoire, le partage équitable des biens entre ex-époux en cas de divorce est garanti.
[7] El Himma était le condisciple au Collège royal de Rabat du futur Mohamed VI. Même si ce proche collaborateur du souverain était la veille de sa candidature ministre délégué à l’Intérieur, il en était en fait le vrai homme fort. Sa liste dans Rehamna va rafler les trois sièges qui étaient à pourvoir dans cette circonscription.
[8] L’auteur de cette étude faisait partie des rares, sinon il était le seul, à prévoir que le « raz-de-marée » islamiste tant redouté n’aurait pas lieu. Pour plus de détails, cf. Aziz Enhaili, « Les élections législatives de septembre 2007 et l’hypothèse d’un raz-de-marée islamiste au Maroc », (1er août 2007).
[9] Cf. Le dossier des élections législatives de septembre 2007 de l’agence officielle de presse, la MAP
[10] Aziz Enhaili, « Femmes, développement humain et participation politique au Maroc », Journal d’Études des Relations Internationales au Moyen-Orient, Volume 1, No. 1, (Juillet 2006).
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Sunday, December 02, 2007

Remembering Gebran Badine

En souvenir de Gebran Badine, victime de la violence meurtrière
par Pamela Chrabieh Badine[1]
Décembre 2007
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Cet article fut récemment publié par Scriptura Nouvelle Série (Faculté de Théologie et de Sciences de Religions de l'Université de Montréal, Québec, Canada). Vol.9-1, 2007, p.109-118 (Thème de la parution: Le suicide. Cancer de l'âme ou courage de la décision? )
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Résumé :
Cet article se fonde sur un témoignage personnel de l’assassinat d’un Libano-Canadien en Irak en 2004 et du traumatisme vécu par sa famille et ses amis. Le premier objectif est la dénonciation de la violence meurtrière qui sévit au Proche-Orient et le second est la mise en mémoire des victimes de guerre dont le souvenir est souvent relégué aux oubliettes.

Summary :
This article is based on a personal testimony of the assassination of a Lebanese-Canadian in Irak in 2004 and of the trauma experienced by his family and friends. The first goal is to denounce the murderous violence in the Near-East, and the second goal is to memorialize war victims who are often forgotten.

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Le 10 septembre 2004, mon beau-père Gebran Badine fut assassiné en Irak. Il avait cinquante-trois ans et tentait de lancer un commerce régional de produits alimentaires. Il était accompagné d’un de ses meilleurs amis et d’un couple de nouveaux mariés. A l’aube du 10 septembre, un groupe d’hommes armés envahit la maison qu’occupait Gebran et ses collègues dans le quartier des ambassades - réputé pour être sécuritaire - séquestra ces derniers dans une chambre et les cribla de balles. Seul l’ami de Gebran y survécut et put fuir en direction du Liban. La nouvelle de la mort atroce de Gebran et de ses collègues fit la une des journaux et provoqua un énorme traumatisme
[2] auprès de ses proches et de ses amis.

Dans quel but Gebran fut-t-il assassiné ? Pour des raisons confessionnelles ? Gebran était chrétien grec-catholique dans un environnement à majorité musulmane, mais les attentats qui devenaient de plus en plus fréquents en 2004 étaient perpétrés envers des individus et des collectivités de toutes confessions et appartenances. Pour des raisons politiques ? Gebran n’était membre d’aucun parti ou mouvement politique. Pour des raisons d’intérêts stratégiques et de course au pouvoir entre des clans et des tribus au sein de Bagdad ? Dans ce cas, Gebran et ses collègues constitueraient ce que l’on qualifie en politique internationale de « dommages collatéraux »
[3], ou alors de boucs émissaires dans une guerre qui n’était pas la leur.

A ce jour, la cause de la mort de Gebran reste inconnue. Tel est également le cas des auteurs du crime. Ni la justice irakienne, ni celle libanaise ou même canadienne - Gebran étant détenteur d’une double nationalité libano-canadienne - ne se sont penchées sur ce crime odieux advenu à Bagdad, capitale ensanglantée qui se meurt à grands feux. Après tout, qui est Gebran ? Vaut-il la peine d’être remémoré ? Sa mort, à l’instar de beaucoup d’autres, compte-t-elle sur l’échiquier national, régional et international ? Depuis l’invasion américaine en 2003, les massacres perpétrés quotidiennement dans cette région qui vit se développer les plus anciennes civilisations de l’Histoire, ne sont plus que des événements relégués aux oubliettes, des concours de circonstances, des accidents faisant partie du lot dit normal de la guerre. En ce sens, la mort de Gebran ferait partie de l’ordre des choses, du cycle de la vie et de la mort. Elle ferait partie des tragédies enfouies dans les méandres de l’Histoire, jugées par des politiciens, des historiens, des institutions médiatiques et des peuples entiers, inaptes à porter le qualificatif de mal absolu, d’horreur extrême, et donc inaptes à être même pointées du doigt.

Que de crimes commis contre l’humanité dans le passé et encore aujourd’hui sont sous-estimés, banalisés, oubliés, en dépit de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par les Nations-Unies en 1948 et de la Convention de Genève stipulant la protection des civils en temps de guerre ? Ces nobles principes n’existent pas en pratique, et les civils souffrent en tous lieux : Vietnam, Hiroshima, Liban, Sarajevo, Rwanda, Palestine…Certes, l’on s’attarde parfois aux phénomènes dits massifs, mais si ce n’est pas le nombre de victimes qui pèse dans la balance, serait-ce leur qualité, leur nationalité, leur ethnie, leur religion ? Serait-ce une question de jeux de pouvoirs, d’intérêts? D’enjeux économiques, politiques, judiciaires ? De purification, d’unification, de sécurisation, de nettoyage ? D’implantation d’une quelconque démocratie ? De légitime défense ? Le fait d’États faibles ou alors d’États forts ?

Est-ce une poignée de juristes et d’experts qui sont habilités à nommer des génocides, des politicides
[4] ou des démocides[5], des guerres justes ou injustes, légitimes ou illégitimes, et donc à reconnaître et faire reconnaître aux yeux de tous l’annihilation d’êtres humains ? Le terme « génocide » ne peut-il pas être la pièce maîtresse d’une rhétorique agressive contre un adversaire politique ? Ne sert-il pas à la fois de bouclier et d’épée ? Selon l’historien Steven Katz, le seul génocide ayant été perpétré dans l’Histoire est celui des juifs.[6] Alors que pour le psychologue Israël Charny, tout massacre est un génocide.[7] Les définitions de cette notion sont bien plus nombreuses. Il en est de même pour celles de tragédie, d’holocauste, de meurtre, de crime, de destruction involontaire ou d’intention de détruire, la part du calcul ou le passage à l’acte, la « froide » ou la « chaude » décision de massacre etc… : les avis se partagent. À ce jour, il n’existe aucun modus vivendi sur lequel se baser pour déterminer qui serait la victime, le bourreau, le calculateur, le procureur… et de surcroît, quelle mémoire faudrait-il sauver des décombres. Pour ma part, toute guerre constitue un génocide, et tout être humain ayant péri de la folie meurtrière vaut la peine d’être remémoré, pour que justement cesse cette folie.

Malheureusement, depuis la deuxième guerre mondiale, les recherches sur les traumatismes de guerre et la mémoire de la guerre se concentrent principalement sur la situation des militaires. Récemment, une panoplie de films et d’ouvrages ont mis l’accent sur le traumatisme vécu par les anciens combattants des deux premières guerres mondiales, du Vietnam et de la première guerre du Golfe.
[8] Rares sont les recherches qui traitent des traumatismes vécus par ce que le psychiatre Libanais Adnan Houballah qualifie de combattants ou d’acteurs « passifs ». Il en est de même pour l’ensemble des individus et des collectivités victimes de violences extrêmes, et qui diffèrent des combattants « actifs » (armée, milices…), lesquels génèrent ces violences.[9] En ce sens, rares sont les recherches qui se concentrent sur le personnel, le psychosocial, l’humain, tels que représentés par les photographies de Rania Matar à travers le quotidien d’individus aux prises avec le lendemain des combats armés, ignorés et déshumanisés, souffrant de l’adaptation à la réalité de ce qu’ils ont perdu. Tel est notamment le cas au Liban, en Irak, et plus généralement aux Proche et Moyen-Orients, ce qui constitue un obstacle majeur face à la déconstruction des traumatismes de guerre et au soin des blessures psychosociales.

Or, la mise en œuvre de ce processus thérapeutique, tant au niveau individuel que collectif et national, est indispensable en vue de la construction de la paix et de la convivialité à long terme. En ce sens, il ne suffit pas de poursuivre des logiques de survie (assurer les besoins élémentaires), mais aussi des logiques que les ONGs qualifient d’immatérielles et qui sont multiples. En d’autres termes, il ne suffit pas de faire taire les canons et de s’engager dans un processus de ‘peacekeeping’ qui vise principalement les combattants « actifs », mais de s’engager dans un processus de ‘peacebuilding’ lequel vise surtout les acteurs « passifs » et a pour objectif de tisser des liens entre la diversité des composantes d’une société. Il est bien évident que l’irréparable - comme la mort de Gebran - ne se répare pas et que le traumatisme ne s’efface pas. Toutefois, il s’agit de permettre de vivre avec le traumatisme et non pas dans le traumatisme, de se libérer du passé tout en s’attachant à construire et reconstruire des liens familiaux et sociaux protecteurs. Or, comment se libérer du passé si l’omerta est de rigueur?

Au Liban par exemple, il est habituellement demandé tant aux enfants qu’aux adultes de ne pas revenir sur le passé, de taire les blessures, de se murer dans un mutisme approbateur de la fatalité du destin, privilégiant la survie sociale et politique à la survie psychique et humaine. La société entière est soumise aux chuchotements et à l’autocensure qui font que la moindre pensée subversive est automatiquement réprimée. Cette omerta ou loi du silence est renforcée au niveau national par l’auto-amnistie des leaders de la guerre en 1991. En effet, la loi no.84 du 26 août 1991 a voulu voiler le passé récent en accordant une amnistie aux criminels pour tous les actes commis avant le 28 mars 1991. Cette loi fut élaborée en fonction de critères politiques et non des droits de l’Homme. Les ‘Seigneurs de la guerre’ - expression utilisée en politologie Libanaise - ont fait en sorte que leurs crimes soient oubliés. Or, suffit-il de d’affirmer que le passé n’existe plus en droit pour qu’il cesse d’exister dans la réalité et les consciences, pour que victimes et bourreaux se valent ?

L’oubli n’est qu’une illusion, le temps nous rattrape à grandes enjambées et la souffrance nous descend, même si nous tentons de fuir. « Gare au retour du refoulé ! », avait prévenu un célèbre architecte Libanais lors d’une conférence en février 2004 intitulée « Le centre-ville, exploit ou fracture? ». Comment tourner la page sur des milliers de morts, de blessés, de disparus, de déplacés, de prisonniers, d’émigrés forcés, de destructions, d’horreurs ? Comment dépasser la peur qui marque sa présence et la dépression qui suit la fin de l’espoir ? Comment envisager ce qui sera sans tenir compte de ce qui a été ?

« Je désire savoir où sont les choses futures et passées, si l’on peut dire qu’elles sont. Si cette connaissance est au-dessus de moi, au moins je suis assuré qu’en quelque lieu qu’elles soient, elles n’y sont ni futures ni passées, mais présentes, puisque si elles y sont futures, elles n’y sont pas encore, et que si elles y sont passées, elles n’y sont plus ».

Aux interrogations de Saint Augustin, dans les Confessions (livre XI, chapitre XVII), répondent certaines certitudes : si l’avenir n’est pas encore et si le passé n’est plus, celui-ci n’est pas sans influencer celui-là. En ce sens, un avenir pacifié ne peut être envisageable si la politique de la tabula rasa relevant de la terre brûlée est adoptée. Celui-ci requiert la reconnaissance de la douleur en la muant en souvenir fondateur qui puisse nous en affranchir, notamment en construisant une mémoire
[10] individuelle et collective de la guerre. Dans cette perspective, la parole ou la mise en récit de l’événement traumatique occupe une place centrale dans le processus thérapeutique qui constitue la base du processus de ‘peacebuilding’ – construction de la paix. Donner un espace de parole, d’où l’on peut s’exprimer en toute sécurité et liberté, est indispensable pour passer de la simple reviviscence à la représentation, du souvenir au « ressouvenir » - un terme utilisé par Amin Maalouf[11] et qui signifie une réécriture, un déchiffrage, un dévoilement, un travail de critique et d’auto-critique (intériorisation), un projet herméneutique, un travail de deuil, un acte refondateur, une transformation - pour qu’on puisse dire les blessures, leur attribuer un sens, les comprendre et vivre avec.

La construction d’une mémoire individuelle et collective de la guerre accompagne nécessairement l’implantation d’un système judiciaire qui n’est pas fondamentalement axé sur la sanction mais sur la guérison des blessures. Telle est la différence entre la justice réparatrice telle qu’appliquée par exemple en Afrique du Sud et la justice punitive clamée haut et fort par des leaders Libanais depuis l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafic Hariri en février 2005. Une commission Vérité et Réconciliation pourrait être pensée et implantée à long terme tant au Liban qu’en Irak et adaptée à leurs contextes respectifs.
[12] Au Liban par exemple, elle pourrait se baser sur les valeurs du dialogue interreligieux longtemps pensé et pratiqué, tant dans le quotidien du peuple Libanais qu’en milieux académiques et institutionnels. Ces valeurs pourraient être élargies à une vision-pratique plus large de la convivialité inter-humaine, à l’instar de l’ubuntu africain, lequel exprime une attitude d’humanité à l’égard d’autrui et accorde une importance à la communauté humaine.[13]

En ce sens, le principe ‘œil pour œil, dent pour dent’ ou la culture de la vendetta sont remplacés par un processus réparateur impliquant toutes les parties, constituant une manière puissante d’aborder non seulement les préjudices matériels et physiques causés par les crimes, mais aussi les préjudices sociaux, psychologiques et relationnels. Cette démarche est centrée sur la victime, et la communauté et le dialogue en sont les éléments centraux. Le but n’est pas la vengeance, mais que la vérité soit connue et qu’une reconnaissance publique soit officiellement sanctionnée. Les auteurs de crimes de guerre ont beau répéter que personne n’entendra les victimes, que personne ne se soucie d’elles, que personne ne le saura jamais… D’où la nécessité de faire face à ce que le journaliste Lawrence Weschler qualifie d’ « instant primordial » :

« Qui était là ? Qui criait ? Qui se tenait aux côtés de la victime, et que faisaient-ils ? Qui, encore maintenant oserait écouter ses cris ? Qui souhaite le savoir ? Qui sera tenu responsable ? Et qui leur en demandera des comptes ? »
[14]

Le but est donc la compréhension de ce qui s’est passé, l’établissement d’un état des lieux, des causes, de la nature et de l’étendue des dégâts, le dévoilement du passé sans complaisance et sans maquillage, l’apaisement social par le désamorçage des rancoeurs, la réhabilitation et la restauration de la dignité civile et humaine des victimes. La paix en soi et avec les autres est à ce prix. Tel fut le cas en Afrique du Sud, au Guatemala, au Maroc, etc. Tel peut être le cas au Liban en particulier et au Proche-Orient en général. Sans cela, le massacre de centaines de milliers d’êtres humains, tel celui de Gebran, continuera d’être perpétré et la société restera empoisonnée par les maux passés qui réapparaîtront inévitablement dans l’avenir. En ce sens, cet article se veut un premier effort pour faire reculer l’omerta, pour redonner à Gebran la mémoire qui lui est due.
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NOTES
[1] Pamela Chrabieh est détentrice d’un doctorat en Sciences des Religions de l’Université de Montréal. Elle est chercheure post-doctorante depuis juin 2006 à la Chaire de recherche du Canada en Islam, Pluralisme et Globalisation de l’Université de Montréal et à l’Institut d’études islamo-chrétiennes de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Sa recherche qui est financée par le Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada (CRSH) de juin 2006 à mai 2008 s’intitule : « Voix-es de reconstruction nationale au Liban. Contributions des 25-40 ans ».
[2] Le traumatisme peut se définir comme l’effet d’un événement qui sort de la norme et au cours duquel les défenses psychiques ont été submergées. A maints égards, on peut comparer cette expérience à une blessure émotionnelle. L’événement vécu laisse par la suite une cicatrice dont l’importance dépend de l’ampleur du choc vécu et du soutien reçu. Consulter à cet effet : http://www.aubonnebridge.net/data/traumaflier_fr.pdf; L.CROCQ, Les traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob, 1999.
[3] Ce type de vocabulaire est passé dans le langage militaire courant puis dans celui du politique et des médias pour cacher le massacre de populations civiles au cours de combats guerriers et qui devrait être qualifié de crime de guerre ou de crime contre l’humanité. Consulter à cet effet : I. VALE MAJERUS, De quel droit? Le Droit international humanitaire et les Dommages collatéraux, Paris, Le Serpent à plumes, 2003; G. ACHCAR, Le Choc des barbaries, Paris, Complexe, 2002.
[4] Le terme politicide est un néologisme signifiant littéralement « tuerie politique » et peut être utilisé pour définir un massacre de personnes pour des motivations politiques ou l’élimination d’une entité politique (Source : Wikipédia).
[5] Le terme démocide signifie « le meurtre d’une personne ou d’une population par un gouvernement, y compris le génocide, le politicide et les exécutions de masse » (Source : Wikipédia).
[6] Voir S. KATZ, The Holocaust in Historical Context, vol. 1, New York, Oxford University Press, 1994.
[7] Voir G. ANDREOPOULOS (ed.), Genocide: The Conceptual and Historical Dimensions, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1994.
[8] Voir J.Y. LE NAOUR, The Living Unknown Soldier : A Story of Grief and the Great War, London, Metropolitan Books, 2004; T. NHU TANG, A Vietcong Memoir: An Inside Account of the Vietnam War and Its Aftermath, New York, Vintage, 1986; G. NICOSIA, Home to War: A History of the Vietnam Veteran’s Movement, New York, Caroll & Graf, 2004; M. HONG KINGSTON (ed.), Veterans of War, Veterans of Peace, Kihei (Hawai), Koa Books, 2006.
[9] Voir A. HOUBALLAH, Le virus de la violence, Paris, Albin Michel, 1996.
[10] Le terme « mémoire » est défini de multiples manières (polysémie que l’on trouve dans des travaux académiques : études culturelles, historiques, anthropologiques, psychologiques, sociologiques…). En témoignent les travaux fondateurs du sociologue français Maurice Halbwachs, de l’historien Pierre Nora, du sociologue américain Jeffrey Olick, etc. Voir M. HALBWACHS, On Collective Memory, Chicago, University of Chicago Press, 1992, p.51; P. NORA (dir.), Les lieux de mémoire, t.1-2-3, Paris, Gallimard, 1993 ; J. OLICK, In the House of the Hangman: The Agonies of German Defeat, 1943-1949, Chicago, University of Chicago Press, 2005; et “Genre Memories and Memory Genres: A Dialogical Analysis of May 8th, 1945 Commemorations in the Federal Republic of Germany”, American Sociological Review, no.64 (1999) p.381-402. Dans cet article, le terme « mémoire » est défini en tant que passage du souvenir ou de la simple reviviscence au ressouvenir, signifiant une réécriture, un déchiffrage, une mise en récit, une représentation, un dévoilement, un travail de critique et d’auto-critique (intériorisation), un projet herméneutique,, un travail de deuil, un acte refondateur et une transformation.
[11] Voir A. MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998; Origines, Paris, Grasset, 2004.
[12] Voir Truth and Reconciliation Commission of South Africa, Hampshire, Palgrave Macmillan, 1999.
[13] Voir M. BATTLE,. Reconciliation : The Ubuntu Theology of Desmond Tutu, Cleveland (Ohio), Pilgrim Press, 1997.
[14] Voir L. WESCHLER, ‘Afterword’, State Crimes: Punishment or Pardon, Queenstown, Aspen Institute, 1988, p.91-92.

Tuesday, November 20, 2007

Lebanon Independance

L'indépendance ou la dépendance du Liban?
Novembre 2007


Chers amis-es, lecteurs et lectrices,
me revoilà suite à un mois d'absence, avide d'écrire, de partager et d'échanger, mais aussi, inquiète de l'avenir du Liban.
Je m'étais éloignée du brouhaha de la politique, affairée avec Jana ma fille, née le 20 octobre. Croyez-moi, je n'ai rien manqué, vu que la situation n'a pas changé: tensions et conflits entre les politiciens, alliances éphémères, le même blabla et charabia, une diarrhée verbale qui ne semble pas avoir de remède, des mots vides de toute teneur, des promesses roulant à vide et un va-et-vient quotidien de ministres étrangers et d'ambassadeurs qui ont le culot d'affirmer leur non-ingérence dans les affaires internes du Liban, alors qu'ils ne font que dicter leurs ordres, adoptant un ton condescendant, impérialiste...
Il est évident que la faute incombe à 'nos' leaders, des pions à la solde de telle ou telle autre puissance, et également aux gouvernements étrangers qui piétinent la souveraineté et la dignité des peuples de la région Proche-Orientale, mais surtout et en premier lieu, à 'notre' mutisme face à un cortège de fous et de démons...
Pourtant, le 'nous' - le peuple -, pluriel dans ses appartenances, rêves, us et coutumes, pourrait se relever de sa torpeur, s'unir et se révolter. Qu'est-ce qui le pousse à cambrer son dos et à laisser faire une bande de poupées fantoches? Est-ce une question de quantité? Après tout, les Libanais vivant au Liban ne forment qu'un quartier dans une ville Chinoise... 4 millions... Mais la diaspora compte plus de 12 millions... Est-ce une question de diversité de visions? La diversité n'implique pas forcément la désunion. Est-ce une question de chèreté de vie? Il y a du vrai dans cette question puisque le Libanais pauvre ou de classe moyenne - lequel d'habitude constitue la force de frappe du changement, voire le pilier de toute révolution - est entraîné dans une crise économique qui ne le laisse pas respirer ou alors le pousse à quitter le pays à la recherche de quoi survivre - et non pas vivre, puisque 'vivre' devient un luxe que seule une poignée de personnes bien nanties peut se payer, et encore...
Quelle que soit la réponse, nous pourrions croire que les Libanais sont indignes de l'indépendance acquise il y a plus d'un demi-siècle suite au mandat Français - notons que le 22 novembre marque l'anniversaire de cet événement majeur dans l'histoire du pays -, ou alors qu'ils ne sont pas capables de gérer leur propre diversité et de faire leur propre lessive sans un coup de main des 'grands', ou alors qu'ils sont 'faibles' de nature, 'immatures' et 'violents'... Personnellement, je n'y crois pas. Je crois foncièrement que les Libanais en grande majorité veulent la paix entre eux et avec les autres. Mais à quel prix? À ce jour, au prix de leur vie, mais j'espère pas au prix de la vie de leurs enfants.
Je ne voudrai pas que ma fille Jana soit prise dans l'étau de la guerre. Je ne lui souhaite pas de passer par l'épreuve de la violence meurtrière qui marque l'humain au plus profond de son être. Et aujourd'hui plus que jamais, je suis déterminée à poursuivre ma lutte pour la construction de la paix et de la convivialité, pour que justement elle n'ait pas à chercher à 'survivre' comme l'ont fait et le font encore ses parents, ses grands-parents et tous ses ancêtres, mais à 'vivre'!
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Lebanon’s Independence or Worldwide Subordination
By Michele Chrabieh
Beirut, Tuesday November 20th, 2007


Lebanon’s Independence Day falls on November 22nd and the “deadline for electing a new head of state is down to its final days”. President Emile Lahoud’s term ends on November 24th and no consensus has apparently been reached between our two political factions celebrated for their legendary quality of “obedient submissiveness”. They are the March 14 (government) and the March 8 forces (opposition).
Independence is defined as “freedom from the control, influence, support, aid, or the like, of others” (http://www.dictionary.com/). But in the case of Lebanon, the Independence day is rarely discussed or even mentioned except for pointing out that it is an official holiday and a recreation day. Today, it is one of those final days in the countdown to a political vacuum or an organizing rebirth of the Phoenix.
So far, from what we have heard and seen, our so-called independence has enjoyed the semantic relation of belonging to a lower rank i.e. it has been but conditional or contingent on the US and the West’s quest for regional supremacy on the one hand, and on Iran and Syria’s on the other, “as through a natural or logical sequence”.
The following quotes in today’s issue of the “Daily Star” resume it all somehow:
"The presidential election issue is not easy to solve as it involves too many players," Sfeir told the media on Monday. "The solution is tied to the Lebanese and is linked to neighboring and faraway countries," he said. Sfeir also warned that a civil war and having two presidents "are possibilities but would be disastrous" to the country.
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Another Rotten Day in the Lebanese Paradise of Downtown Beirut.
By Michele Chrabieh
Friday November 23rd, 2007


It’s just about seven in the morning. Army tanks, security forces, check points and deadlocks make up the distinctiveness of the roads in Downtown Beirut. A panorama we have seen on quite a few occasions, a vista we get pleasure from while heading on foot to our employment since our usual parking spots turned to forbidden zones, and a spectacle our politicians have just vowed to show us all over again. They have truly decided to summon a session today but with no actual president to elect. At midnight, President Emile Lahoud’s term ends and the next step is yet to be known and has no specific time frame. We live with the tremble and apprehension of the unexpected yet surprisingly exhibit a carefree mind-set. We mechanically prepare a “primitive warlike” morning kit with, for instance, some provisions, running shoes, extra clothing and a mobile charger. In parallel, we anticipate our logistical alternatives to get to work and in due course leave it. And that with a cynical motto: “No retreat, no surrender”. “Yet no deal, no country”.