Sunday, July 25, 2010

Parution de l'ouvrage QUELLE GESTION DES DIVERSITES AU LIBAN par Dr. Pamela Chrabieh Badine

Nouvelle parution aux EDITIONS UNIVERSITAIRES EUROPEENNES:

QUELLE GESTION DES DIVERSITES AU LIBAN?
DU CONFESSIONNALISME AU PLURALISME MEDIATEUR

par PAMELA CHRABIEH BADINE


EUE (Sarrebruck, Allemagne), 252 p., 2010

DISPONIBLE CHEZ AMAZON (UK), AMAZON.COM et d'autres distributeurs/libraires A PARTIR D'AOUT 2010


RECENSION:

« Pourquoi sommes-nous pris dans un cercle vicieux duquel nous n’arrivons pas à nous échapper? Pourquoi la haine, les tensions, la discorde, l’exclusion de tout ce qui est ‘autre’? Qui sont les responsables? Sommes-nous tous responsables? Comment définir ce ‘nous’? Faut-il s’engager pour un meilleur avenir en assumant les déboires du passé, ou faut-il tourner la page? Faut-il oublier ou ne pas oublier? Sommes-nous tous des morts en sursis, vivant dans l’angoisse de la prochaine explosion? Pouvons-nous croire à l’émergence d’une aube lumineuse ou du moins, à la mise en place d’un processus réformateur? Quelles seraient les stratégies à adopter? Quels seraient les chantiers à entreprendre? Quelles seraient les forces de changement capables de mettre en route ce processus? »

Telles sont les questions que bien des libanais ont tenté de différer mais auxquelles ils ne peuvent plus échapper. Questions tournant autour de la guerre et de la paix, de la mémoire et de l’identité, qui résument la souffrance et le drame de bien de personnes ballottées entre l’amnésie et l’hypermnésie, et à la base de la rédaction de cet ouvrage. Ce sont ces mêmes questions, doublées d’un vécu de rencontres de diversités, de la découverte de leurs richesses et de la convivialité, qui poussent à l’engagement à plusieurs niveaux, en combinant la théorie et la pratique, la réflexion et l’action. L’auteure de cet ouvrage se situe en quelque sorte dans un mouvement plus large qu’on nomme communément celui des intellectuels engagés, tels Pierre Bourdieu, Edward Saïd, Samir Kassir, et bien d’autres encore qui analysent une société pour lui donner des outils lui permettant de se transformer, tout en osant agir sur le terrain.

La remémoration critique est d’autant plus cruciale que le contexte géopolitique actuel des sociétés proche-orientales, et en l’occurrence celui du Liban, augure l’avènement d’une nouvelle ère, de nouvelles règles de jeu, d’une restructuration des acteurs, de ruptures inexplicables et d’alliances aléatoires, qui portent autant d’espoirs que de problématiques à dénouer, parmi lesquelles: le retrait de l’armée syrienne du Liban au printemps 2005 et ses conséquences, le débat houleux sur la résolution 1559 de l’ONU visant à mettre fin à cette occupation, la problématique du désarmement des milices, le conflit israélo-palestinien et la question des réfugiés palestiniens au Liban, la guerre en Irak et ses répercussions sur la société libanaise, l’impasse économique, l’émigration continue des jeunes, et la crise de la gestion des diversités.

L’auteure entend par ‘gestion des diversités’ l’ensemble des structures gouvernementales, des modes de gouvernance politique et des stratégies adoptées pour assurer une cohésion sociale entre des diversités. Cette gestion qu’on nomme le « confessionnalisme » depuis la première moitié du 20e siècle au Liban, a une longue histoire qui est celle de diverses interprétations des relations entre société, politique et religion, avec leurs processus de transfert, d’instrumentalisation réciproque, de croisement et d’interpénétration. Elle est souvent décrite en deux dimensions, politique et personnelle : la première implique que les emplois politiques et administratifs sont répartis entre dix-huit confessions religieuses dites « historiques », en majorité chrétiennes et musulmanes, selon des quotas spécifiques; la deuxième signifie que tout ce qui touche au statut personnel des libanais relève de lois établies par ces confessions.

En dépit des quelques aspects positifs de cette gestion telle la reconnaissance d’une diversité religieuse que l’on ne trouve pas ailleurs dans les sociétés proche-orientales - le confessionnalisme permettant aux communautés d’avoir leur existence politique et sociale, chose impossible dans les pays avoisinants soit au nom du totalitarisme du panarabisme ou de celui de la religion -, celle-ci est en crise depuis plusieurs décennies. Deux traits essentiels caractérisent cette crise : le premier concerne l’existence de failles dans l’application du système institutionnel libanais sur le terrain ou la mauvaise gouvernance - clientélisme communautaire vis-à-vis de puissances régionales et internationales; corruption de l’administration étatique, etc.-; le deuxième fait état de failles dans la structure de cette gestion - institutionnalisation et autonomie excessives des communautés religieuses; paralysie du fonctionnement de la démocratie; persistance du référent communautaire religieux comme facteur identitaire exclusif et comme seul ancrage socio-politique, etc. Ce que l’on retient également est que la situation de crise de la gestion des diversités qui marque le Liban depuis des décennies est caractérisée notamment par un renforcement progressif du confessionnalisme à tous les niveaux, qui va perdurer en dépit de la signature des accords de Taëf en 1989 stipulant son abolition, de l’arrêt des combats à Beyrouth au début des années 90, de la reformulation de la Constitution Libanaise, de la réouverture des frontières internes et de l’appel à l’unité nationale au-delà des dissensions confessionnelles.

En effet, depuis 1990, hormis la suppression de la mention de l’appartenance communautaire sur les documents d’identité, le dossier de l’abolition du confessionnalisme politique ou du communautarisme n’a pas progressé - on parle même de triomphe du discours et de la pratique communautaires dans le Liban de « l’après-guerre » -, alors que le confessionnalisme personnel est toujours de vigueur et même renforcé. Donc, peu de mesures concrètes ont été prises pour la déconfessionnalisation. Toutefois, la culture socio-politique actuelle au Liban n’est pas homogène; plusieurs courants s’y confrontent concernant la gestion des diversités et proposent ainsi une diversité de projets-alternatives de réforme, parmi lesquels : l’Etat mono-religieux, l’Etat bi-religieux, l’Etat laïc, etc.

En étudiant de près ces projets-alternatives, on se rend compte qu’il n’existe pas à ce jour un modus vivendi concernant la question du renouvellement de la gestion des diversités au Liban. Néanmoins, le projet de l’État islamo-chrétien semble à première vue être le mieux adapté à la situation actuelle du Liban, en proposant la voie du dialogue interreligieux comme assise socio-politique et ancrage identitaire. Ce dialogue supplanterait le choc des religions, combattrait l’athéisme et le matérialisme et constituerait le prisme de lecture de l’histoire du Liban par excellence. Toutefois, des travaux de terrain entrepris par l’auteure contribuèrent à souligner les limites de ce qui est devenu le paradigme du dialogue islamo-chrétien en contexte libanais; ils contribuèrent également à penser la sortie du confessionnalisme non seulement en dépassant les limites de sa structure et de ses modalités d’application, mais aussi celles des projets-alternatives tissés autour et à son encontre. Cette sortie est aujourd’hui cruciale vu que le Liban se trouve à la croisée des chemins, plus que jamais attelé à réviser les distorsions de son histoire incarnées par un passé épuré transmis aux jeunes générations, ainsi qu’à définir les composantes et les modalités d’un nouveau projet socio-politique qui raviverait le message de convivialité de ses diversités, de démocratie et de liberté constituant sa raison d’être.

Or, opérer une sortie ne veut pas dire rejeter, mais mettre en jeu la dialectique de la critique et de l’auto-critique, ainsi que la construction d’un pluralisme médiateur se basant sur une pluralité de chantiers de réflexion et d’action, parmi lesquels : la relecture de l’histoire de la guerre et la construction d’une mémoire plurielle et en devenir; l’ouverture du dialogue islamo-chrétien à un plurilogue ou un dialogue pluriel; la définition-redéfinition de l’identité libanaise en vue d’une identité pluraliste; le développement et la promotion d’une éthique de la citoyenneté engagée, ouverte, et qui crée des lieux d’interpénétration entre les diversités. En ce sens, la contribution de cet ouvrage qui entend traiter ces chantiers en particulier, se veut de contribuer à une prise de conscience collective dans un cadre qui nécessite une reconstruction des cœurs et du vivre ensemble.


Monday, July 12, 2010

Le Laboratoire Libanais

En 1990, un conflit protéiforme et dévastateur de quinze ans s'achevait avec la défaite du général Michel Aoun à Beyrouth. Deux décennies plus tard, qu'en reste -t-il ? C'est à cette question que les Mémoires de guerres au Liban , un très riche ouvrage collectif, tentent d'apporter des éléments de réponse. Le cas libanais est passionnant à plus d'un titre. Parce qu'il fut un laboratoire d'atrocités guerrières tout d'abord. Puis parce que la séquence complexe des batailles intestines à géométrie variable (et des invasions ou tutelles extérieures) a interdit par la suite de proclamer trop franchement un vainqueur, sous peine de lacérer plus encore un très fragile tissu national. Ce qui fait que, dans la foulée des accords de Taëf, qui produisirent un nouvel équilibre (notoirement dysfonctionnel) entre les principales communautés en 1989, une loi d'amnistie fut promptement adoptée en 1991 pour absoudre les "seigneurs de guerre" (à l'exception du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, embastillé pendant plus d'une décennie). Le subterfuge fut cependant "impuissant à enfanter l'oubli", le centre-ville de Beyrouth a bien été reconstruit, mais des "ruines en attente" évoquées dans l'ouvrage continuent de porter les stigmates des combats. Les années qui se sont écoulées depuis la fin officielle des hostilités ont été le théâtre de cette lutte entre deux volontés, celle d'oublier et celle de se souvenir. Cette dernière s'appuie aujourd'hui sur un legs considérable, qu'il s'agisse des témoignages de miliciens, des familles de disparus et des déplacés, ou des traces numériques (un nouveau matériau pour les historiens) traquées sur la Toile et rapportées par les auteurs. Les trente articles de ces Mémoires de guerres composent ainsi un parcours singulier dans l'espace et dans le temps, du surgissement du passé que cette guerre provoqua (le souvenir des massacres de chrétiens sur le Mont-Liban au XIXe siècle) à la question béante du contenu des manuels scolaires en passant par le choix impossible d'une date commémorative.

Concurrence mémorielle

Que célébrer pour une guerre qui s'acheva le 13 octobre 1990 par la défaite des troupes libanaises fidèles au général Aoun face à l'armée syrienne sinon, et par défaut, son déclenchement, le 13 avril 1975, jour du mitraillage d'un bus transportant des Palestiniens, un jour qui est généralement retenu comme marquant le début de la guerre civile ?

Autour de quel Soldat inconnu se rassembler, alors que les combats opposèrent des Libanais entre eux, ou bien les virent se poser en rivaux dans la résistance à Israël, comme le raconte un article consacré à la concurrence mémorielle entre prosyriens et communistes à propos des premières opérations contre les militaires israéliens transportés à Beyrouth par l'opération "Paix en Galilée" ?

Les Mémoires s'achèvent par une réflexion très universelle contre "la manipulation" ou "la répression de la mémoire au profit d'une amnésie officielle programmée", de l'universitaire Fawwaz Traboulsi, inspirée d'un récit du poète palestinien Mahmoud Darwich, Une mémoire pour l'oubli. Vous pouvez délibérément oublier tout ce dont vous vous rappelez une fois que vous avez récupéré de l'oubli et de l'amnésie, écrit l'historien. Il faut se souvenir pour pouvoir oublier. A ce titre, ces Mémoires font oeuvre civique.

Gilles Paris

Le Monde.fr. Article paru dans l'édition du 11.07.10


Mémoires de guerres au Liban (1975-1990), sous la direction de F. Mermier et Ch. Varin Actes Sud, Sindbad, 2010, 620 p., 30 €.


Thursday, July 01, 2010

Mémoires de guerres au Liban (1975-1990)

VIENT DE PARAITRE

"Mémoires de guerres au Liban (1975-1990)", Franck Mermier et Christophe Varin (dir.), Arles, IFPO/Sindbad/Actes Sud, 2010

Après la fin de la guerre au Liban (1975-1990), la loi d’amnistie de 1991 a imposé une forme d’amnésie officielle dont l’objectif était de protéger de toute poursuite judiciaire les principaux chefs communautaires, ralliés à l’époque à la Pax syriana. Le sort de centaines de milliers de victimes et des disparus était ainsi porté au passif d’une politique pariant sur le baume de l’oubli et sur la « reconstruction ». Les traumatismes engendrés par ce long conflit dévastateur se sont cependant infiltrés dans le corps collectif pour entretenir les lignes de fracture de la guerre. Et cette fragmentation confessionnelle et territoriale de la mémoire ne pouvait qu’être avivée par la violence politique récurrente qui s’est accrue après l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, en février 2005. Les études rassemblées dans cet ouvrage apportent des informations inédites sur les pratiques mémorielles dans le Liban d’aujourd’hui et, plus généralement, enrichissent la réflexion sur leurs enjeux. Y sont abordés des sujets occultés, ignorés, voire tabous, qui sont autant de nœuds à défaire pour éclairer l’histoire des guerres du Liban de 1975 à 1990, mais surtout pour contribuer au travail de mémoire que beaucoup de Libanais appellent de leurs vœux.

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS


ECRITURES DE LA MEMOIRE I - MEMOIRE ET HISTOIRE Les mémoires des acteurs de la guerre : le conflit revisité par ses protagonistes, Carla Eddé La mémoire transmise et restituée des massacres de « 1860 » chez les combattants chrétiens originaires du sud du Mont-Liban, Dima de Clerck D’une guerre civile (à) l’autre : les harakât de 1840-1860 dans l’historiographie libanaise contemporaine, Candice Raymond L’unification du manuel d’histoire au Liban : enjeux et contraintes, Betty Gilbert-Sleiman


II - ENTREPRENEURS DE MEMOIRE La commémoration au Liban : la place du 13 avril, Juan María Ruiz Herrero Le Musée National de Beyrouth : mémoire des contraires, frontière et passage, échafaud et liberté,Aïda Kanafani-Zahar Mémoires du dialogue, Louis Boisset YouTube et la guerre de 1975 à 1990 : fragments d’un voyage au pays des « mémoires sauvages »,Christophe Varin Mémoires de guerre et blogosphère libanaise, Pamela Chrabieh Badine


MEMOIRE ET POLITIQUE III - MEMOIRES CIVILES ET COMBATTANTES Commémorer la Résistance à Beyrouth ouest, Franck Mermier Retour sur les traces d’un conflit : Amal vs Hezbollah (1988-1990), Olfa Lamloum La mémoire des ex-miliciens, Christine Babikian Assaf Une figure de martyr au Sud Liban, Kinda Chaib


IV– MEMOIRES COLLECTIVES ET SORT DES VICTIMES Les disparitions forcées au Liban : l’héritage immuable d’une nation, Lynn Maalouf La réconciliation du Mont Liban : la raison d’Etat et l’égalisation communautaire au détriment de la mémoire, Aïda Kanafani-Zahar Guerres ignorées, guerres oubliées ? Mémoires de guerres dans le camp de Chatila, Hala Caroline Abou-Zaki Altérations psychiques et guerre infinie au Liban, Reina Sarkis Streib Violence et responsabilité en milieu scolaire pendant la guerre, Souad Slim


ESPACES DE LA MEMOIRE V - VILLE ET MEMOIRE Guerre de cimetières dans la banlieue sud de Beyrouth, Mounzer Jaber Mémoires de Haret Hreik : du bourg rural au « périmètre sécuritaire » de la banlieue sud, Mohamed Abi Samra Journal de G.S, déplacée de guerre, Waddah Charara Al Khandaq al-Ghamiq ou la mémoire en ruines,Sophie Brones Ruines en attente, Sophie Brones Mémoires de guerre des habitants d’un quartier de Beyrouth, Ras al-Nabaa, Liliane Kfoury


VI - PRODUCTIONS CULTURELLES La fabrique artistique de la mémoire : effet de génération et entreprises artistiques dans le Liban contemporain, Arnaud Chabrol Missing lebanese wars : notes sur un dossier de l´Atlas Group Archive, Stefanie Baumann Les politiques de la mémoire et de l’identité dans les affiches de la guerre civile au Liban, Zeina Maasri


VII - MEMOIRE ET RITUEL RELIGIEUX Le rituel d’Achoura à Nabatiyyeh, un champ de mémoires plurielles, Michel Tabet Culte des saints, pèlerinages et enjeux politiques au Liban : quelques observations en milieu chrétien,Nour Farra-Haddad


PERSPECTIVES Les guerres libanaises : sur la nécessité de se souvenir et le besoin d’oubli, Fawwaz Traboulsi