Sunday, April 02, 2006

Monde musulman et Occident - Muslim World and Western relations

À la rencontre du monde musulman et de l’Occident?
par Pamela Chrabieh

Maurice Borrmans. Dialogue islamo-chrétien, à temps et contretempsParis, Éd. Saint-Paul, 2002, 253 p.
Recension publiée par Présence Magazine, Montréal, no.86, 2002, p.33.
http://www.cebl.org/biblio/2002/b_021126.htm

Père Blanc, Maurice Borrmans est professeur à l’Institut Pontifical des Études Arabes et Islamiques de Rome, où il enseigne le Droit islamique et dirige la revue Islamochristiana. Son ouvrage vient à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Borrmans veut éclaircir les incompréhensions mutuelles existant entre « l’Occident » et « le monde musulman ». Pour cela, il étudie plusieurs aspects du dialogue islamo-chrétien et se concentre particulièrement sur les réactions de « l’Islam » face à la modernité, ses fondements éthiques, la vie des musulmans en Europe, les réponses de ceux-ci à la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et leur adaptabilité aux valeurs de la société occidentale.
Borrmans débute son ouvrage par un ton peu optimiste quant à l’avenir des relations islamo-chrétiennes. Il étale par la suite un nombre de connaissances sur « l’Islam » qu’il résume dans la première partie de son ouvrage, intitulée « Pour mieux se connaître ». La synthèse qu’il y propose est destinée à aider les chrétiens dans leur définition de leurs interlocuteurs. Borrmans y aborde la diversité théologique, sociale et politique de « l’Islam » d’une manière sommaire et insiste sur son aspect unitaire, ce qu’il appelle « un oecuménisme islamique ». Il essaye ensuite de définir ce qu’est l’identité islamique, elle-même divisée entre les applications strictes de la Chari’a et celles de l’Ijitihad (ou l’interprétation innovatrice des textes fondateurs). La diversité des opinions et des applications devient ainsi une source de problèmes que les penseurs musulmans connaissent aujourd’hui par rapport au renouvellement de leurs fondements éthiques et de leurs visions de la paix. Selon Borrmans, l’opinion majoritaire se réfère à la Chari’a et milite pour une « utopie islamique » qui traite tout ce qui est étranger de menace. Par ailleurs, la Déclaration des droits de l’Homme de « l’Islam » « n’est pas sans profondes implications islamiques », implications que les musulmans devraient revoir afin qu’elles puissent « correspondre aux défis des diverses cultures en lesquelles elle [la Chari’a] doit s’exprimer ». Tout cela pour conclure (p. 143) que l’Église catholique romaine s’est positionnée par rapport à la modernité, ce qui n’est pas le cas des musulmans.
La deuxième partie de l’ouvrage, « Pour mieux dialoguer », rappelle l’émergence de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate (Vatican II), son élaboration progressive, son influence sur le dialogue islamo-chrétien, son importance dans la pratique de tout dialogue interreligieux et la fidélité qu’on lui doit lors de l’élaboration « d’une théologie des religions non-chrétiennes ». Par la suite, Borrmans traite l’Europe de « chance pour les musulmans qui sont venus librement y habiter et s’y intégrer » car cette intégration leur permet de ne plus confondre entre « religion » et « politique ». Enfin, le discours du pape Jean-Paul II aux jeunes Marocains à Casablanca en 1985 (en annexe) constitue un exemple d’un parcours jalonné d’étapes positives.
Certaines réserves pourraient être émises à la lecture de cet ouvrage qui présente un bon nombre de délimitations et de simplifications. Par exemple, « l’Islam » y est perçu comme un tout monolithique dont l’opinion majoritaire correspond à une « frustration collective » face à « l’Occident » - également perçu en bloc figé -, l’ennemi et la menace. Par ailleurs, Borrmans fait débuter le dialogue islamo-chrétien au temps du concile de Vatican II et des efforts du Conseil oecuménique des Églises, en oubliant les diverses tentatives de rapprochements le long des siècles précédents. Il fait l’éloge des initiatives catholiques romaines et dé-légitime celles islamiques car non institutionnalisées: « Les chrétiens disposent de structures qui engagent leur responsabilité collective, les musulmans n’engagent souvent dans le dialogue que leur propre personne. » Or, il ne tarde pas à se contredire en affirmant que « le monde musulman dispose désormais d’un réseau assez dense d’institutions qui lui garantissent stabilité et sécurité, tout en lui redonnant un élan missionnaire ». Cette contradiction est doublée d’une prétention à la connaissance de la religion islamique et à une volonté de dialoguer qui surpasse celle des musulmans vis-à-vis de la religion chrétienne. Même qu’il bâillonne ces derniers d’avance et les restreint aux catégories qu’il explicite dans la première partie de son ouvrage. Sa position rappelle celle d’André Miquel (dans L’Islam et sa civilisation, 7e-20e s. Paris, Éd. Armand Colin, 1990), qui considère lui aussi que « l’Islam » est immuable et insécable. Le traitement des musulmans est des plus décevants. Comment alors parler de dialogue quand on ne contente que d’un bout de la lunette, à savoir le sien?
En conclusion, l’ouvrage de Borrmans n’est pas à la hauteur de son ambition (voir p. 18) où il propose de sortir des difficultés en se « libérant des préjugés ». Pourquoi et comment se contenter de poser la question « qui est Jésus pour les musulmans d’aujourd’hui » et d’y répondre soi-même sans aucun recours à ces dits musulmans? Ne serait-il pas également pertinent pour les chrétiens de sonder la question suivante: « Que représente le Prophète Mohammad pour eux aujourd’hui »? Bien des recoins de notre propre identité et des rapports de celle-ci aux autres identités restent inconnus et sûrement pas définitivement catégorisables. Un ouvrage qui en somme présente les compatibilités et les incompatibilités de « l’Islam » avec la Déclaration des droits de l’homme (1948), celle de Nostra Aetate, du « christianisme » et de « l’Occident », et non pas un modèle particulier de dialogue.

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